Cinématique d'introduction
Le réveil sonne à six heures et demie comme chaque matin, et Dave l’écrase d’une main endormie en grognant avant de rabattre sa couette et de s’asseoir sur le bord de son lit. Il enfile son caleçon, prend des affaires propres et se rend à la salle de bain. Quand il en sort quelques minutes plus tard, vêtu d’un jean, d’un tee-shirt noir et d’un sweat à capuches, il retourne dans sa chambre récupérer son sac avant de descendre au rez-de-chaussée de la maison de ses parents. Devant la porte d’entrée, il enfile ses chaussures et s’apprête à sortir quand sa mère l’appelle.
— Tu pars déjà ?
Dave soupire.
— Oui maman.
— Tu ne prends pas de petit déjeuner ?
— Plus depuis la sixième, maman… Tu comptes me le demander tous les jours ?
Une femme en tailleur sort de la cuisine, une tasse fumante à la main.
— Mon chéri, c’est mauvais pour ton développement de ne pas prendre de petit déjeuner.
— M’man, j’ai sport ce matin, je ne veux pas risquer de vomir…
La femme hausse un sourcil.
— Ce n’est pas en sautant des repas que tu vas te développer. Tu t’es regardé ? Tu es chétif, tu te tiens voûté et tu as toujours la tête baissée… On dirait un dépressif.
Dave roule les yeux vers le haut.
— Voilà, t’as tout juste, je suis dépressif… Ma mère me déprime à croire que j’ai encore trois ans. Je ne suis plus un bébé, tu sais ?
Sa mère vient l’enlacer avant de déposer un baiser sur sa joue.
— Tu seras toujours mon bébé. Tu as de l’argent pour le déjeuner ?
Dave se dégage de l’étreinte de sa mère avant de sortir un billet de vingt dollars de sa poche, et sa mère reprend.
— Et tu as des copains avec lesquels déjeuner ?
— Maman, mais arrêtes, c’est pénible…
— Mais tu es toujours tout seul, je m’inquiète, moi… Pourquoi tu ne déjeunerais pas avec Josh ? Ou avec la belle Sarah Miller ? Je l’ai croisé hier soir, c’est devenu une très jolie jeune femme, tu sais.
Elle appuya ses propos d’un regard lourd de sous-entendus et Dave soupira de plus belle.
— Josh n’a pas le temps, il est tout le temps avec son équipe de sport. Quant à Sarah, elle a arrêté de me parler depuis qu’on est entré en Junior High School* et qu’elle a découvert ce qu’était la notoriété.
Sa mère parut triste quelques instants avant de se reprendre.
— Allez, ce n’est pas grave mon chéri, je suis sûr que tu vas te faire plein de nouveaux amis cette année.
Dave soupira de nouveau.
— Maman, je rentre en Senior Year*, et je ne change pas d’établissement scolaire. Les probabilités que subitement je devienne populaire ou qu’il y ait un nouvel élève qui ne me connaît pas, ne s’arrête pas sur les rumeurs et les ragots, et me trouve sympa sont quasi nulles… Mains ne t’inquiète pas, ça me va bien.
Il s’apprête à partir quand sa mère le retient.
— Tu sais, l’année dernière le proviseur nous a appelés plusieurs fois pour nous dire que tu te faisais brutaliser par tes camardes… Tu veux en parler ?
Dave insiste pour essayer d’ouvrir la porte, en vain.
— Mon chéri… Ton père et moi nous inquiétons pour toi… Tu passes tes soirées et tes week-ends enfermé dans ta chambre sur tes jeux vidéo à écouter ta musique violente… tu ne vas pas préparer une fusillade de masse ou te suicider ?
Dave se tourne vers sa mère, les yeux grands ouverts sous le coup de la surprise.
— Attends, t’es sérieuse ?
Sa mère le dévisage en pinçant les lèvres et il reprit.
— Linkin Park, ce n’est pas violent ! Les jeux vidéo, il a été prouvé que ça ne rendait pas violent, mais que ça accroissait la coordination main/œil et que ça faisait travailler la logique et la mémoire. J’ai un autocollant antiport d’armes sur mon vélo et l’église nous enseigne que se suicider c’est finir droit en enfer, ce qui à l’instant signifie pour moi finir ma vie avec vous !
Sa mère porte une main à son cœur, visiblement choquée, avant de balbutier.
— Mais, mon chéri… Nous nous inquiétons juste pour toi…
— Ouais, bah pas la peine. Tant que je ramène le prix d’excellence à la fin de l’année, c’est que tout va bien. Après, j’aurais la fac de mon choix et je partirais loin de tous ces cons. Maintenant, si tu le permets, je voudrais pouvoir aller en cours.
