Chapitre 10 : La menace des amours mortes

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Mon cerveau est en effervescence. Je ne sens plus vraiment mon corps. J’observe la scène tumultueuse qui se joue devant moi ; l’arrivée de la valse des invités. J’ai la désagréable impression d’être dans un film. J’erre dans l’arrière-plan. Je regarde les comédiens en pleine action. Le long-métrage pourrait très bien continuer sans moi. Ce sentiment qui me ronge ne me quitte jamais. Je suis incomplète. La vie continue de me torturer. Je suis souvent entourée, mais la solitude me dévore. Lassée de ce perpétuel vacarme vide de sens. Passagère d’un cauchemar récurrent, je m’enlise dans une fausse réalité. Pourtant, je sens toujours mon être se fissurer entre parade ou délivrance. Je te ressens toi, mon éternelle force. Le poids de l’obligation l’emportera ce soir sur la balance. Je vais me raccrocher, continuer pour toi, mon amour morte.

Gala de charité, Salon des Ambassadeurs

  • Chef, chef, vous m’entendez ? C’est Boissier ! Répondez ! Arf, foutues oreillettes c’est pas possible un matos pareil !

Élise reprit soudainement le contrôle en percevant la voix de son subalterne.

  • Doucement Boissier, je vous entends ! murmura Élise les dents serrées. J’évite de me faire remarquer alors faites de même ! Arrêtez d'hurler dans mon oreille !
  • Yes chef, excusez-moi. C’est que de voir toutes ces stars ça me retourne le cerveau et ces femmes sont très belles, je...
  • D’accord, on a compris Boissier ! interrompit la commissaire en levant les yeux au ciel. Dites-moi, pour ma tenue, vous n’aviez pas quelque chose de plus approprié ?
  • Non chef, pour vous fondre dans la masse, rien de tel qu’un costume d'apparat pour approcher le maximum de personnes ! Les stars font très peu attention au petit personnel, d'où le choix de la serveuse, ça sera votre grande force ce soir ! Et entre nous, d'après mes premières observations, votre goût vestimentaire habituel, ne serait... comment dire..pas très discret ici !

Remarque judicieuse de l'inspecteur. Les tenues d’Élise n’étaient pas anodines, devenues des kits de survie essentiels pour elle. Un véritable exorcisme à sa timidité. Un camouflage de son mal-être. Une diversion impeccable. Et elle le savait très bien.

La supérieure secoua la tête en souriant légèrement, sans répondre à Filip, afin de préserver son autorité.

  • Mais vous avez encore beaucoup d’allure même dans cet accoutrement, rectifia immédiatement le jeune homme.

Et il avait raison. Elle rayonnait indéniablement d’élégance et de beauté.

Élise fit mine d’être gênée et toussa légèrement ce qui remit Boissier dans le droit chemin. Il se racla la gorge deux fois avant de redémarrer la conversation.

  • Écoutez-moi chef, je quadrille le salon. Je suis dans la salle de surveillance avec Fred, le roi de ce lieu. Les caméras sont axées sur les points névralgiques. Vos hommes sont placés de part et d’autre de la pièce. La priorité c’est la sécurité des stars, Cannes oblige ! Mais vous vous en doutez sûrement !

La commissaire prêtait une oreille attentive aux propos de Filip. Elle savait que la méconnaissance de sa nouvelle équipe constituait un handicap. C'était un élément capital dans la réussite des opérations policières. Elle devait donc ravaler sa fierté et se laisser guider. Un lâcher-prise dont elle n’avait pas l’habitude. Pour une raison étrange, elle accordait beaucoup de crédit à Boissier et son instinct la trompait rarement. Pourtant, Élise n'octroyait pas sa confiance rapidement. Il fallait faire ses preuves pour transpercer son armure.

