Chapitre 24 : Communication (2/2)

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« Arrivés »

Au matin du huitième jour de voyage, la renarde lui transmit ce message alors qu'ils atteignaient le sommet d'une butte. Pris au dépourvu, il jeta un œil au panorama. Un vaste espace plan s'étirait devant eux, un sol moins irrégulier qu'ailleurs avec des rochers étrangement cubiques dans le paysage. Les arbres couvraient toujours les lieux, mais de manière bien plus éparse que dans le reste de la forêt. En revanche, il n'y avait aucune trace de vie.

— C'est... C'est ici que tu vis ?

En réponse, la Sauvage lui transmit un nouveau message : une sensation de sérénité, d'apaisement, comme s'il était à sa place.

— On est "chez moi"... C'est ça que tu veux dire, n'est-ce pas ? Je ne comprends pas...

De toute évidence, ils n'avaient pas voyagé jusqu'au vingt et unième siècle. La renarde désigna avec insistance les rochers, ces rectangle couronnés par de petits arbres qui culminaient parfois à une trentaine de mètres.

— Ces rochers, ils sont taillés pas vrai ?

La Sauvage semblait perdre patience, elle soupira et lui transmit une nouvelle image : une centaine de personnes regroupées.

— Une ville ?

Après avoir marqué un temps d'arrêt, Chris se précipita vers l'un de ces blocs et écarta les racines, gratta la terre. Il tomba enfin sur un panneau de roche plan, légèrement poreux, et recula. Le jeune homme chercha à percer du regard ces immenses structures sans trop y croire.

— Des immeubles ! Ce sont des immeubles ! s'exclama-t-il.

Ainsi, la renarde les avait bel et bien guidés chez lui, ou tout du moins vers un ancien centre urbain. La disposition de ce qu'il avait pris pour des rochers ne laissait pas place au doute, il distinguait sans difficulté le tracé des routes — dévastées, soulevées par de grosses racines et couvertes par la flore locale.

— Où sommes-nous exactement ? Quel est le nom de cet endroit ?

La renarde le regarda en haussant les épaules. Chris se mordit la lèvre : la question était stupide. Comment connaitrait-elle un nom perdu un millénaire auparavant ?

« Suivre ! »

Cette fois, il comprit immédiatement ce qu'elle voulait. Son cerveau s'adaptait de mieux en mieux à la traduction de ces émotions qui s'invitaient en lui. La Sauvage descendit la pente qui les séparait de l'agglomération antique et Chris lui emboîta le pas en proie au doute.

— On fait quoi ici ?

« Voir »

— D'accord, mais quoi ?

La jeune femme désigna le cœur de la ville, visiblement agacée. Chris se résolut à la suivre en silence. L'endroit avait dû être un site important, ils slalomèrent de longues minutes entre d'anciennes tours de béton, pour la plupart brisées ou renversées.

Sans prévenir, la renarde s'immobilisa. Elle lui fit signe de se baisser avant de la suivre. Le duo fit encore quelques pas pour achever l'ascension d'une pente et atteindre la bordure d'un renfoncement dans le sol, une sorte de cratère curieusement dégagé. Le jeune homme songea à un impact de météorite, mais cela ne collait pas avec la végétation tenue à l'écart, cela n'avait pas l'air naturel. Au centre de la fosse trônait un bâtiment imposant et proprement dégagé : un palais ou peut-être une église, avec des colonnades et une coupole endommagée. Non loin se trouvait une structure en forme de dôme d'un blanc immaculé. Cette bâtisse ne dépassait pas la quinzaine de mètres de diamètre et le fit penser immédiatement aux abris envisagés pour la colonisation de Mars. Par ailleurs, l'endroit ne contenait que des morceaux de bitume ou des pans de murs brisés.

J'ai la sensation d'avoir déjà vu ce monument en photo... Peut-être en Allemagne...

« Démons » transmis la renarde, mettant un terme à ses réflexions.

Elle désigna la plus petite structure.

— De quoi parles-tu ?

« Souterrains »

— Des êtres diaboliques venus de la terre ? Attends, tu veux parler de l'Arche ?

La jeune femme hocha la tête d'un air satisfait. Il étudia les lieux plus attentivement.

— Ce sont eux qui ont creusé ? On dirait... C'est comme un site de fouille archéologiques. Mais pourquoi être venus jusqu'ici ?

Une idée lui vint : Démétra avait parlé d'un avant-poste des Patrouilleurs dans la forêt. Pouvait-il s'agir de cet endroit ? La Sauvage avait-elle épié leur conversation ? Chris dévisagea la renarde qui se contenta de s'installer en bordure de la fosse. Elle ne semblait pas avoir l'intention d'aller plus loin.