Sa mère s’écarte doucement de la porte et Dave sort de la maison avant de rabattre sa capuche sur sa tête et de planter ses écouteurs sans ses oreilles puis de prendre la route tandis que Linkin Park commence à chanter Numb. Il marche sereinement pendant les quinze minutes qui séparent le quartier pavillonnaire de ses parents du High School* avant de s’immobiliser face au bâtiment sur le trottoir d’en face. Il hésite à faire le pas le séparant de sa dernière année. Il ne s’inquiète pas pour ses résultats scolaires qui ont toujours été excellents, mais est terrifié à l’idée d’être encore malmené par les gros bras de l’équipe de sport, car même si chaque année apporte son lot de viande fraîche pour ces tyrans, ils reviennent toujours vers lui comme s’il était leur amour de jeunesse. Il est perdu dans ses pensées quand une voix le ramène à la réalité.
— Tu devrais y aller pendant qu’ils sont accaparés par les nouveaux.
Dave tourne la tête sur sa gauche avant de regarder un peu plus haut, pour faire face à un grand noir musclé portant la veste de l’équipe de sport.
— Oh, salut Josh… Tu n’as pas peur qu’ils s’en prennent à toi parce que tu me parles ?
Le sportif hausse les épaules.
— Je suis un senior, comme toi, maintenant. Ils ne me diront rien. Tant que c’est exceptionnel… Tu sais, j’essaie vraiment de les faire te laisser tranquille, mais…
Dave bougonne.
— Ne t’inquiète pas pour moi… Préoccupe-toi de ton image de marque.
Il se met en route bien que Josh l’appelle et ne se retourne pas, ne s’arrêtant que devant son casier dans lequel il range les affaires dont il n’aura pas besoin, puis se dirige vers le gymnase où le proviseur va bientôt donner son discours de début d’année.
Une fois la corvée finie, il se rend à son premier cours de la journée et passe ses deux heures à souffrir sur des épreuves d’athlétisme jusqu’au moment de la douche délassante annonçant le retour à une journée normale. Quand enfin arrive la pause du déjeuner, il se dirige à son casier et y vide son sac en songeant aux instants à venir. Quand il referme la porte, il découvre, caché derrière elle, Robert Deville, un sourire sadique au visage, et le reste de l’équipe de sport dont Josh, les yeux baissés, et de quelques pompom girls.
— Salut Dave.
D’un ton morne et blasé, celui-ci répond.
— Salut Bobby.
— Tu sais ce qu’il va se passer, pas vrai ?
Dave met sa main dans la poche et en sort son billet de vingt dollars.
— Tiens, bon appétit.
Robert s’en empare en rigolant avant de partir en poussant Dave d’un coup d’épaule sous les rires et commentaires désobligeants de ses camarades. Sans un mot, Dave part à l’opposer pour se diriger vers une petite porte à côté de l’entrée du bâtiment à laquelle il frappe trois fois.
— Monsieur Smith ? C’est Dave.
La porte s’ouvre presque immédiatement et un homme d’âge mûr lui sourit.
— Bonjour, Dave, entre. J’ai fait des pâtes, tu en veux ?
— Avec plaisir…
— Robert t’a encore piqué l’argent de ton déjeuner, n’est-ce pas ?
Dave hausse les épaules.
— De toute façon je préfère déjeuner avec vous.
— Ben tiens… Il y a pourtant tellement mieux à faire que de déjeuner avec un vieil homme comme moi…
— Non, vous êtes quelqu’un de très gentil et plein d’histoires intéressantes.
Dave l’observe à la dérobé. Monsieur Smith est grand et a une forte stature laissant supposer qu’il était très musclé étant plus jeune, mais malgré tout, ses longs cheveux blancs et sa barbe fournie lui donnait des allures de dieu nordique qui avaient toujours fasciné le jeune homme.
— Comment va votre petite fille ?
— Lucie ? Elle est venue me voir pendant les vacances, c’était agréable. Mais là, elle est retournée sur son campus.
Dave affiche un sourire compatissant. Son fils et sa belle-fille étaient morts quelques années auparavant, et il avait dû retrouver un travail pour subvenir aux besoins de sa petite-fille, lui versant chaque mois la quasi-totalité de son salaire pour s’assurer qu’elle ne manquerait de rien à l’université, se contentant de vivre avec sa petite retraite.
— Allez, assois-toi, veux-tu ?
