Chapitre 19 : Prison
Charlie et Sasha marchaient sur une jetée du port de Cannes. Malgré l'urgence de la situation, ils avaient décidé de ne pas courir pour éviter d'attirer l'attention, d'ores et déjà exacerbée, des badauds. Hélas, Sasha montrait des signes de fatigue et ralentissait. Charlie le remarqua immédiatement.
- C'est ta jambe, c'est ça ?
- Ouais, ma putain de jambe, confirma-t-elle, grimaçante, une main vissée sur son membre. Cette faiblesse l'agaçait. Elle devenait vulnérable et cette idée la répugnait.
Charlie, à contre-coeur, ignora la complainte, empoigna sa comparse pour aller se cacher derrière un muret, surplombé par un grand palmier et un gigantesque arbuste. Une planque idéale. Adossé et légèrement essouflé, chacun d’eux essayait de reprendre sa respiration. A cet instant, l’actrice sentit une vague de chaleur puis de froid envahir son corps, un voile blanc sur les yeux termina le travail. Elle posa sa tête, devenue trop lourde, sur l’épaule de son ami. Du revers de la main, Charlie lui tapota la joue.
– Eh, oh, la belle au Bois dormant, faut se réveiller, là ! C’est pas le moment de piquer un roupillon !
L’actrice se redressa avec peine, rajusta la veste deux fois trop grande pour elle, trouvée par Charlie dans le bateau, et croisa comme elle le pouvait les yeux de son acolyte.
– Charlie, mais qu’est-ce qui se passe ? Où on est ?
– T’inquiètes, on est... pas loin de l’after.
– Charl, dis-moi la vérité ! Qui m’a frappé ? Que s’est-il passé sur ce bateau ? Il y avait plein de sang ! Je me rappelle juste du dance-floor, j'étais bourrée et tout, puis le trou noir.
– Jusque-là, rien d'anormal, t'es toujours bourrée ! T’as vraiment dû prendre un sacré coup sur la tête pour raconter des conneries pareilles, ma chérie.
Avide d'explications, Sasha soutint son regard. L’agent, déstabilisé, cessa de sourire sans pour autant capituler et s’accroupit devant sa pouliche. Tout en façonnant sa réponse, il arracha un bout de la robe de son amie, cracha dessus et lui tamponna le front pour stopper le peu de sang qui s’écoulait encore de sa plaie.
– Écoute, ma chérie, promis je te raconte tout après. Mais maintenant, il faut qu’on bouge. Regarde, tu vois ce ballet là-bas, derrière ?
Sasha suivit du regard le pouce de son ami, se retourna et s’agrippa difficilement sur le rebord de leur cachette, nichée entre le palmier et le buisson, les yeux posés en ligne de flotaison. Aussitôt, Charlie imita sa posture. De l’autre côté du mur, un va-et-vient incessant de voitures à gyrophares dérangeait le calme de l’aube filtrant.
- Oh putain, ça recommence ! On m’a frappée, enlevée sur un bateau plein de sang avec certainement mon ADN partout. Je peux pas prendre le risque une seconde fois, d'aller voir les flics. Mais en même temps, je suis foutue si je n'y vais pas, il ne vaut mieux pas prévenir que guérir non ?
Les deux compères rabaissèrent leur tête ensemble et se recollèrent contre le mur, les genoux recroquevillés sur leur torse.
– Mais ouais, voyons je suis bête, allons y gaiment ! Allons leur raconter que Sasha Sanders a été retrouvée dans un yacht avec du sang partout et qu’elle ne se souvient de rien parce qu’on l’a frappé et non pas à cause de ses nombreux abus de drogue et d’alcool !
– Je...
– Toi, tu veux faire encore la une des journaux à scandale encore plus vite que prévu ! Je vois déjà les gros titres : Sasha Sanders, l’actrice soularde devenue meurtrière ! Ça ne t’a pas suffit, ta première expérience avec les flics, tu veux recommencer ? Et bein, va-s’y ma chérie, soit, mais ça sera sans moi ! enfonça le jeune homme, d’un ton grave.
Blessée par la remarque, la jeune femme le dévisagea, les sourcils froncés de colère. Puis, avec un léger appui sur l’épaule de Charlie, elle regarda une nouvelle fois l’attroupement et vissa ses fesses à hauteur de tête de l’agent qui leva les yeux au ciel.
– Toutes fesses tendues méritent son dû, cocotte. Tu peux écarter ça de ma vue, d’avance merci, invita-t-il, en lui claquant le derrière.
