Suspendu à ton âme - Chapitre "devenir un personnage"
de
NM .L
( @cornedor@ , voici ton chapitre. Il n'est pas dit qu'il ne réapparaisse pas dans l'histoire. Nh'ésite pas à me signaler s'il y a des détails que tu veux que j'ajoute ou que je retire. Je t'ai appelé Maya, comme dans l'ours et la renarde, tu as le droit de choisir un autre prénom.)
Merci.
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J’abandonne Marc dans le jardin. S’il a envie de camper là, bien à lui. La météo prévoit une bonne pluie pour ce soir. Ça lui remettra les idées en place.
Je tire le portique et longe le trottoir.
Mon ami à poil est calé. Ses moustaches chatouillent mon cou.
Ce lapin pèse trois tonnes. Qu’est-ce qu’on lui donne à bouffer ? Et pourquoi est-il si gros ? On dirait un chien. Je mettrais ma main à couper qu’il vient d’une ancienne ferme pharmaceutique. Les animaux de ce genre d’endroit ne sont plus tout à fait ce pourquoi il avait été créé à la basse. À moins qu’il provienne d’un élevage clandestin d’animaux mutés. Encore une belle connerie ça. Tout est là pour faire du fric, quitte à jouer aux alchimistes et créer des êtres tout droit sortis de nos imaginaires. Heureusement, on n’en est pas encore à la reproduction de dinosaures, mais vu ce qu’on entend à la télé, ça ne serait tarder. Comment a-t-on fait pour se perdre autant ? Où sont les basses ? Pourquoi toujours de l’extraordinaire pour détruire l’ordinaire ? Je ne comprends pas. Je ne dois plus être dans l’air du temps.
J’entre chez ma voisine. Son portail est toujours ouvert pour ses clients. Depuis, cinq ans que Déborah a acheté la maison du vieux Henri, elle en a fait une auberge pour artistes. Ce sont des personnes à leur compte, des artistes parfois fauchés qui restent au bon cœur de Déborah. De toute façon, il n’y a plus que ça de vrai pour avoir une chance de subvenir à ses dépenses quotidiennes, se débrouiller seul, démarcher…
Devant la palissade du jardin, je vois une femme entourée de lapins. Sans doute la propriétaire de la fugueuse.
Elle se tient devant un chevalet, des pinceaux retenant son chignon. Quelques mèches folles et grises entourent son visage encore jeune. Elle doit avoir une petite cinquantaine d’années. Tout au plus. Les volants orangés de sa robe bohème, flottent sous la brise menaçant de se transformer en bourrasque. Ici, c’est le pays du vent. Du Mistral. Cette dame a de l’élégance dans ses mouvements. Une concentration optimale. Est-elle perdue dans un monde qu’elle retranscrit sur toile ?
Je pousse la porte à battant et me dirige vers elle. Une musique japonisante retentit du côté de la cabane en bois près d’un gros olivier. Un jeune homme joue d’un instrument traditionnel, un autre fait des arrangements sonores à côté de lui avec une platine.
Je me plante devant la femme. Ses yeux bruns chargés de pensées bouillonnantes s’accrochent sur la boule de poil lovée dans mes bras.
Je me suis fait un pote.
— Ah ! Oupyre. Te voilà ! Et en charmante compagnie en plus. Tu ne perds pas le Nord.
La femme tend ses bras vers l’animal, ne le quittant pas du regard, et me le dérobe.
Oupyre se laisse manipuler avant de rejoindre le sol et de retrouver des jeunes pousses à engloutir. Elle envoie des coups d’œil vers la gamelle du chat. En deux bonds, elle pousse le chat et chaparde les trois croquettes qui trainent.
Je vois… C’est un ventre à pattes.
— J’imagine que vous êtes le voisin d’à côté. La voyoute a trouvé un petit trou dans lequel se faufiler. Déborah l’a rebouché. Ma Oupyre ne devrait plus venir dans votre jardin. Normalement.
— Oh ! Ça ne m’a absolument pas dérangé. Au contraire, ça m’a permis de fuir une situation désagréable. Je suis Léonys et j’aime bien les lapins.
Elle rit de bon cœur.
— Je suis Maya et, étonnement, j’aime les lapins, aussi.
Une gentille femme. En apparence.
— C’est une belle famille que vous avez là.
Oupyre gambade.
Oupyre…
J’ai déjà lu ce nom quelque part.
— C’est vrai. Quatre beaux lapins sauvés d’un élevage clandestin. Pour changer. Dans peu de temps, la famille va s’agrandir. Que voulez-vous ? Les luttes servent-elles à quelque chose au bout du compte ? Trente ans que je milite contre les fermes pharmaceutiques et les élevages clandestins. Rien n’a bougé. Au contraire, tout empire.
Je hoche la tête, trop conscient de ce monde dans lequel nous vivons.
— Et sinon, ce sont quoi leur petit nom ?
Elle sourit. Ses boucles d’oreilles en forme de créatures clinquent quand elle se tourne vers ses lapins.
— Alors, vous connaissez Oupyre. Là-bas, près du chêne, nous avons Aegeus.
C’est un lapin tout blanc, très noble, avec des yeux très clairs. Droit, le torse bombé, il ressemble à un Prince enorgueilli. Il toussote et tout de suite, son apparence est semblable à un vieux crouton en fin de vie. Malade ? Serait-ce étonnant ?
Aegeus ? Ça aussi, ça me dit un truc.
— Au pied du chevalet, nous avons une boule de poil, il s’agit de Blanche et, à côté, c’est Aaron le grincheux.
