Le grand banquet

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                Dave et Astrid rentrèrent au village sous les acclamations de ses habitants avant de se rendre sur la place de celui-ci où les attendaient le roi et le grand mage. Quand ils descendirent de leurs chevaux pour s’approcher d’eux, le grand mage se raidit en ouvrant de grands yeux étonnés avant de se pencher vers le roi pour lui murmurer à l’oreille. Celui-ci ouvrit de grands yeux à son tour avant de s’avancer d’un pas déterminé vers Dave qui s’immobilisa tandis que la foule se taisait.

                — Il vient vers moi… Pourquoi il vient vers moi comme s’il était énervé ? Astrid ?

— Je ne sais pas… Ne fais rien de stupide, reste immobile.

— Ça, ça ne sera pas compliqué…

                Dave se tenait droit, figé par la peur, quand le roi l’atteignit. Il lui saisit un bras, retroussa sa manche et s’exclama.

— Par tous les Anciens Dieux !

                Il leva le bras de l’apprenti aventurier en s’écria.

— Il a les bracelets ! Il a les bracelets !

                Subitement, une explosion de joie traversa les témoins de la scène qui se mirent à acclamer le héros.

— Comment as-tu pu t’en saisir ?

                Dave dansait d’un pied sur l’autre, hésitant quand à la réponse à donner quand Astrid intervint.

— C’est Guerre en personne qui les lui a remis.

                Le silence se fit une nouvelle fois et le grand mage vint les rejoindre.

— Es-tu sûre de ce que tu affirmes, Astrid la Vagabonde, fille d’Ingrid ? Es-tu bien sûre de ce que tu dis ?

                Elle acquiesça avant de répondre.

— Un géant de presque quatre mètres à la peau de bronze et aux cheveux de feu, aux yeux noirs et aux muscles de taureau, une voix puissante et pleine d’autorité. Et, il m’a remis ceci aussi.

                Elle retira le marteau de guerre de son dos et le brandit vers le ciel sous les murmures fascinés des spectateurs.

— Le marteau de guerre de Sol… Pas de doute, mon roi, c’était bien Guerre. Astrid, a-t-il dit autre chose ?

— Oui. Il a fait de Dave son champion et lui a donné une quête, celle de trouver le temple de Sol.

                Tous dévisagèrent Dave, les yeux et la bouche entrouverts, avant de se reprendre en hurlant à l’unisson.

— Le champion de Guerre ! Le champion de Guerre !

Ils vinrent se saisir de lui et le porter à bout de bras pour le conduire jusqu’au hall de la victoire             dans lequel ils le posèrent en continuant à scander son nom jusqu’à ce que le roi arrive à son tour, accompagné d’Astrid et du grand mage. Il les guida alors jusqu’au bout d’une immense table en bois encadrée de bancs excepté à cette extrémité où quatre grandes chaises en chêne ouvragées les attendaient. Le roi s’y installa avant d’inviter le grand mage à s’asseoir à sa droite et Dave à sa gauche, ne laissant plus à Astrid que la possibilité de s’asseoir aux côtés du mage. Une fois que ce fut fait, les villageois s’installèrent majoritairement autour de la table alors que quelques-uns apportaient des fûts d’hydromel pour commencer à remplir les cornes et les choppes de chaque convive. Quand tous furent servis, le roi se leva, sa choppe à la main.

— En ce jour de joie, fêtons l’avènement d’un nouveau champion de Guerre, et d’une des filles de Nordie ayant été bénie par notre dieu tutélaire !

                Les Nordiens levèrent leurs récipients en criant leur enthousiasme avant de vider le tout d’une traite puis frapper la table du poing. Astrid se pencha en avant pour observer son comparse en rigolant. Celui-ci était rouge écarlate et se retenait visiblement de tousser quand le roi le dévisagea.

— Tout va bien ?

                La voix étranglée de Dave lui répondit.

— Ouais, ouais, nickel… C’est de la bonne… Je crois que j’ai la trachée qui fond, mais sinon, ça va…

                Le roi et le mage échangèrent un regard dubitatif alors qu’Astrid rigolait.

— Tu es vraiment quelqu’un à part, Dave.

— On va dire que c’est un compliment…

                Deux hommes à la forte carrure et aux bras couverts de cicatrices apportèrent un cerf cuit à la broche en coupant court au débat. Pendant un long moment, Dave mangea en silence et sans même un regard pour tous les hommes et femmes attablés devant lui quand le roi se pencha vers lui.