Impassible, Sasha ne broncha pas et se laissa tomber lourdement, la mine déconfite. Elle s’était rendu compte que son ami avait raison. La police l’avait déjà souspçonnée une fois à tort, pourquoi ne recommencerait-elle pas ?
– D’accord, je te suis, on écarte les flics ; mais tu me dois des explications. Je ne lâcherai pas l’affaire.
– Plus tard, je t’en prie, il faut qu’on avance ! Il vaut mieux retarder au maximum ta tronche à la une des journaux.
– oui mais pour aller où ?
– Je te raccompagne à ton hôtel. On va essayer de passer inaperçus en longeant le grand quai, là, en bas, affirma-t-il, d’un léger mouvement de tête vers l’objectif.
– Rien que ça ! Mais on va me reconnaître. Puis j’ai pas la force, j’ai un mal de crâne à en réveiller les morts, indiqua l’actrice, tête en arrière, une main calée sur la nuque.
– On va passer par l’entrée de service, à l’arrière de l’hôtel, je connais la combine. Allez, arrête tes caprices de star, on y va !
Sasha redressa la tête, surprise. Comment était-il informé de ce passage ? Ils avaient tout deux l'habitude de passer par un passage secret, réservé à une certaine clientèle dont les célébrités font partis. Mais jamais par l'entrée de service, à l'arrière. Malgré l’esprit embué par un certain doute, la jeune femme avait toujours confiance en son ami. L’actrice ne releva pas, enclencha sa démarche, mais grimaça aussitôt. Une seconde crise de douleur à la jambe l’a fit s’effondrer.
L’agent comprit immédiatement le problème. Il passa son bras sous l’aisselle de son amie pour agripper sa taille et attrapa son bras gauche en soutien pour le mettre autour de son cou. Sasha exprima sa gratitude d’un simple regard à sa béquille humaine qui répliqua par un clin d’œil.
Passé ce moment de flottement, ils débutèrent laborieusement leur périple jusqu’à leur prochaine destination, tels deux funambules. Mais la tâche s’avérait plus ardue que prévu, la marche à deux exigeait une certaine coordination de leurs deux corps qui leur faisait, ici, défaut. À cela s'ajoutait une visibilité réduite qui accentuait leur difficulté à appréhender les obstacles dressés sur leur chemin : des barrières noires floquées en leur centre par la célèbre palme du festival, un tas de terre par-ci, un pan de pelouse par là, un passage de cable. Tout cela, normalement exécuté, dans un silence absolu.
Après quelques minutes de calvaire, ils arrivèrent, enfin, à proximité du poste de sécurité de l’hôtel. Accroupis et têtes baissées, Sasha et Charlie amorcèrent des foulées saccadées pour éviter les caméras. L’agent bascula l’actrice près d’un buisson, suffisamment touffu pour les cacher, et fit le guet, en position de prince charmant. Il balança avec frénésie sa langue sur sa lèvre inférieure puis se la mordit en apercevant le gardien, positionné derrière le portail de sécurité.
– Tu vois, le mec baraqué dans son costume noir, chuchota Charlie en relevant difficilement son acolyte.
– Oui, d’ailleurs, il est pas mal !
– Bein oui maintenant que tu le dis, il est pas mal... Non non, Sasha, c’est pas le sujet ! Il faut qu’on passe à sa droite, c’est là qu’on sera les moins visibles, exhorta-t-il.
Des milliers de bouteilles en verre rangées dans des caisses multicolores formaient une véritable fortification. De chaque côté, de grands chariots à linge finissaient de cimenter la muraille.
– Ok, ton plan est brillant, mais on fait comment avec ma jambe de bois et les caméras de sécurité, on se téléporte ! aboya Sacha, avec sarcasme.
– Arrête ton pessimisme ! Et puis je te rappelle que vu ton état, c'est plutôt à moi de prendre les commandes, non ?
Sasha baissa la tête, ferma les yeux et se tapa le front à de multiples reprises avec le creux de son poing fermé. Son invalidité subie la détruisait.
– Et puis regarde dans trente secondes, on est tiré d’affaire, mon ex arrive.
– Quoi ? Mais qu’est-ce que tu racontes, je te connais depuis longtemps, tu n’as pas d’ex qui travaille dans un hôtel de luxe.
Le vrombissement d’un moteur approchant et le craquement des cailloux sous les gros pneus du véhicule donnèrent raison à Charlie. Une fourgonnette blanche s’arrêta net devant l’entrée, phares allumés avec une intensité plus forte qu’à l’accoutumée. Quelque chose se préparait. À cet instant, Sasha oublia sa douleur dans un élan d’adrénaline mêlée à une curiosité venimeuse et se réaccroupit pour ne rien manquer. Une des portes arrière du véhicule s’ouvrit.