Blanche est un angora, nul doute. Elle pourchasse Aaron, un lapin noir et blanc.
On dirait un putois.
Aaron, Blanche, Aegeux, Oupyre.
Oh !
Ça y est !
— Masques et monstres ! C’est ça. Ce sont les noms des personnages.
— Vous connaissez ?
— Très bien. Ça remonte à quelques années, maintenant. Si vous voulez mon avis, Blanche a plus le look d’une Cornélia.
— C’est vrai. Pour tout dire, j’ai longuement hésité. Puis elle a commencé à coller Aaron. Il n’y avait plus de doute. C’était une Blanche.
J’explose de rire. Peut-être est-ce le décalage de Maya et de la situation avec Marc qui me rend plus léger. Ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre ses héros de papiers changés en lapins domestiques.
— Une fan ?
Maya hoche la tête avec un grand sourire.
— On peut le dire franchement. Une fan qui a fini par travailler avec l’artiste. Sans me venter, mais un petit peu, j’ai pu participer à pas mal de ses projets. Dont ses trois derniers livres.
— Ah, c’est vous les illustrations en noir et blanc ?
— Tout à fait.
— Je me disais aussi, ce n’était pas le même style que je connaissais de R. Oncedor.
— Vous savez, j’ai aussi eu la grande chance de travailler sur les planches de la série animée de L’ours et la renarde.
Pas vantarde pour un sou. Elle m’amuse.
— Incroyable !
Il y a encore des studios d’animation qui passent par des dessinateurs pour leur projet. Je n’ai pas à douter que l’autrice ait eu son mot à dire. Certains ont du pouvoir et des conditions honorables.
— J’ai adoré lire le roman, mais la série. Wahoo. Tous ces détails, cette beauté qui renferme un mal infini. Il parait qu’une suite est prévue, inspirée d’une nouvelle de l’autrice.
— Ah, ça, c’est plus ou moins sûr. La production veut utiliser des IA perfectionnées.
Je secoue la tête de désappointement. Maya me rejoindrait si je disais qu’on va tout droit vers un mur avec toute cette technologie mal maîtrisée, mal ciblée surtout.
— Je comprends totalement. Le monde du livre est touché par ce fléau aussi. Je suis Éditeur.
— Fléau ! Il n’y a pas d’autre mot ! Oui, j’ai cru l’entendre tout à l’heure. Les auteurs virtuels, une nouvelle bêtise des industrielles.
Je sens de la fatigue et de l’énervement dans sa voix, dans l’éclat de ses yeux.
— Si encore, c’était resté au stade d’aide. Mais voilà, le fait que pleins de gens comparent les IA aux artistes me fait grincer des dents. "Elles aussi s'inspirent de tout ce qu'elles voient, comme les artistes, donc ce n’est pas du vol" ! C'est ultra blessant. Vous n’imaginez pas ce que j’entends de la bouche de certains ignares.
— Je conçois, rassurez-vous.
Le pinceau qu’elle tient dans sa main pourrait se fendre en deux.
— Les gens comparent l'inspiration d'un humain à une machine sans âme qui se contente de tout avaler et de tout mélanger pour en sortir du copié-collé. Ils ignorent complètement la sensibilité et la réflexion de la personne. Comme si on se contentait nous aussi de faire du copié-collé. C’est une aberration. Je mets mes tripes dans mes œuvres. Je réfléchis des heures entières, j’affine mon style. Je me renouvelle constamment. Bon sang, bonsoir ! J’imagine, je réinterprète. Je ne me tourne pas les pouces.
Maya maitrise sa colère. Elle reste calme pour me raconter ce qu’elle vit, ce qu’elle combat, toujours. Je remarque les orthèses à ses poignets. Une machine ne souffrira pas de travailler corps et âme. Maya, elle, a déjà des séquelles, des douleurs qui s’amplifieront avec le temps.
Nous contemplons sa peinture, un instant.
Un monde imaginé se dresse sur un carré de toile… Un monde sur lequel elle travaille avec ses doigts et sa tête, dans un jardin près de ses lapins.
— Enfin, à quoi bon s’énerver. Il y aura toujours tout et son contraire. La vie est une lutte à chaque instant. Nous sommes des guerriers.
Elle sourit encore avant de fixer mon visage.
— Dites donc, vous avez les yeux sacrément rouges. Vous ne feriez pas une petite allergie à Oupyre ?
— Loin de là, rassurez-vous. C’est juste un gros con qui s’est permis de me parler.
— Ah ! Une espèce qui pullule depuis quelques années d’un environnement à un autre.
Comment se retenir de rire ? Comment ne pas se plier en deux ?
Maya a clairement l’âme d’une révolutionnaire, elle l’a sans doute été dans ses jeunes années. Aujourd’hui, sans la connaitre, simplement en observant ses yeux, je sais qu’elle n’a plus le même engouement à défendre tous ses principes. Elle est blasée et je la comprends. Comment ne pas l’être ? Tout nous pousse dans cette direction.
— Bon, je vais vous laisser, Maya. Vous avez une peinture à terminer et moi encore pas mal de boulot. À bientôt, j’espère.
— Oupyre est une fugueuse, me prévient-elle. Elle saura revenir dans votre jardin. Il semble plus vert que celui de Déborah.
En me tournant vers la lapine, je veux bien croire les paroles de Maya.
Oupyre fixe le muret qui la sépare de mon jardin. Qu’est-elle en train de maitre au point ?
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