Chapitre 13 : La nuisance de la mauvaise herbe
Perché sur le balcon surplombant l'after, les bras écartés sur la balustrade, le tueur observait la procession des âmes qui flottait devant lui. Il se sentait supérieur, maître de son jeu.
Calé entre la régie et une petite table ronde abritant sa coupe de champagne, il ressentait, pourtant, une certaine lassitude. La seule distraction notable à l'horizon était un groupe de french cancan déambulant parmi les invités. En soupirant, l'assassin étira ses bras en prenant appui sur le rebord tout en recroquevillant sa tête entre ses omoplates. A l'aide de son index, il battit la mesure, de gauche à droite, avec nonchalance. Son calvaire s'arrêta lorsque le Galop Infernal d'Orphée aux Enfers d'Offenbach pris fin, sonnant le glas de la représentation musicale.
- Oh, Dieu merci ! s'exclama t-il en se redressant, les bras levés vers le ciel.
Désormais niché comme une vigie, le traqueur commença l'analyse de ce territoire s'offrant à lui et qu’il devait conquérir : à gauche la scène du DJ, à droite une grande piscine floquée du nom d'une marque célèbre de champagne, en face un grand bar avec au-dessus un panneau lumineux rappelant les nombreux lots achetés et la somme récoltée.
Soudain, une voix inconnue faucha son étude en plein vol.
- Excusez-moi, vous n'avez pas le droit d'être ici, c'est réservé aux techniciens du son.
- Ah pardon, je me sentais mal dans toute cette foule. Je suis asthmatique, je voulais prendre un peu de hauteur pour pouvoir respirer un peu, vous comprenez ?
- Oui, je comprends mais il faut que vous redescendiez maintenant, le DJ ne va pas tarder à arriver et nous devons être prêts. En plus, c'est un perfectionniste et il n'aime pas les imprévus.
Le tueur entrevit la brèche et sentit la malléabilité de son interlocuteur.
- Ah bien sûr, j’admire tant de professionnalisme, c’est tout à votre honneur. Et comment s'appelle t-il ce fameux DJ ? interrogea-t-il en se rapprochant de la console.
- David Varta, il est très connu sur la Côte! Un très bon son!
Le tueur fit mine de ne pas le connaître pour le garder à sa merci.
- Attendez, juste une minute, je prends mon téléphone et je vous montre vite fait un mini set, déclara le technicien en détournant sa tête pour fouiller dans un sac posé sur une caisse.
Ni une, ni deux, le stratège profita de sa négligence pour tourner tous les boutons de la table de mixage qu'il avait à sa portée, un sourire en coin. Saborder le travail du machiniste l'amusait.
- Regardez, un vrai chef d'œuvre ! s'enthousiasma l'homme en tendant son téléphone.
- Vous exercez là un merveilleux métier, monsieur, je ne vais pas vous retarder plus longtemps. Je vous laisse à votre tâche qui m'a l'air extrêmement importante! lança le menteur en poussant doucement le portable de l'individu vers son propriétaire.
- Très importante ! Le moindre plantage et je suis viré ! Bonne fin de soirée à vous.
- Vous de même mon cher, répondit-il avec courtoisie.
Gloussant, le tueur battit en retraite.
Arrivé au niveau l'entrée, il passa devant un pingouin entouré d'une banquise, décor spécialement affrété pour la soirée. Intrigué de trouver ici un tel objet, il se planta devant, les yeux écarquillés, pour le scanner de haut en bas. L'arrivée du jeu de lumière, accompagnant l'entrée en scène imminente du DJ, se reflétait dans l'animal, désormais phosphorescent. Il approcha ses doigts de la sculpture sur glace lorsqu'une main agrippa son épaule.
- Tiens, vous avez découvert l'œuvre magistrale de mon ami Roger. Une vraie merveille, n’est-ce pas ?
Le tueur l'a reconnu immédiatement, c'était sa voisine du dîner.
Il ne manquait plus qu'elle, un vrai scotch cette nana.
- Tiens comment allez-vous depuis le temps ? pouffa-t-il sournoisement.
- Oh vous, vous êtes tellement drôle que jai envie de vous présentez à mon cercle privé, venez avec moi !
Il faut vraiment que je trouve un moyen de me débarrasser de ce boulet.
À cet instant, dans son champ de vision, à moitié obscurci par son interlocutrice, apparut Charlie qui se dirigeait vers le bar.
- J'arrive, je vais juste me désaltérer un moment au bar, je peux vous ramener quelque chose ?