Dave se dirige vers la table dressée pour deux personnes en souriant.
— Vous voyez, vous aussi vous espériez ma visite.
Déposant le plat de pâtes sur la table, monsieur Smith répond en souriant.
— C’est vrai. Mais j’espère aussi chaque jour te voir prendre ta vie en main et t’affirmer un peu… Quand cesseras-tu de te laisser faire par ces crétins ?
Se servant dans le plat, Dave répond, laconique.
— Quand j’aurai réussi mes études, ils tondront mon gazon et nettoieront ma piscine.
— Tout un programme de vengeance à long terme.
— Oui, mais pour ça je dois être patient…
Le vieil homme retourne dans sa cuisine avant de revenir avec une bouteille de soda et un boîtier de disque laser qui attire le regard de Dave.
— C’est quoi, ça ?
Monsieur Smith sourit et lui tend la boîte que Dave saisit avant de lire l’avant du boîtier.
— Réalité Virturéelle, le jeu d’une vie.
Retournant la boîte, il reprend sa lecture.
— Ce RPG* révolutionnaire vous catapultera en terres de Pangée, 7500 ans après le départ des Anciens Dieux pour leur Île Domaine, et 2750 après l’avènement de l’Empire, dans une histoire folle vous permettant de révéler votre vraie personnalité dans le jeu le plus immersif qui soit.
Le Roi Noir, tyran de l’île des Démons, autrefois vaincu par les Anciens Dieux peu avant leur départ du Monde des hommes, revient essayer de dominer le monde en souillant tout et tout le monde.
Choisissez votre nation et votre classe, et lancez-vous à l’aventure pour sauver les Terres de Pangée en vous révélant à vous-même. Eh bien, tout un programme… D’où vous sortez ça ?
Le concierge s’assoit et remplit deux verres avant de répondre.
— C’est le dernier jeu vidéo que j’ai développé avant ma retraite.
— C’est vrai que vous étiez développeur. Pourquoi je ne l’ai jamais vu dans le commerce ? C’est resté à l’état de bêta-test ?
Monsieur Smith fait non de la tête.
— Je l’ai développé sur mon temps libre. Je voulais le faire pour mon fils… Mais il n’y a jamais joué… Alors je te l’offre à toi.
Dave hausse les sourcils d’étonnement avant de regarder le jeu encore une fois.
— Et bien, merci beaucoup. Je vais l’essayer dès ce soir.
Il s’apprête à le ranger dans la poche de son sweat quand son hôte l’interrompt.
— Attention, Dave, ce jeu a été conçu différemment des autres jeux. Il est… Très immersif, et changera radicalement ta vision de toi-même. Peut-être même ta vie.
Dave fronce les sourcils en observant le vieil homme, subitement inquiet pour sa santé mentale.
— Bien… Je ferais attention alors…
— je te promets que tu ne seras pas déçu. Allez, à table.
Ils déjeunèrent en parlant des vacances d’été jusqu’à ce que Dave doive retourner en cours, puis celui-ci attendit calmement que la journée se termine en milieu d’après-midi. À quinze heures, il quitte l’établissement scolaire et une demi-heure plus tard il s’installe devant son ordinateur pour y brancher un lecteur cédé via une prise USB et y insérer le cadeau de son vieil ami tout en contemplant la jaquette du jeu sur laquelle deux guerriers se tenant dos à dos faisaient face à une armée de démon les encerclant, surplombée par un immense dragon aux ailes déployées.
— Bien… Bah, on va voir ce que ça vaut. Et puis j’aime bien le rétro gaming.
L’ouverture automatique du jeu se fait, et Dave lance le setup, configurant les paramètres de base du jeu après en avoir lancé l’installation. Cinq minutes plus tard, un écran noir traversé par deux haches se croisant au centre d’un bouclier apparaît à l’écran.
— Voyons voir. Config, c’est parti.
Pendant cinq minutes de plus, Dave configure le reste du jeu, réglant les paramètres visuels, graphiques et sonores avant d’attribuer les touches de son clavier, puis il clique sur l’icône Démarre une nouvelle partie.
Junior High School/Middle School : Correspond en France au collège, allant de la sixième (6 th grade) à la quatrième (8 th grade)
Senior Year/12th grade : Terminale en France
High School/Senior High School : Correspond en France au lycée, allant de la troisième (9 th grade) à la terminale (12 th grade/senior year)
RPG : Role Playing Game/Jeu de Rôle, technique ou activité, par laquelle une personne interprète le rôle d'un personnage (réel ou imaginaire) dans un environnement fictif.
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