Chapitre 25 : Baptême (1/2)
Alors que le jour déclinait, leur destination apparut enfin. Niché au cœur d'une petite vallée, Chris découvrit un petit lac dont la forme lui évoqua l'image d'un papillon aux ailes déployées. Sur les rives, dégagées de végétation, il distinguait nettement le découpage de multiples parcelles de terre arable ou de pâturage. Quelques dizaines de mouton paissaient paisiblement. Le jeune homme distingua également un système de canaux, alimenté par les ruisseaux environnants, qui parsemaient les cultures.
Le village de la renarde lui-même se tenait sur la péninsule qui surmontait la tête du papillon. En lieu et place des cabanes qu'il avait imaginées, il s'agissait d'un alignement très ordonné de maisons en pierre blanche, surmontées de toits gris anthracite — peut-être de l'ardoise. Chris repéra un ponton contre lequel reposaient des embarcations modestes, ainsi que quelques habitants qui s'y affairaient.
Cette fois, plus de marche arrière possible.
Dans l'agglomération, une seule structure se détachait des autres : un grand bloc hexagonal, érigé au bord de l'eau. Cette structure, dorée, dominait toutes les autres et occupait une surface au sol quatre à cinq fois supérieure à la demeure la plus importante. Évidemment, tout était relatif : dans un stade de mechaball, une vingtaine de constructions similaires auraient tenu sans difficulté !
Chris sentit sa compagne lui serrer la main. Louve Indomptable sourit avant d'entamer la descente, calmement, sans se presser. Le jeune homme la regarda en fronçant les sourcils.
À sa place, je dévalerais la pente en hurlant de joie...
Un sentier traversait les champs, donnant au jeune homme l'occasion d'apprécier de plus près le travail du peuple de la surface. La terre avait été retournée récemment, une charrue attendait encore en bordure de chemin. Cet outil, à atteler à des mules ou des bœufs, correspondait à ce que Chris connaissait de l'agriculture médiévale.
Le jeune homme secoua la tête de dépit : aucun de ses efforts pour se changer les idées ne donnerait de résultat. Il se fichait bien de ces questions ! Il sentait la pression monter à chaque pas ! Qu'allait-il advenir de lui ? À quel accueil s'attendre ?
À mesure qu'ils approchaient, un groupe d’une trentaine de personnes se rassembla en bordure du village. Ils étaient vêtus en adéquation avec la charrue, avec des tuniques et des pantalons bouffants aux couleurs ternes. Le groupe se révélait parfaitement hétéroclite en matière d'âge, de sexe ou encore de teinte de peau. Un vieillard plié en deux côtoyait une femme qui portait son nourrisson contre son sein. Chris remarqua que chaque femme tenait un bâton qui avait sensiblement sa taille, tandis que les hommes restaient les mains ballantes.
Louve Indomptable s'arrêta à quelques mètres de la troupe restée immobile et le jeune homme l'imita, deux pas en arrière. Un individu d'âge moyen se fraya un chemin parmi les villageois. Il s'agissait d'un sacré colosse ! Si la taille de Chris avait toujours été au-dessus de la moyenne, celui-là le dominait encore d'une tête. Pourvu de larges épaules carrées et de muscles particulièrement saillants, le géant arborait une barbe touffue et des cheveux couleur rouille mi-long qui dissimulaient légèrement ses traits rustauds.
Lorsque le Goliath eut atteint le premier rang, Louve et lui se dévisagèrent un long moment, au point que Chris sentit la pression de l'air s'accroître. Il commençait à se demander s'ils ne feraient pas mieux de filer lorsque sa compagne se décida enfin. Elle s'élança, fonça sur le colosse pour se jeter autour de son cou. L'homme la fit tournoyer au-dessus de lui comme si elle ne pesait pas plus qu'une brindille ! Lorsqu'il la reposa, avec une délicatesse étonnante, il l'embrassa. Un vrai baiser, fougueux, auquel la renarde répondit avec une avidité évidente.
Cette scène constitua une douche froide pour Chris, qui sentit croître en lui une pointe de jalousie parfaitement injuste. La jeune femme avait quelqu'un dans sa vie qui attendait son retour ? Grand bien lui fasse ! Il avait Lily, lui ! Des pensées ne l'aidèrent pas à se défaire de son malaise.
S'arrachant de force à la contemplation du couple, Chris étudia les autres villageois. Nombreux parmi eux le dévisageaient, l'air intrigués, surtout parmi les plus jeunes. Une fillette, accrochée aux jupes de sa mère, lui adressa un sourire timide. D'autres régirent de la même manière, mais bien souvent leur expression s'effaçait presque aussitôt pour laisser place à des mines circonspectes. Il lui fallut un instant pour comprendre ce qui se passait.
Bien sûr ! La renarde les a contactés tandis qu'on approchait, c'est pour ça qu'ils ont réagis si vite ! Et maintenant, ils tentent de me parler... sans y parvenir.
Son esprit était "fermé", selon Louve. Ce qui signifiait, du moins d'après sa théorie, que communiquer avec lui demandait un effort particulier. Il s'agissait d'un acte violent, pas naturel pour ces gens habitués à communiquer sans y penser.
Rassemblant tout son courage, Chris fit un pas en avant.
— Heu... Bonjour ? tenta-t-il.
