Chapitre 7 : Le Quartier martial
Le quartier martial, centre de l'Arche IV, noyau de cette vie souterraine. Une gigantesque caverne qui accueillit le monorail transportant Chris. Lassé par la monotonie des autres quartiers, le jeune homme n'en fut que davantage ébloui, happé par un brusque changement de décors : cette zone n'avait rien de commun avec le reste de l'Arche !
Si cette cavité — d'origine naturelle puis largement élargie — brillait par des dimensions comparables à celles du dôme à la surface, ce qui frappa le plus Chris à son arrivée fut la clarté et la nuance de couleurs qui brillait autour de lui. Pas moins de sept fleurs de Lumineas se partageaient la voûte de cette grotte, chacune déployant un entrelacs impressionnant de racines phosphorescentes qui parcouraient toutes les parois et jusqu'au sol. Les noyaux des plantes ainsi que leurs "troncs" dégageaient une gamme de couleur différente, chaque couleurs de l'arc-en ciel se trouvait représentée.
La surprise passée, Chris s'attacha à étudier les constructions humaines. Toute la structure était supportée par d'énormes tours qui émergeaient d'un lac souterrain. Une dizaine d'entre elles rejoignaient la voûte et, probablement, la surface. Des centaines de constructions moins impressionnantes, dont certaines avaient tout de même la taille de petits immeubles, se trouvaient suspendues autour et entre ces supports massifs.
Suivant les yeux la ligne du rail, Chris repéra qu'il se dirigeait vers la plus centrale de ces énormes piliers. D'autres monorails s'y rejoignaient, en provenance d'autres galeries qui débouchaient à plusieurs dizaines de mètres de la terre ferme, ou de l'eau dans ce cas.
Le jeune homme se laissa retomber sur son siège. Cette vision extraordinaire, invraisemblable, lui apportait de nouveaux arguments de dépaysement profond. Cette ville... ne pouvait pas exister. Dans son monde, il ne pouvait la concevoir que dans des romans.
Il n'était toujours pas remis lorsque son wagon s'immobilisa et que les portes de sa cabine coulissèrent d'elle-même. Chris s'en extirpa avec précaution, ne sachant pas où il mettait les pieds. Le quai était désert. Il savait que l'Arche ne comportait qu'une population limitée — un demi-million d'âmes — mais cela l'étonnait tout de même de voir si peu de vie. Les lieux ressemblaient un peu aux arrêts de tram souterrains de son souvenir. Il repéra un panneau face à lui, bien en évidence, qui séparait deux escaliers permettant ou de grimper, ou de descendre. Commencer à lire provoquait toujours une réaction étrange chez lui : il était conscient de ne pas lire des mots dans sa langue, des mots qu'il n'aurait pas dû saisir, et pourtant... la lecture demeurait des plus naturelles, instinctive. Un mystère au cœur des mystères : comme s'il ne suffisait pas qu'il ait voyagé dans le temps, il fallait aussi qu'il ait intégré la langue de cette époque.
Entre autres destinations, il vit "le Commandement", "le Marché", et "le Stade". Il finit par trouver une mention de zone résidentielle.
À moins que le général ne vive au "Commandement" ou dans une sorte de caserne ? J'aurais dû poser la question...
Le temps qu'il restât statique devant cet affichage suffit pour qu'un nouveau wagon remplace le siens. Chris vit quatre personnes en descendre et ne put retenir un frisson : ils portaient tous la tenue blanche de l'armée.
Yurian...
La première fois qu'il l'avait vu, cette tenue lui avait inspiré une sensation de peur qu'il ne s'expliquait pas. L'attentat n'avait fait que justifier cette frayeur instinctive. Bien que Chris connaisse l'importance des contingents de l'armée dans la société des Arches, il ne s'était pas préparé à cette inévitable rencontre. Dans l'institut, il ne croisait pas de soldats, ou du moins pas avec leurs maudits uniformes.
Paralysé, bloqué sur place, l'un des soldats finit naturellement par le remarquer : une femme d'âge moyen qui fronça les sourcils. Elle se tourna vers ses camarades pour échanger quelques mots et Chris sentit alors une brusque poussée d'adrénaline.
Je dois partir !
Il tourna brusquement le dos aux nouveaux arrivants et dévala les marches à sa droite sans se retourner. Dans un état second, Chris ne s'arrêta pas avant d'avoir atteint le terme des rampes d'escalier, dans une rue quatre étage plus bas. Il s'agissait en réalité plutôt d'une sorte de ponton en béton qui longeait la tour dont il sortait. Face de lui, il n'y avait que le lac, quelques mètres en contrebas.
De quel côté je suis sensé aller ? La zone résidentielle...
