Chapitre 6
Deirane avait adoré le spectacle à l’opéra. Dresil avait apprécié, mais elle en était ressortie exaltée. Elle n’avait jamais assisté à rien de tel. Ces voix magnifiques qui s’entremêlaient, les décors splendides, les costumes. Les artistes eux-mêmes, qui jouaient un rôle tout en chantant. Le tout, enveloppé dans une musique grandiose interprétée par un orchestre comme la jeune fille n’en avait jamais vu ni entendu avec peut-être une centaine d’instruments.
Pendant tout le retour, Dresil l'observait, légèrement surpris, mais ravi aussi, fredonner un air où il était question d’une personne qui devait prendre garde à un œil noir qui le regardait, ou quelque chose comme ça. Il n’avait pas très bien compris les paroles. Il parlait l’helariamen, surtout depuis qu’il avait entrepris de conquérir le cœur de Deirane, mais il n'en maîtrisait pas les nuances. Ça aurait pu être pire, le livret aurait pu être interprêté dans sa langue originale. Et il ne connaissait pas le naytain.
Alors qu’ils traversaient l’un des ponts qui enjambaient les larges boulevards, elle lui prit la main et l’attira vers elle. Les bras autour du cou, son corps plaqué contre celui du jeune homme, elle l’embrassa. Leurs bouches finirent par se séparer, sans que leurs corps s’éloignent.
— Merci pour cette soirée, lui dit-elle dans le creux de l’oreille.
— J’ai l’impression que tu as aimé, répondit-il.
— C’était fantastique. Je n’avais jamais rien connu de tel.
Elle l’embrassa une nouvelle fois. Dresil sentait sa tête qui tournait. Elle ne s’était jamais comportée comme ça. D’habitude elle était plus réservée, presque farouche. Il n’avait jamais pu la toucher autrement que par des caresses qui lui permettaient d’exprimer sa tendresse, mais sans connotation érotique. Elle se serait braquée aussitôt si cela se produisait. Mais il était patient. Il pensait qu’un jour elle finirait par vaincre ses peurs et se donner à lui. Et là, les lèvres de Deirane contre les siennes, ses bras autour de son cou, ses seins pressés contre sa poitrine, tout en elle le grisait. Le jour qu’il attendait semblait être enfin arrivé. Mais il ne devait rien brusquer, il fallait la laissait aller à son rythme, sinon elle paniquerait et ils aboutiraient encore à un échec.
Après un instant qui lui parut bien bref – mais les bons moments le semblent toujours – elle s’écarta, mais lentement, comme à regret. Elle lui prit la main.
— On rentre à l’hôtel, dit-elle.
— Maintenant ? On n’a pas mangé. J’avais réservé une table.
— Ce n’est pas grave. On ira une prochaine fois.
Elle l’entraîna à travers la ville jusqu’à leur hôtel. Dresil se laissa faire, heureux, mais aussi un petit peu effrayé de ce qui se préparait.
De retour dans leur chambre, Deirane sembla retrouver sa réserve habituelle. Dresil crut un moment que la chance était passée, que la jeune femme allait, une fois de plus, se refuser à lui. Mais il se trompait. Elle était juste inquiète.
— Tu as déjà fait l’amour ? demanda-t-elle soudain.
La question désarçonna le fermier. Il ne s’y attendait pas.
— Ça m’est arrivé, répondit-il, un peu gêné.
— Elles étaient contentes après ?
— Ce ne sont pas des choses qui se disent. Surtout à sa future femme.
— Pour moi c’est la première fois.
Il aurait dû y penser. Elle avait mis au monde un bébé, on avait tendance à croire qu’elle disposait d'une certaine compétence. Mais il était né à la suite d’un viol. Et toute son expérience se résumait à ça.
— Tu as confiance en moi ? demanda-t-il.
— Oui, répondit-elle sans la moindre hésitation.
— Alors, laisse-moi faire.
Il la prit par la taille.
— Ferme les yeux, dit-il, ça sera plus facile.
Elle obéit.
— Ketenea le [1], lui dit-il pour l’encourager.
Étrangement, l’emploi de l’helariamen, la langue de ce pays qui l’avait tant aidée, la rassura.
— Ketisea [2], répondit-elle dans un souffle.