- Viens ! commanda Charlie, un bras en arrière pour tirer Sasha.
– T’es sûr ?
– Oui, je suis sûr, fais moi confiance, viens !
La jeune femme s’exécuta et empoigna fébrilement la main tendue de son ami tout en le regardant dans le blanc des yeux. L’agent souffla de soulagement.
– On y va !
Main dans la main, les deux compères avalèrent le peu de mètres qui les séparaient du fourgon. Charlie plaça l’actrice devant lui et la poussa aux fesses pour lui faire franchir l’entrée arrière du véhicule. Emportée par le trop-plein d’élan et handicapée par la douleur, la jeune femme rata sa réception, tomba de tout son long et heurta le sol. Encore sonnée par le vol plané, Sasha n’entendit pas la porte du fourgon se fermer. Reprenant ses esprits, elle toucha son menton éraflé, fit une moue de douleur et regarda devant elle. Une cloison opaque l’empêchait de distinguer le chauffeur du fourgon. Intriguée, la jeune femme rampa pour se rapprocher, mais son genou heurta quelque chose de pointu, dissimulé sous une bâche. Accroupie devant, avec virulence, elle la souleva mais la pénombre l'empêcha de distinguer de visu les objets révélés. Elle tâtona pour s'aider, aggrippa l'une de ses trouvailles et la colla devant ses yeux pour la distinguer. Un outils pointu dégoulinant d'une susbtance chaude. Sasha glissa deux doigts sous les gouttes du liquide et les amena à sa bouche pour être sûre. Anesthésiée par sa découverte, elle ne fut même pas écœurée par le goût du sang. La jeune femme jeta, avec violence, l'arme sur le sol. À cet instant, sa prise de conscience de la réalité du danger caressa son esprit. Sasha recula sur ses mains jusqu’à heurter les jambes de Charlie. Elle bascula d’un geste brusque pour se retourner vers son ami qui éclaira son visage avec une lampe de poche.
Charlie se rapprocha d'elle, lentement. Grâce à ce mouvement et à un furtif faisceau lumineux, l'actrice put distinguer son visage. L’agent, contaminé par un regard noir, avait changé son attitude. Son ami d'ordinaire si flamboyant, la regardait comme un parasite. Consternée, la jeune femme l’avait compris, il allait la faire danser au son de sa duperie.
– Mets ça !
Le jeune homme lança une cagoule en coton noire devant l’actrice.
– Charlie, merde qu’est-ce que tu fous ?
Impassible, il gronda en sortant un canif de sa poche arrière.
– Fais ce que je te dis.
Aucune échappatoire ne se profilait. Assommée par la trahison de son ami et engloutie par sa coûteuse naïveté, Sasha s’exécuta. Lentement, les yeux fixés sur lui, elle fit glisser l’objet le long de son visage abimé, scellant ainsi le cercueil de sa liberté.
Immédiatement, Charlie sauta sur elle pour accrocher autour de son cou un fil et attacha ses mains et des pieds de la même façon.
– Pardonne-moi !
Désormais sans défense, Sasha se résigna, resta immobile et tenta d'apprivoiser la peur de sa mort imminente.
La jeune femme entendit vaguement la porte du fourgon se rouvrir. Une autre personne entra.
– Mais qui êtes-vous ? Où est Rodolphe ?
Un bruit sourd étrilla le silence qui s’était installé dans le véhicule. Un corps tomba lourdement juste à côté de l’actrice. Une respiration exagérée souffla dans son oreille à travers la cagoule. D’une perversité inégalée. Et Sasha la connaissait. Elle ne l'avait jamais oublié. Le même souffle obsène que le meutrier de Jeanne. Éprise d’une hargne décuplée, elle surpassa sa peur, tourna avec vivacité sa tête vers son adversaire et le provoqua avec le peu de souffle qui lui restait.
– Vas-y enfoiré, on va bien s’amuser !
L’individu éclata de rire et se faufila discrètement dans le dos de l'actrice. Son ouie pour seul repère, elle essaya de se débattre, en vain, l'agresseur avait déjà appuyé sur sa bouche crispée, un mouchoir imbibé de chloroforme. Le tissu de la cagoule enfoncé combiné aux vapeurs du cocktail toxique l'a firent lentement lâcher prise.
L'assaillant balança sa victime comme un débris.
– T’as raison, maintenant on va s'amuser ! Le jeu ne fait que commencer.
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