— Tu es sûr que tout va bien, étranger ?

— Appelez-moi Dave, s’il vous plaît.

— Soit. Tu es sûr que tout va bien, Dave ? Tu es bien silencieux.

— Je ne me sens pas à ma place…

                Le roi fronça les sourcils avant de demander.

— Mon banquet ne te fait pas assez honneur ?

                Dave ouvrit de grands yeux en comprenant la méprise, et se dépêcha de répondre.

— Non, bien au contraire ! Je n’ai pas l’habitude d’être porté aux nues… Et quand je vois les guerriers présents ici, je me dis que s’il n’y avait pas cette loi interdisant aux Nordiens de pénétrer librement dans la grotte sacrée, ces gantelets appartiendraient maintenant à quelqu’un d’autre…

                Le roi posa une main ferme sur le bras du jeune homme avant de planter son regard dans les yeux de Dave.

— Écoute-moi, Dave. Foi de Wulfrich, si c’est toi que Guerre a choisi, alors personne n’aurait réussi. Les gardes squelettes ne les auraient pas laissé passer.

— Dans ce cas, pourquoi moi ? Je veux dire, je ne suis pas un guerrier dans l’âme, et je pense que ça se voit. Je ne suis pas bâti comme vous autres, et vous avez bien vu que je tremblais de peur quand j’ai suggéré d’aller dans la grotte pour vous…

                Wulfrich acquiesça.

— C’est exact. Mais je t’ai vu aussi plonger au cœur de la mêlée face aux démons et faire le choix d’attirer leur attention pour que mes hommes puissent se replier, tout comme je t’ai vu les poursuivre sur la palissade avant d’accourir nous aider à juguler l’incendie. Tu n’es peut-être pas un barbare Nordien, ni même un guerrier Empiréen, mais tu as du cœur. Astrid m’a dit que tu considérais l’avoir sauvé égoïstement, mais pour mon village, qu’en est-il ?

                Dave pinça les lèvres.

— Je n’en sais rien… J’ai suivi Astrid et j’ai agi à l’instinct… J’ai pensé aux gens en danger, et tout s’est fait tout seul…

— Je vois… Sais-tu de quoi Guerre est le dieu ?

                Dave réfléchit quelques instants avant de répondre.

— Astrid me l’a expliqué… Les conflits, la guerre et l’honneur, c’est bien ça ?

— Exactement. L’honneur. Tu as agi en homme d’honneur, prêt à te sacrifier pour le bien des autres. Et je pense que c’est pour ça que Guerre a fait de toi son champion.

— Alors j’espère qu’il ne sera pas déçu…

— Personnellement, je n’en doute pas.

                Astrid vint se planter aux côtés de Dave en souriant.

— Mon roi, puis-je vous enlever le héros de la soirée ?

— Bien entendu Astrid, après tout, il ne m’appartient pas.

— Merci mon roi. Toi, viens avec moi.

                Elle le prit par la main et le força à quitter la table en le traînant derrière lui sans l’écouter tandis qu’il manifestait son incompréhension avant de remonter la table jusqu’à l’extrême opposé pour l’immobiliser devant un couple d’une quarantaine d’années.

— Voilà, je voulais te présenter à ce couple.

                Dave la dévisagea, essayant de comprendre ce qui avait pu lui passer par la tête quand elle reprit.

— Papa, maman, je vous présente Dave, champion de Guerre et sauveur de votre fille.

                Le jeune homme se figea immédiatement tandis que le couple se levait pour l’étreindre en le remerciant chaleureusement. Après quelques instants que Dave trouva très embarrassants, ils s’éloignèrent de lui et le père d’Astrid le saisit par les épaules.

— Dave, nous ne saurons jamais assez vous remercier pour ce que vous avez fait. Depuis que notre princesse a décidé de courir l’aventure à travers le monde, nous n’avons de cesse de nous inquiéter pour elle, et nous sommes rassurés de la savoir bien protégée.

                Dave lança un regard sadique à sa camarade avant de répondre.

— Oh, je me suis simplement trouvé au bon endroit au bon moment, vous savez… Votre… Princesse… S’en sortait très bien sans moi. N’est-ce pas, princesse ?

                Astrid le fusilla du regard, en vain. Dans les yeux de Dave brûlait une malice revancharde que rien n’aurait pu éteindre. Il décida néanmoins de ne pas pousser la plaisanterie plus loin et reprit calmement.

— Je ne connais pas vos noms, vous êtes ?