Il avait été stupide. Quelques lignes, il n'avait que quelques lignes à lire sur le plan, dans la gare, et il aurait parfaitement su où aller. Pourtant, pas question de faire demi-tour. Au contraire, il devait se presser de choisir une direction ! Hors de question de laisser ces soldats le rattraper !
Il partit au hasard, puis tourna encore et encore. Les carrefours se succédaient. Il finit au beau milieu d'un méandre de ruelles, entouré par des bâtiments dont l'architecture possédait une variété invraisemblable : les barres d'immeubles rectangulaires côtoyaient des pagodes et des bicoques en bois. Un méli-mélo culturel dans lequel il ne parvenait pas à déceler de logique.
Le plus étonnant peut-être, mais qui ne faisait qu'accroître la sensation d’étouffement qui le saisissait, était qu'il n'avait toujours croisé personne ! Tout juste avait-il pu entendre quelques sons étouffés ou une sorte de mélopée provenant de l'une ou l'autre habitation. Sinon, il aurait aussi bien pu se trouver dans une ville fantôme.
Où aller ?
— Bon sang, mais où je vais maintenant ?! explosa-il à voix haute.
— C'est bien la question que je me posais, lui répondit-on aussitôt.
Chris sursauta et pivota sur lui-même dans un même mouvement. Le cœur battant à tout rompre, il se retrouva face à la femme soldat croisée sur le quai. Elle l'observait, à quelques mètres de lui, les bras croisés et toujours les sourcils froncés.
Non, vous ne me tuerez pas si facilement !
Mais qui parle de me tuer ? Pourquoi suis-je terrifié à ce point ?
Comme il restait là, incapable de bouger et pourtant poussé par une envie irrépressible de dégerpir sans se retourner, la femme reprit la parole :
— Tu n'as pas l'air clair toi. Qui es-tu et que fais-tu là exactement ? Je ne te conseille pas de me faire courir davantage, ma patiente a des limites ! menaça-t-elle en se rapprochant lentement.
Si je prends par la ruelle à gauche... je cours vite, je me suis bien entraîné...
Non ! Inutile d'aggraver ton cas, imbécile !
Chris resta sur place jusqu'à ce que la femme se soit plantée juste devant lui. Il demeura complètement immobile. Incapable de comprendre ce qui lui arrivait. Dépassé.
— Tu vas me suivre bien gentiment jusqu'au Centre de commandement, histoire de m'expliquer calmement pourquoi tu te sauves comme un lapin à la vue des forces de l'ordre, annonça la militaire.
— Je suis à la recherche de la maison du général Duverne, lâcha soudain Chris.
Les mots lui avaient échappé d'un coup, comme s'il récitait un texte appris par cœur. Aussitôt, il se sentit mieux, libéré.
— On m'attends chez le général Duverne, répéta-t-il.
La femme soldat le dévisageait comme si elle le découvrait.
— Qu'est-ce que... Si tu essaie de m'embobiner...
— Je vous jure que non ! Je ne connais pas le quartier, je me suis perdu. Vous pouvez m'aider ?
Contre toute attente, le visage de la militaire s'éclaira, puis... elle éclata de rire, sous le regard décontenancé du jeune homme.
— Un bon plan, je l'avoue, laissa-t-elle échapper en se reprenant. Invoquer le général... c'est bien trouvé. Personne n'irait déranger un personnage si haut placé pour un petit voyou. C'est juste un incroyable manque de chance que tu sois précisément tombé sur moi !
— Mais je...
— Ça ne me pose aucun problème. Allons voir le général, je suis impatiente de voir ce que tu as à lui dire !
Décidément incapable de comprendre ce qui se passait, Chris resta un instant silencieux avant de hocher la tête.
— Je vous suis.
Pour autant, la femme soldat ne se mit pas en marche. Elle se contenta de le fixer avec attention.
— Quel est ton nom ? De quel quartier viens-tu ?
Elle ne le menaçait pas ouvertement, mais son ton avait quelque chose de clairement inquisiteur. Pour autant, il n'avait rien à cacher...
Yurian
Le jeune homme secoua la tête et se força à regarder la femme droit dans les yeux.
— Je me nomme Chris Martin je suis... vraiment nouveau ici.
— Tu prétends venir d'une autre Arche ? explosa la soldate. Sil y avait eut un transfert, je serai au courant !
— S'il vous plaît, je... j'ai besoin d'aide.
— Sur ce point, nous sommes d'accord.
La militaire le fixa une longue minute, droit dans les yeux. Cela lui demanda un gros effort, mais Chris parvint à soutenir ce regard intrusif et elle finit par soupirer, secouant la tête.
— Très bien, je vais te conduire chez lui. Mais je te préviens, si tu m'as menti, je veillerais à ce que tu le regrette amèrement ! Suis-moi. Si tu essaie de me fausser compagnie, je te fiche au bloc les trois prochaines semaines !