Le jeune homme jeta un nouveau regard à la structure lunaire. Taller envisageait de contacter une autre Arche, confiante en ses chances de convaincre ses habitants de leur utilité. Quelles étaient ses chances de parvenir au même résultat ? Que pouvait-il apporter, à part des ennuis ?

La renarde était désormais confortablement installée sur un bloc de pierre et le fixait d'un air interrogatif.

— Tu veux que je descende ?

« Doit voir » lui répondit-elle.

Chris fronça les sourcils. Il ne pouvait cependant pas passer à côté d'une telle occasion. Se laissant prudemment glisser le long de la pente, il rejoignit lentement la porte de la structure moderne. Rien ne bougeait autour de lui, seuls les pépiements des oiseaux l'accompagnaient. Ne trouvant aucun signe d'activité récente alentour, Chris regarda derrière lui. La renarde ne le suivait pas. Il inspira longuement puis pressa la poignée. Elle résista.

Le jeune homme serra les dents. Arrivé à ce stade, il ne pouvait plus renoncer. Il invoqua l'Énergie Stellaire ambiante et, ce faisant, sentit la présence de sa compagne, toujours immobile sur leur poste d'observation initial. La renarde n'avait donc pas l'intention de l'abandonner là. Étrangement, il n'avait pas réellement envisagé cette possibilité.

Incapable de rassembler autant de puissance qu'il en manœuvrait dans l'Arche, quelques minutes d'efforts furent nécessaires à Chris pour s'estimer prêt à passer à l'action. La serrure ne résista pas, pas plus que la porte qui — à demi enfoncée — s'entrouvrit devant lui.

— Il y a quelqu'un ? Je ne suis pas un ennemi ! s'annonça-t-il.

En l'absence de réponse, le jeune homme s'introduisit dans le bâtiment.

La première chose qui le frappa fut la qualité de l'air à l'intérieur, moins moite. N'entendant aucun bruit caractéristique d'un moteur en marche, il songea que cela ne durerait pas. Les lieux lui évoquèrent les préfabriqués de son époque, avec un mobilier sobre et fonctionnel, essentiellement composé de rangements. Une succession de pièces suivaient le périmètre de la structure circulaire, éclairées par des fenêtres opacifiées.

Chris explora les lieux, découvrant tour à tour une salle de repos, une cuisine, des chambres et une sorte de laboratoire. Toutes ces zones avaient un point commun : elles étaient parfaitement vides. Les patrouilleurs, qui n'occupaient pas les lieux en permanence, n'avaient rien laissé derrière eux. Ce ne fut que lorsqu'il trouva une porte donnant sur le cœur de la bâtisse qu'il fit enfin une découverte : du matériel informatique, bien en évidence sur un bureau central.

Il doit s'agir du centre de commandement.

Chris pressa quelques boutons, sans résultat. Si ce poste était censé servir de refuge, il devait pourtant exister un moyen d'alimenter ce matériel en énergie. Il étudia donc le contenu des placards et des tiroirs environnants, sans rencontrer davantage de succès.

— Bon sang !

Le jeune homme fit claquer le dernier tiroir. Contre toute attente, il entendit un son de roulement suspect et le rouvrit aussitôt. Un examen plus approfondi révéla alors un double-fond bien dissimulé. La cache contenait une batterie stellaire, une capsule identique à celles dont il avait l'habitude. Inactivé, cet outil se révélait étonnement inerte : il ne pouvait pas utiliser la charge énergétique contenue à l'intérieur, ni même la voir.

Un Sauvage passera à côté, mais pas le réfugié qui sait ce qu'il cherche.

Avec la batterie, il mit également la main sur un gros carnet manuscrit, aux pages abimées à force d'avoir été tournées. Sur la première, une succession de chiffres et de lettres était encadrée en rouge. Chris fit démarrer la console et tomba sans surprise sur un écran de connexion. Il entra le code indiqué dans le carnet et un éventail de cases numérotées de trois à quatorze s'afficha.

Les Arches les plus proches, peut-être...

Après une brève hésitation, le jeune homme sélectionna le numéro 6, l'Arche mentionnée par Démétra pour les accueillir. L'ordinateur proposa alors deux options : "se connecter" ou "appeler". Chris éplucha rapidement le calepin, mais ne trouva qu'une suite de compte rendus des activités de la base, aucun autre code. Celui de l'écran de démarrage ne donna rien.

Ce verrou doit s'adresser à ceux qui viennent occuper les lieux. Il me reste la possibilité de contacter l'Arche...

Machinalement, le jeune homme regarda derrière lui, dans la direction où la renarde l'attendait, ou du moins l'espérait-il. En le conduisant là, elle lui offrait un choix, une ultime chance de revenir vers la civilisation. Peut-être aussi qu'elle voulait se débarrasser de lui.

