Chapitre 9 - Partie 1

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Saalyn aurait préféré une nuit sans lune. Mais avec quatre satellites en orbite, chacun à sa vitesse, une telle situation était rare. Vu les circonstances, à savoir : une jeune fille retenue en otage et des prostituées éliminées presque quotidiennement, la guerrière libre décida d'agir le plus vite possible. Elle passa la journée à organiser sa visite pour le soir même. Les préparatifs furent simples, elle n’avait besoin que de graisse de protection pour ne pas se refroidir trop rapidement dans l’eau et une ceinture spéciale qui lui permettrait d’emporter un minimum de matériel, comme une arme.

Elle avait choisi de plonger un quart de longe en amont de l’entrepôt, pour se laisser porter par le courant. Elle risquait d’être obligée de se battre, elle préférait éviter de se fatiguer à lutter contre les éléments. Plus tard, Öta devait la récupérer en aval. Si elle devait s’enfuir, elle bénéficierait d’une petite aide pour s’échapper.

La graisse n’avait qu’une efficacité limitée dans le temps. Elle comptait s’enduire au dernier moment. De plus, elle sentait mauvais, ils risquaient d’attirer l’attention de toutes les personnes qu’ils allaient croiser. Pour pouvoir se préparer plus vite, elle n’avait revêtu qu’un long manteau et ses bottes. Ainsi habillée, on ne voyait pas qu’elle était presque nue.

Les repérages d’Öta pendant la journée lui avaient permis de trouver un bord de rivage tranquille. Il guida sa troupe jusque-là. Ils l’atteignirent en moins d’un calsihon. Il était coincé entre deux bâtiments. L’un d’eux, plus petit que son voisin, laissait un espace vide de deux perches entre le mur et l’eau. Les traces de pas dans la terre suggéraient la présence de nombreux enfants qui venaient ici s'y baigner. Mais à cette heure tardive, plus personne ne s'y trouvait. Même les bruits de la ville étaient amortis par la distance et les bâtiments qui les entouraient.

Saalyn se déshabilla. Elle rangea son manteau et ses bottes dans un sac, chaussant de fines sandales pour s’isoler du froid du sol. Quand elle ouvrit le pot de graisse, elle eut un haut-le-cœur. Mais elle n’avait pas le choix. Elle commença à s’en enduire le corps. Öta se chargea de son dos. Les deux prostituées l’aidèrent en recouvrant ses jambes. Le produit nauséabond était légèrement teinté, la rendant plus difficile à voir dans l’obscurité. Laissant ses compagnons finir de s’occuper de la graisse, elle attacha ses cheveux pour qu’ils ne la gênassent pas pendant sa nage. Puis elle enfila sa ceinture, y fixant tous les petits objets dont elle avait prévu de s’équiper.

Quand elle s'estima prête, la guerrière libre entra dans la rivière. La berge était en pente suffisamment douce pour qu'elle se mouille progressivement. L’eau était glaciale. Elle descendait directement des montagnes. La graisse ne la protégeait pas contre le froid. Mais en la rendant plus glissante, elle allait lui permettre de nager plus vite donc de rester moins longtemps dans ce milieu hostile. Quand elle fut immergée jusqu’à mi-cuisse, elle plongea.

— Bonne chance, lui lança Öta.

Elle le salua de la main, prit une grande respiration, puis dispârut sous la surface. Le jeune disciple surveilla son sillage un instant. Rapidement, elle atteignit une profondeur suffisante pour que même ce dernier signe de sa présence s'estompât. Il ramassa alors les affaires et quitta la petite plage pour le point de récupération. Les deux filles de joie lui emboîtèrent le pas.

La rivière était crasseuse. Les Alminatis la prenaient pour une décharge. Les égouts s’y déversaient et les riverains y jetaient des déchets de toutes sortes. Heureusement, la pénurie de bois et de métal due à la guerre limitait le gaspillage, mais il restait bien des choses dont les gens pouvaient se débarrasser sans se préoccuper de l’endroit où ils atterrissaient. Mais ce qui souillait le fond n’était rien comparé à ce qui flottait. Finalement, Saalyn ne regrettait pas d’avoir utilisé de la graisse. Au moins, elle évitait le contact entre sa peau et ce milieu peu ragoûtant. La vie existait pourtant. Elle pouvait voir des poissons qui nageaient autour d’elle, certains assez gros. Mais aucun n’était assez dangereux pour la menacer.

Elle avait estimé qu’elle aurait besoin de reprendre sa respiration une fois avant d’arriver à destination. Quand elle se sentit manquer de souffle, elle remonta à la surface. Elle en profita pour se repérer. Elle avait parcouru les deux tiers du trajet. Elle replongea.

Quand elle jugea avoir atteint l’entrepôt, elle examina la rive. Elle mit un moment pour trouver ce qu’elle cherchait. Un orifice voûté aux parois de pierre suffisamment gros pour laisser passer un corps. Peut-être était-ce une arrivée d’égout, mais la ville n’équipait un quartier que quand il était aménagé. Les conduits ne pouvaient alors être installés que sous les routes. Cette construction lui semblait incongrue. Elle l’examina encore quelques vinsihons avant d’y entrer.

Au fond, elle voyait de la lumière. Elle ne s’était pas trompée. Certaines villes exposées aux pluies de feu étaient dotées d’un système d’évacuation des eaux pluviales, mais pas Elmin. Les égouts prenaient tous naissance au cœur des bâtiments. Ils étaient sombres. Cette lumière, aussi ténue fût-elle, signifiait une sortie qui n’aurait jamais dû exister.