- Oui, un whisky on the rocks ! Nous serons près de la piscine !
Bien sûr, ça sera pratique à ramener dans cette forêt de décérébrés.
- Très bien, je vous rejoins avec plaisir, mentit-il en doublant son sourire d'un signe courtois de la main.
- Pétasse ! bougonna-t-il dès qu’elle fut suffisamment éloignée de lui.
L’assassin se recula discrètement et donna un coup de pied dans la queue du pingouin qui se détacha légèrement. Détruire, il adorait ça. Ravi de son geste, le tueur rajusta son haut et poursuivit sa route. C'est à cet instant que le DJ arriva et prit les commandes de ses platines, ennuagé par de la fumée artificielle. La foule se densifia et la chaleur environnante monta d'un cran à coup de cris et d'applaudissement.
- Cannes, can you hear me! Are you ready? cria David Varta dans son micro en démarrant son set, avec un léger zozotement.
La foule lui répondit un grand YES tout en dansant avec une exubérance juvénile. Le tueur ressentait les secousses de la musique dans tout son corps. Sans être perturbé, il se dandina légèrement et secoua sa tête au rythme des vibes , en ne perdant pas des yeux Charlie.
- Today, nous sommes ici pour récolter des fonds, you can donate at david varta.com /gala de charité! Thanks for your participation c'est important! poursuivit le DJ avec un accent anglais/français teinté d’une patate chaude dans la bouche.
Jaillissant de la masse, l'assassin interpella vigoureusement Charlie pour se faire entendre malgré la musique bourdonnante :
- Ne me cherche plus je suis là devant toi, affirma-t-il à l'agent qui cherchait visiblement quelqu'un.
- Encore toi ! T'as rien d'autre à faire que de me suivre. Comme, parler chiffon avec ta grosse copine !
Charlie se retourna pour récupérer son verre et partir. L'assassin devait attirer son attention et vite.Il se planta devant lui, l'empêchant d'avancer.
- Tu as l'air de t'y connaître en mode. Ma mère était couturière, elle a travaillé en Espagne avec Pacco Rabane. Moi-même à mes heures perdues, je l'aidais à confectionner ses petits bijoux.
Visiblement intéressé mais pas convaincu pour autant, Charlie toucha les vêtements de son interlocuteur en silence.
- Je vais fumer une cigarette de l'autre côté, je connais un coin sympa, tu m'accompagnes ?
- Oh la vache, quelle prétention ! Et qu'est-ce qui te fait croire que je vais te suivre, répliqua Charlie en se rapprochant de lui.
- Et bien, le fait que tu en saches plus que ce que tu as pu dire à la police concernant la disparition d'une certaine jeune femme, comment elle s'appelait déjà.. Ah oui, Jeanne Delarosa. C'est fou ce qu'on peut faire par amitié !
L'air confiant de Charlie s'estompa de son visage. Sans reculer, l'agent sortit les griffes et poussa le tueur en arrière qui se laissa faire malgré le peu de force de l'attaque.
- J’en ai eu des rigolos qui ont essayé de m’escroquer mais toi tu décroches la palme ! Ne t’avise pas de t'approcher de moi, ni de Sasha, invectiva Charlie le doigt en position de garde d'escrimeur.
L'assassin éclata de rire en signe de provocation.
Charlie l'ignora et d'un pas de côté se dégagea de l'emprise psychologique de son interlocuteur pour se mouvoir dans la foule.
- Oh moi je dis ça, c'est pour aider, parfois s'affranchir d'un secret, ça fait du bien, ça libère l'esprit ! ironisa le stratège d'une voix hurlante.
Les personnes présentes aux alentours se retournèrent pour savoir ce qu’il se passait. Cette soudaine attention l'exitait.
Le tueur savait qu'il avait franchi la bonne frontière en s'attaquant au plus fidèle lieutenant de sa cible. Il s’était immiscé brillamment dans la tête de son adversaire. Satisfait, il se dirigea vers le comptoir pour commander un martini. Son verre à la main, il parcourut les quelques mètres qui le séparait de la sortie. Arrivé à destination, il se retourna pour regarder une dernière fois la foule et leva les yeux sur le grand écran devant lui. Sasha Sanders apparut avec Charlie à ses côtés. Pleinement satisfait de son orchestration, il attrapa le cure-dents gisant dans son verre pour manger son olive avec délectation et tourna les talons, dans la lueur des projecteurs, en jetant son verre au-dessus de sa tête.
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