Après tous ses efforts pour communiquer ?

Son principal problème demeurait inchangé : comment se justifier ? Quelle que soit l'Arche à laquelle il s'adressait, les crimes dont on pouvait l'accuser étaient gravissimes. Il espérait de l'aide, pas une exécution sommaire. Cependant, l'autre choix conduisait à des incertitudes plus importantes encore. En soupirant, Chris pressa le bouton "contact".

Une nouvelle ligne s'afficha sur l'écran, l'invitant à patienter. Le jeune homme se laissa tomber sur la chaise voisine et entreprit de feuilleter plus attentivement le carnet dont il s'était emparé.

Quelques minutes s'écoulèrent sans que rien ne bouge. Les écrits mentionnaient des découvertes effectuées dans la ville antique. Ils rapportaient les progrès des fouilles, remontant jusqu'à la fondation de cette entreprise. Le comportement des membres des équipes impliquées était mis en exergue, de même que divers évènements jugés notables. L'écriture changeait à intervalle régulier, suivant sans doute les changements de commandant.

Ne lisant qu'en diagonale, Chris passa rapidement sur le début pour s'intéresser aux évènements les plus récents. Un nom en particulier attira son attention : un certain "major Taller" avait prélevé un échantillon d'eau dans une source numérotée B22. Par la suite, il trouva quelques autres occurrences, comme "Le sergent Biggs et le major Taller ont trouvé une arme antique fonctionnelle. La rapportons pour étude."

La dernière mention du major arrivait juste avant que la plume ne change une nouvelle fois : Le major Taller a capturé un local à proximité de la base. Sujet de sexe féminin, jeune et en bonne santé. Le ramenons avec nous pour étude."

— Un quoi ? Une Sauvage ?

Chris feuilleta les pages suivantes, mais le texte ne mentionnait plus ce sujet.

Une jeune Sauvage, capturée ici... Impossible ! Ne me dites pas que...

Un grésillement interrompit ses réflexions, il leva les yeux sur l'écran du poste de commande. le cadre de communication clignotait en vert.

« Ici Arche VI, Centre de Recherche 33, vous m'entendez ? Centre de Recherche 33, identifiez-vous. » exigea une voix masculine, légèrement hachée.

Le jeune homme sauta aussitôt sur ses pieds.

— Ici Centre de Recherche 33, je vous entends ! Je vous entends ! Je suis...

"Capturé un local à proximité de la base", qu'est-ce que ça pouvait vouloir dire ?

« Centre 33 ? Centre 33, je ne vous reçois pas bien, veuillez répéter » insista la voix.

Chris mit le poste informatique hors tension. Il regarda l'écran s'éteindre en secouant lentement la tête.

Ils m'ont mentis. Ils disaient que les Sauvages en détention étaient des terroristes, capturés à l'occasion d'attaques contre les Arches ou des voyageurs pacifiques à la surface. Pacifiques... les habitants des Arches peuvent-ils l'être ? Le seul crime de la jeune femme évoquée ici serait d'avoir été au mauvais endroit au mauvais moment. S'agissait-il vraiment de la renarde ?

Il aurait été si simple d'ignorer cette découverte, mais Chris savait au fond de lui qu'il en était incapable. Ses hésitations avaient été balayées en un instant, tout avait changé. Il ne pouvait plus retourner vers cette "civilisation".

Pas pour le moment, en tous cas.

Lily en était-elle consciente ? Que savait-elle de l'injustice dont les Sauvages étaient victimes ? De la manière dont son peuple revendiquait sa supériorité sur les autres ?

"Sauvages", Chris ne devait plus penser à eux ainsi.

En lui, quelque chose venait de se briser. Un fossé s'imposait désormais entre lui et les habitants des Arches. Un gouffre qui le séparait de Lily. Quelles étaient ses chances d'ouvrir les yeux de la jeune femme ? Il devrait pourtant se raccrocher à cet espoir pour continuer à avancer.

— Mais avant d'en arriver là...

Après avoir jeté un dernier regard au matériel exposé dans le bureau, le jeune homme s'en détourna et partit rejoindre la renarde. Lorsqu'il atteint son promontoire, elle leva des yeux inquisiteurs sur lui.

— Quel est ton nom ? questionna-t-il en retour.

Sans marquer de changement visible en surface, la jeune femme le dévisagea un moment. Chris finit par sentir le picotement caractéristique d'un contact mental, une image se dessina.

— Louve Indomptable ?

La renarde lui adressa un sourire carnassier que n'auraient pas renié l'animal évoqué.

— Louve, j'aimerais découvrir ton monde.

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