La réaction ne se fit pas attendre. Tous ouvrirent des yeux ronds, puis les hommes firent barrage de leurs corps devant les plus jeunes. Les femmes furent les plus surprenantes : elles avancèrent dans un bel ensemble. Le temps d'une respiration suffit pour que Chris soit cerné, menacé par une rangée de bâtons brandits comme s'il s'était agi de lances !
— Je ne vous veux aucun mal ! Je ne suis pas un ennemi ! s'écria le jeune homme.
Sa tentative lui gagna un coup de la part d'une femme d'âge mûr, charpentée comme un bûcheron. Elle le frappa si brutalement dans le dos qu'il mit un genou à terre. Chris chercha des yeux Louve Indomptable et découvrit qu'elle le fusillait du regard. Comme s'il avait fait quelque chose de mal ! Le compagnon de la jeune femme tenta de la tirer à l'écart, mais elle lui résista, un seul regard suffit à mettre un terme à ses efforts.
— Fais quelque chose ! Dis-leur ! lâcha Chris, d'une voix plus suppliante qu'il ne l'aurait voulu.
Avant que le jeune homme n'ait récolté une nouvelle ecchymose, tous les regards se tournèrent vers la renarde. Le colosse lui-même s'écarta d'elle. Chris n'avait pas besoin de la regarder pour savoir ce qui avait changé, elle rassemblait de l'Énergie Stellaire. Une boule d'énergie se rassemblait devant elle et Louve Indomptable braqua son regard dans celui du jeune homme.
C'est comme pendant mon entraînement...
Il eut à peine le temps d'arriver à cette conclusion que la construction fusait vers lui comme flèche mortelle. Mû par réflexe plutôt que par calcul, Chris se concentra sur le flux, en prit le contrôle sans rencontrer de résistance, puis renvoya l'attaque maladroite vers le ciel où elle se dispersa.
Les guerrières qui le tenaient en respect ne bougèrent pas, mais le changement dans leur attitude fut visible : elles hésitaient. Aucun regard dans l'assemblée ne quittait Chris, devenu l'attraction du moment.
Sans prévenir, tout le monde se détourna de lui pour regarder vers le village. Chris vit qu'une très vieille femme approchait. Petite et voûtée, avec des cheveux d'un blanc immaculé, elle trottinait en prenant appui sur un bâton trop grand pour elle comme s'il s'agissait d'une canne. Les hommes et les enfants s'écartèrent pour la laisser rejoindre le premier rang. La vénérable s'immobilisa à quelques pas de Chris et le dévisagea.
Il y a quelque chose d'étrange chez cette femme...
La démarche hésitante de la nouvelle venue était contredite par la fermeté de la peau de son visage et la vivacité de son regard, qui n'avait rien à envier à celui de la renarde. Inspecté des pieds à la tête, le jeune homme ne put retenir un frisson, comme si des aiguilles lui perçaient la peau.
La femme sans âge se tourna ensuite vers Louve Indomptable pour un échange silencieux. Tout du moins, c'était ce qu'il s'imaginait. À voir l'évolution de l'expression de tous ceux qui les entouraient — qui passèrent de la méfiance au choc —, il devina qu'il était peut-être le seul à ne pas entendre ce qui se disait.
Après un moment, le colosse aux côtés de la renarde fit un pas en avant et s'imposa entre les deux interlocutrices. Ces dernières lui adressèrent des regards ardents dans un bel ensemble, si courroucées que, aussi incroyable que ça puisse paraitre, le géant recula en se ratatinant comme s'il avait l'intention de disparaître. Dans la foulée, Louve Indomptable se tourna vers Chris.
« Suivre »
Le contact était familier, de même que la consigne. Le jeune homme ne lambina pas et se pressa dans les pas de la renarde et la vieille femme, qui prirent la direction du village. Les autres villageois leur ouvrirent un passage avant de leur emboîter le pas, maintenant une distance de sécurité avec Chris. Il remarqua que les femmes, en particulier, ne le quittaient pas des yeux. Lorsqu'il regardait dans la direction de l'une d'elle, celle-ci dressait son bâton d'un air menaçant.
Pourquoi des bâtons, d'ailleurs, s'ils sont tous capables d'utiliser l'Énergie Stellaire comme une arme ?
Le groupe avançait dans un silence pesant. Il aurait donné cher pour savoir de quoi ces gens parlaient entre eux. Qu'avait pu dire la renarde ?
Un muret d'environ un mètre de haut ceignait le village. Il était couvert de dessins approximatifs de maisons, de plantes ou d'animaux, clairement l'œuvre d'enfants.
La rue principale partait en ligne droite vers le grand bâtiment aperçu plus tôt. Il fut vite évident que ce dernier constituait leur destination. La construction lui apparaissait désormais dans toute sa splendeur : semblable à pyramide méso-américaine, la structure montait sur une quinzaine de mètres de haut et comprenait un escalier central. Louve Indomptable, le colosse et la vieille femme entamèrent l'ascension en lui faisant signe de les suivre. Le reste de son escorte s'immobilisa au pied du monument, vite rejoints par d'autres habitants venus de toutes les directions. Le jeune homme sentait leurs regards dans son dos tandis qu'il gravissait les ultimes marches qui le menèrent à un cabanon de pierre au sommet.
Annotations
Versions