  • Bien entendu Boissier. Je vous suis, c’est vous le chef ce soir !
  • Ah bien vu chef, mais non c’est toujours vous la patronne. Je suis content de vous aider du haut de ma tour d’ivoire même si j’aurais voulu signer pour un peu plus d’action ! avoua-t-il en sirotant un soda. Je reste à votre écoute et les autres aussi, je passe en canal multiple.
  • Très bien, ouvrez l’œil Boissier.

L’homme commençait à s’habituer au caractère peu loquace de sa supérieure. Il lui répondit alors de manière succincte.

  • Vous aussi, chef.

Postée à gauche de la scène, à la sortie des cuisines, la jeune femme profita de cette trêve verbale pour approfondir sa reconnaissance. Pour plus de crédibilité, elle se procura un plateau rempli de petits fours. Elle entreprit deux pas de côté pour acquérir un meilleur angle de vue dans la salle. Sur sa droite se dessinait un panorama à couper le souffle : à travers les immenses baies vitrées du salon, la ville de Cannes émergeait de toute sa splendeur.

Sublime, quel havre de paix.

Poursuivant son objectif, la commissaire déambulait en flirtant avec les nombreuses tables rondes qui jonchaient le lieu de la réception. Toutes numérotées et habillées de leur plus luxueuse parure : des assiettes en porcelaine garnies d’une serviette blanche, encadrées par deux jeux de couverts en argent, surmontées de verres en cristal. Chacune d’elle abritait en leur centre, des petits bouquets de lys entourant une majestueuse boule de cristal. Élise remarqua qu'une boîte noire avait été laissée à l'attention de chaque convive, probablement un cadeau. La rouquine poussa un long soupir, soulagée d’avoir quitté ce monde gangréné par l’argent, qu’elle ne connaissait que trop bien.

La commissaire slalomait maintenant entre les tables. Elle commençait à apercevoir la scène grâce à son balayage par de nombreux projecteurs. Rapidement, elle y distingua un marteau de président posé sur un pupitre et le nom des marques partenaires de l'évènement, en toile de fond.

Concentrée sur son repérage, elle en avait oublié l’agitation autour d’elle. Une véritable fourmilière. Les invités gravitaient désormais à proximité des tables à la recherche de leur place. Son regard passait au crible les invités pour éventuellement détecter une personne suspecte.

Une vraie belle brochette de stars, pensa-t-elle.

  • Et le champagne, il est où ?

L’impolitesse d’une voix féminine extirpa Élise de ses constatations.

  • Je suis désolée je n’ai que des petits fours, rétorqua la commissaire campée dans son rôle, en lui tendant le plateau.
  • No way, je suis au régime ! déclara l’invitée en repoussant violemment l’objet.

Quelle débile, elle est aussi maigre qu’un clou. Et puis qu’est ce que c’est que cette robe ? ! Finalement je serais peut être passée inaperçue avec mon style, pensa la policière en regardant s’éloigner la jeune femme.

À cet instant précis, les organisateurs tamisèrent la lumière, créant un brouhaha d’excitation. Deux présentateurs arrivèrent sur scène. Les festivités allaient commencer. Un à un, les invités s’assirent. La vision d’Élise se dégageait.

Seules trois personnes se tenaient encore debout, visiblement gênées par leur retard, à la recherche de leur place.

  • Bonsoir à tous et pour commencer merci d’applaudir nos premiers retardataires, l’actrice Sasha Sanders et son équipe ! lança le présentateur en pointant du doigt les fautifs, un sourire au coin des lèvres.

La poursuite les éclaira et toute la salle se focalisa sur eux. Sasha adressa valeureusement un signe de la main pour s’excuser même si son expression retranscrivait un certain embarras. Les invités applaudirent ce geste, les accompagnant ainsi jusqu’à leur destination.

Élise laissa tomber son plateau. Une cascade de tremblements attaqua ses mains. Elle la reconnut immédiatement. Sa vision se brouilla. Elle tanguait. La jeune femme tentait de réprimer ses souvenirs. En vain, le naufrage de sa vie lui revenait dans la figure comme un boomerang. La dernière fois qu’elles s’étaient croisées, c’était lors de l’arrestation de Sasha.

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