Elle obéit. Il lui couvrit le visage de petits baisers, tout en la caressant. Elle sentit ses mains parcourir son corps, son dos, sa chute de rein, le bas du dos... Ele sentit compte qu’il était en train de déboutonner sa robe. Elle réprima une envie de s’échapper. Mais il le ressentit et renonça temporairement à la déshabiller. Il l’embrassa. Elle lui passa les bras autour du cou et répondit à son baiser. Au bout d’un moment, elle se rendit compte que les mains de son amoureux couraient directement contre sa peau, la fine protection du tissu ne les séparait plus. Et elle aimait ça. Elle le laissa explorer son corps. Pas seulement son corps, se rendit-elle confusément compte. Il découvrait aussi ce qui la rendait unique, la sensation que produisaient les pierres incrustées dans sa peau. Il suivit le tracé d’un fil d’or jusqu’à sa jambe, lui arrachant un frisson de délice.
La robe ne tenait en place que parce qu’ils étaient étroitement enlacés. Dresil s’écarta un peu pour la laisser tomber au sol. La jeune femme se retrouva nue entre les bras de son amoureux. Elle ressentit un moment d’inquiétude quand les mains de Dresil passèrent sur le devant de son corps pour se poser sur ses seins. Mais il s’évanouit vite tant les gestes de son amant étaient doux. Ils n’avaient rien à voir avec ceux, brutaux, de la bande qui l’avait forcée lors de son voyage vers Sernos, quelques mois plus tôt. Quand il les embrassa, elle éprouva des sensations inconnues. Toutes ses réticences tombèrent soudainement, elle se laissa entraîner vers un abîme de plaisir.
Lorsqu'elle se réveilla le lendemain matin, elle n’avait pas une idée très claire de ce qui s’était passé. Si ce n’est que ça avait été fantastique et qu’elle se sentait prête à recommencer. Dresil avait été parfait. Elle avait eu raison de lui faire confiance. Il avait réussi à vaincre tous les blocages qui l’empêchaient de se laisser aller.
Elle somnolait, délicieusement blottie entre les bras de son amant toujours endormi. Un de ses seins était confortablement niché dans le creux d’une main. Et elle considéra qu’il s'y trouvait plutôt bien. Mais l’autre était exposé au froid de l’aube. Elle chercha ou se trouvait l’autre main. Elle était posée plus bas sur sa hanche. Elle estima qu’elle était bien là-bas aussi, elle se contenta de ramener le drap sur elle pour se protéger.
— Tu as bien dormi ? demanda Dresil.
Elle ne s’était pas rendu compte qu’il s’était réveillé.
— Comme jamais, répondit-elle.
Elle se serra encore plus étroitement contre le corps de son partenaire.
— Je ne m’étais jamais donnée volontairement à un homme, se confia-t-elle. À chaque fois, j’ai été prise de force.
— Et avant moi, tu n’as jamais rencontré personne ?
— Jergen peut-être. Je l’ai surpris faire à l’amour avec Calen une fois. Et j’ai vu le plaisir qu’elle éprouvait. Mais le régent n’a jamais manifesté le moindre intérêt pour moi.
— Et personne d’autre ?
— Festor. J’ai remarqué comment il s’occupait de sa compagne. C’était une handicapée mentale, elle nécessitait beaucoup d’attention. Mais ça n’avait pas l’air de représenter une charge pour lui. Bien au contraire, on aurait dit qu’il adorait tout ce qui provenait d’elle, le bien comme le mal. C’était aussi le seul homme à m’avoir vue toute nue et j’ai bien aimé la façon dont il m’a regardée.
— Jergen, je le connais, je l’ai aperçu avec toi au marché. Calen aussi, elle venait parfois m’acheter des noix. Mais Festor ? Je ne connais pas ce nom.
Évidemment, le colosse régent de Mustul ou Calen, l’aveugle à la beauté stupéfiante, deux personnes qu’une fois rencontrées il était difficile d’oublier.
— Festor est un soldat de la garnison de Kushan. Il est capitaine.
— Un stoltzen ?
— Oui.
— Tu as bien perdu confiance dans les humains pour n’éprouver des sentiments que pour des stoltzent.
Elle se tourna vers lui.
— Toi tu es humain, remarqua-t-elle.
— C’est vrai.
Là-dessus, elle l’embrassa.
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.1 Je t’aime
.2 Je sais
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