Chris n'avait aucune idée de ce qu'était le bloc, mais ce n'était sûrement pas une option agréable.
— Je vous suis.
Son nouveau guide partit d'un bon pas, qu'il s'empressa d'emboîter.
— Comment vous appelez vous ? questionna-t-il après quelques instants.
Une manière de cesser de cogiter, de faire de la femme autre chose qu'un soldat. Elle grimaça.
— Je suis le major Taller, membre des patrouilleurs. Et tu viens de gâcher la première soirée de ma perm, alors silence !
Il prit acte. La militaire le guida en droite ligne, coupant les "grandes artères", autrement dit des rues à peine plus larges que les autres. Chris n'avait toujours pas vu le moindre véhicule et se demanda si tout le monde circulait à pied. Après dix bonnes minutes, il constata une évolution dans son environnement. Les bâtiments des deux côtés de la chaussée étaient devenus des copies conformes les uns des autres, des rectangles bruts avec toits plats. À bien y penser, sous terre il n'y avait aucun intérêt à la construction de toits en pente.
Ils finirent par atteindre une grande maison, légèrement surélevée par rapport aux autres. On y accédait via deux volées de marches et des plantes grimpantes, non phosphorescentes celles-ci, recouvraient l'essentiel de la façade.
— Attends ici, ordonna le major Taller à quelques pas de l'entrée.
La soldate se présenta devant la porte et passa un de badge devant un détecteur. Chris ne vit aucun changement, jusqu'à ce qu'une voix de femme résonne au travers d'un interphone.
« Qui est-ce ? »
— Major Taller, j'accompagne un jeune homme qui prétend être attendu par le général.
« Démétra ? Un garçon ? Attends, j'arrive. »
Le major se tourna vers Chris, qui crut voir des flammes dans ses yeux.
Pour vu que tout se passe bien, sinon elle serait capable de me balancer dans le lac.
La porte coulissa et une lumière vive s'échappa de la maison, le jeune homme détourna les yeux instinctivement, puis il découvrit une femme dans l'embrasure. Grande, couverte par une robe rouge cintrée à la taille qui soulignait sa taille fine, de longs cheveux blonds teintés de mèches blanches lui retombaient sur les épaules. Son beau visage avait quelque chose de familier : bien qu'il soit plus mature, la ressemblance avec Lily était frappante.
— Ravie de te voir Démétra. Qui est ce jeune homme ? interrogea la propriétaire des lieux.
— Il prétend s'appeler... commença le major.
— Je suis Chris Martin.
— Chris ? Oh, je ne t'attendais pas si tôt.
Les traits de la femme se détendirent aussitôt et la boule dans le ventre de Chris s'allégea tout autant.
— Je suis désolé, j'ai peut-être mal compris les consignes qui...
— Non, non. Il n'y a aucun problème, le rassura t-elle. Mais tu as dû rater le garde que j'ai envoyé t'attendre au Centre-gare.
La femme du général le jaugea un instant, puis finit par lui sourire franchement. Elle se tourna ensuite vers la femme-soldat.
— Lily n'est pas là, elle participe à un match.
— Oh, elle a déjà repris ? s'étonna le major, l'air nettement plus détendue tout à coup. C'est une bonne nouvelle. Je suis en permission pendant quelques jours, je repasserai si vous le voulez bien.
— Ce sera avec plaisir, assura la maîtresse des lieux.
Le major Taller fit demi-tour, accorda un très fin sourire à Chris, puis entreprit de descendre les marches menant à la rue, le laissant là. La mère de Lily se rapprocha alors du jeune homme et posa un doigt sous son menton, l'obligeant à redresser la tête. Mal à l'aise, Chris lutta contre l'envie de se dégager.
En passant, il constata que cette femme était maquillée et portait des bijoux dorés. La coquetterie n'avait pas totalement disparu de cette société. Finalement, la mère de Lily hocha la tête en reculant d'un pas.
— Tu es beau garçon, ma fille a omis de mentionner ce détail, commenta-t-elle. Tu peux m’appeler Sélène, sois le bienvenu. Tu es ici chez toi aussi longtemps que tu le souhaiteras, quoi qu'en pense mon mari.
Elle assortit cette dernière remarque d'un clin d'œil et Chris se sentit rougir. Dans un second temps, il se sentit un peu vexé.
« Omis ce détail » ?
— Vous... vous avez parlé d'un match ?
— De mechaball bien sûr.
— Mecha... ça consiste en quoi ?
— Oh... elle ne t'en a pas parlé ? s'étonna Sélène. Hé bien...
Elle se passa un doigt sur le bout des lèvres. Elle avait décidément d'étranges manières. Finalement, elle hocha la tête et sourit d'un air décidé.
— J'ai bien mieux que des explications ! Nous avons encore juste le temps, ne reste pas planté là, suis-moi ! Je vais t'emmener la voir en action !
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