                Le père d’Astrid, un homme mesurant presque deux mètres à la peau burinée par le soleil, aux larges épaules et aux muscles saillants, à la longue chevelure blanche et à la barbe fournie, sourit à travers celle-ci tandis que ses yeux bleus brillaient de joie.

— Je me nomme Baldur le trappeur, meilleur chasseur du village, et voici mon épouse, Ingrid la Guerrière Sans Peur, meilleure guerrière du village et cheffe de la garde royale.

                Ingrid ressemblait à sa fille en plus âgée. Une carrure similaire quoiqu’un peu plus musclée, ses taches de rousseur étaient plus nombreuses que celles d’Astrid, mais ses yeux verts brillaient de la même intelligence, et sa longue chevelure rousse dans laquelle perlait ici et là quelques cheveux blancs semblait aussi douce que la longue crinière blonde de sa fille. Quand elle lui sourit, Dave découvrit les mêmes faucettes au creux des joues que chez son acolyte ainsi que quelques pattes-d’oie aux coins des yeux.

— Madame, il semblerait que votre fille ne soit que votre reflet en plus jeune.

                Ingrid se mit à rire d’une voix puissante et claire.

— Attention, Baldur, cet homme est un charmeur. S’il ne ravit pas le cœur de notre fille, il volera le mien.

                Dave haussa les sourcils avant d’ajouter.

— Si seulement Astrid avait votre sens de l’humour… Aïe !

                L’intéressée venait de lui taper derrière la tête en criant.

— Et là, tu le sens bien, mon sens de l’humour ? Imbécile !

                Baldur et Ingrid rigolèrent à l’unisson avant que la femme reprenne.

— Vous allez si bien ensemble.

— Maman !

                Astrid dévisageait sa mère, profondément choquée, avant de continuer.

— J’ai une dette d’honneur envers lui, c’est tout !

— Alors, pourquoi avoir tenu à nous le présenter ?

— Pour que vous rencontriez mon sauveur, cela va de soi.

                Dave enchaîna.

— Je suis certain qu’elle se passerait volontiers de ma présence, et dès que sa dette sera réglée, elle retrouvera sa liberté. Peut-être même avant, si elle continue de me frapper…

                Astrid s’en prit alors verbalement à lui et Dave se défendit comme il le put sous les regards hilares des parents. Plusieurs heures plus tard, Dave se tenait au fond de la salle adossé à une poutre tout en buvant une chope de cervoise quand le grand mage s’approcha.

— Champion de Guerre, puis-je m’entretenir avec toi ?

                Dave lui sourit.

— Appelez-moi Dave, je vous en prie. Eh oui, avec plaisir, puisque j’espérais moi-même vous parler. Je vous écoute.

— Suis-moi, en ce cas.

                Le vieil homme le guida jusqu’à une petite table ronde non loin du feu et prit deux chaises ainsi qu’un baril de cervoise avant de s’asseoir. Dès que Dave l’eut imité, il remplit leurs chopes respectives et rendit la sienne au jeune homme avant de reprendre en plantant son regard intense dans celui de son vis-à-vis.

— Je souhaite te parler de ta quête.

— Ça tombe vraiment bien alors, parce que je voulais vous demander votre aide. Vous semblez être le plus érudit du village, alors vous devez certainement pouvoir m’indiquer où se trouve le temple de Sol, non ?

                Le grand mage fronça les sourcils quelques instants avant de répondre.

— N’importe qui en Pangée pourrait te donner cette information. En fait, il est même surprenant que tu ne le saches pas toi-même, puisque tu es Empiréen.

                Dave soupira.

— Considérez que je ne sais rien, ce sera plus simple.

                Le grand mage se redressa en souriant.

— Mon garçon, sais-tu ce que je faisais avant d’être le grand mage du roi Wulfrich ?

— Non, mais je suppose que vous allez me le dire, pas vrai ?

                Le vieil homme sourit plus largement avant de s’expliquer.

— J’étais prêtre de Sol.

                Ce fut au tour de Dave de froncer les sourcils.

— Pourquoi être devenu grand mage d’un village Nordien dans ce cas ? Je veux dire, même s’il s’agit de la capitale, ce n’est pas la même chose que la capitale Empiréenne et le temple de Sol…

— Parce que j’ai eu une vision, mon garçon. Une vision de Sol, mon garçon. Une vision dans laquelle il me demandait d’attendre un jeune homme perdu et ignorant pour le guider. Un jeune homme étranger à ce monde.

                Dave se redressa lentement à son tour, subitement très concentré, tandis que le mage se caressait le menton du bout des doigts.

— Alors, dis-moi, Dave, que signifie étranger à ce monde ? Es-tu un dieu ?

                Dave l’observa quelques secondes avant de se mettre à rire sans pouvoir se contrôler. Au bout de quelques secondes toute fois, il parvint à suffisamment se ressaisir pour réussir à demander.

— Sérieusement, j’ai l’air d’un dieu ? Mec, je me suis fait lacérer le dos par un démon, et Astrid a jugé utile de me protéger face à Barn ! Si je suis un dieu, c’est celui qui fait pitié alors !

— Bien, alors que signifie étranger à ce monde ?

                Les rires moururent immédiatement dans la gorge du jeune homme. Il se redressa sur sa chaise, fixa sa choppe et la vida d’une traite avant de la reposer sur la table.

— Je ne sais pas… J’ai vécu dans un autre endroit, différent d’ici, beaucoup plus avancé technologiquement… Et c’est cette technologie qui m’a envoyé ici… Je ne sais pas comment vous l’expliquer… Dans mon monde, vous n’êtes pas réels, vous êtes le fruit de l’imagination d’un développeur… Et moi, je suis un élève qui se fait chahuter par des mecs comme Barn… puis pouf, je me retrouve ici alors que je voulais juste jouer à un jeu vidéo, et… Et voilà…

                Le mage se pencha vers lui avant de parler sur le ton de la confidence.

— Es-tu saoul ?

— Non, mais j’aimerais bien…

                L’homme se rassit au fond de sa chaise avant de sortir une pipe qu’il bourra de tabac pour l’allumer ensuite à une bougie et en tirer une épaisse fumée odorante. Il expira deux nuages grisâtres avant de murmurer.

— Sol m’avait bien dit que je ne comprendrais rien à tes explications…

                Il tira de nouveau sur sa pipe avant de recracher la fumée par le nez et reprit.

— De toute façon, tel n’est pas mon rôle…

— Alors quel est-il ?

— Te guider.

                Dave haussa un sourcil avant de répondre.

— J’ai Savoir pour ça. Et si je dis qu’elle me prend la tête, l’expression est vraiment appropriée.

— Non, mon garçon, je dois te guider dans ta quête.

— Oh…

                Le vieil homme encapuchonné sourit.

— Que sais-tu du temple de sol ?

— Qu’il est dans la capitale empiréenne, de mémoire.

— C’est exact. Et le palais de l’empereur en est adjacent, pour qu’il puisse facilement s’y recueillir et écouter les conseils de notre dieu tutélaire, à nous, les empiréens. Mais connais-tu la particularité de ce temps ?

                Dave fit une moue bizarre avant de s’hasarder.

— Ce n’est pas le vrai ?

                Le mage sourit.

— Tu as vu juste. Le vrai temple est sous le palais de l’empereur, et il n’y a que trois accès permettant de s’y rendre. Le faux temple, la chambre de l’empereur et la salle du trône. Sais-tu ce que cela signifie ?

                Dave, à qui la tête commençait à tourner du fait de sa cinquième choppe de cervoise, se concentra avant de répondre.

— Que je vais devoir m’infiltrer dans le temple ou dans le palais ?

                Le mage acquiesça lentement avant de sortir une grosse clé en bronze de sa bure.

— Ceci ouvrira la porte d’accès cachée dans le temple. Enfin, cachée… Derrière l’autel se trouve une statue de Sol, et derrière cette statue, la porte. C’est l’accès le plus facile à atteindre, mais aussi le plus à découvert.

                Dave prit la clé et l’observa sous toutes ses coutures, une grosse clé de forgeron en bronze semblant faire grossièrement, mais quand il se concentra dessus, il la découvrit recouverte de runes finement ciselées dans le matériau et recouvertes en leur creux d’une fine pellicule d’or.

— Et bah, c’n’est pas de la gnognotte, votre truc…

— Gnognotte ?

— Camelot… Peu importe. Merci, grand mage.

                Le vieil homme sourit.

— Je n’ai fait qu’accomplir mon devoir. Quand tu seras allé là-bas, accepteras-tu de venir me dire à quoi le temple ressemble ? Et, si tu as de la chance, à quoi Sol ressemble ?

— Bien sûr.

— Merci, Dave.

                Il prit les chopes et les remplit, puis ils trinquèrent avant de les vider d’une traite. Vingt minutes plus tard, Dave ronflait affalé sur la table.

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