Le tunnel n’était pas très long. Il débouchait dans un petit bassin creusé contre le mur du fond de l’entrepôt. La surface était suffisamment basse par rapport au sol pour que la stoltzin pût émerger sans être repérée par un éventuel occupant des lieux. Tout en écoutant, elle réfléchissait. Le passage était accessible à un humain . Mais si son idée était correcte, il ne pourrait jamais effectuer un tel trajet lui était impossible. Mais dans ce cas, pourquoi l’avoir construit ? Elle ne voyait pas beaucoup de solutions. Un seul peuple pouvait nager sur une aussi longue distance en transportant des charges. Des stoltzt faisaient partie de la bande.

Aucun bruit proche ne l’atteignait. Les seuls sons venaient de l’étage. Elle se souleva à la force des bras pour jeter un coup d’œil dans la pièce. Tout le rez-de-chaussée de l’entrepôt était une vaste salle presque vide. Quelques grandes caisses fermées traînaient par endroits. L’étage était réduit, n’occupant à peine qu'un quart du bâtiment, du côté de la rue. Un escalier menait à un balcon sur lequel s’ouvraient quelques portes. Soit les pièces étaient immenses, soit elles communiquaient entre elles. Elle n’avait aucune idée de la disposition des lieux, mais cela diminuait le risque qu’elle fût surprise.

S’étant assurée qu’elle était seule, elle s’extirpa de l’eau. Elle rejoignit une caisse et se cacha derrière. Tout en surveillant l’étage, elle tenta de soulever le couvercle. Il était fixé. Mais avec la suivante elle eut plus de chance. Il contenait tout le matériel pour monter une petite fonderie. Elle en fouiller d’autres. Elle trouva des moules pour créer des lingots, des marteaux de forgerons. Dans un petit coffre, elle dénicha des feuilles d’or par centaines, de quoi recouvrir une grande statue. Sa théorie se confirmait.

En explorant davantage les lieux, elle remarqua un objet étrange. C’était une grande plate-forme en bois, d'une perche de côté. Sur le dessous étaient fixés ces gros boudins remplis d’air que les pêcheurs utilisaient comme repère pour leurs filets. Elle ne saisit pas tout de suite à quoi cela pouvait bien servir. Cette structure flottante ne pourrait jamais traverser le conduit. Mais elle l’imagina transportant une lourde charge. Et alors elle comprit. C’était destiné à alléger le poids de ce qu’ils allaient faire passer sous l’eau.

Elle en savait assez pour la suite de sa mission. Mais elle devait d’abord s’assurer que la fille du capitaine se trouvait bien retenue ici. Et elle devait aussi dénombrer les occupants. Elle allait devoir explorer l’étage. C’était dangereux. Elle prit son couteau en obsidienne en main. Cela semblait une arme dérisoire, mais manipulée par un bretteur habile, elle pouvait se révéler mortelle. Et habile, Saalyn l’était. Elle aurait tout de même préféré disposer d'un de ces couteaux de combat que les soldats de Frovreikia utilisaient dans leurs missions. Et aussi quelques-uns de ces soldats avec elle.

Elle n’eut pas le temps de pousser plus loin ses investigations. Une porte de l’étage s’ouvrit. Un rire féminin s’en échappa. La fille que les malfaiteurs avaient ramenée pour s’amuser se préparait à partir. Un homme l’accompagnait. En bas de l’escalier, elle se dirigea vers la sortie. Mais son guide la retint.

— Pas par là, dit-il.

— Pourquoi ? La porte se trouve là.

— Tu sors par-derrière, personne ne doit te voir.

— Ah bon.

Il la poussa vers le fond de l’entrepôt, vers le puits, invisible d’où ils étaient. L’éclairage était chiche, mais suffisant pour voir le mur, totalement nu, sans ouverture.

— Il n’y a pas de porte par là, dit-elle surprise.

— Avance, il y a une sortie.

Elle aperçut alors le bassin.

— Mais… Vous n’allez pas me faire sortir par là ?

— Avance, répéta le truand.

De sa cachette, Saalyn dévisagea l’homme. C’était un géant brun, très musclé. Il possédait la souplesse des combattants aguerris. Elle ne s’était pas battue depuis des mois. Elle préférait que son premier combat n’eût pas lieu contre un type tel que lui. Elle pensa un instant qu’elle avait négligé son entraînement. Elle allait devoir charger Öta d’y suppléer. Ou d’utiliser les services du consulat local. Mais ce serait pour plus tard. Dans l’immédiat, elle voulait rester discrète, la bande devait tout ignorer de son passage. Elle ne pouvait pas éliminer l’un des leurs ici, dans leur quartier général. Cela leur apprendrait qu’elle était beaucoup plus proche qu’ils ne le croyaient, ils pourraient renoncer à leur projet. Et peut-être exécuter leur otage avant de partir.

Devant le bassin, la prostituée suppliait l’homme de ne pas la tuer. Il avait une solide poigne, elle ne pouvait pas dégager son bras de l’étreinte. En réponse, il sortit son couteau, en bois cerclé de fer comme l’avait déduit la guerrière libre, et l’en frappa au cou. Le sang se mit à couler. Elle hurla, à la fois de douleur et de panique. Sa vigueur montrait que la blessure n’était pas mortelle, même pas handicapante. Elle n’était destinée qu’à attirer les prédateurs du fleuve.

Le géant l’assomma avec le manche de son arme. Elle s’effondra au sol sans qu’il cherchât à amortir sa chute. Il ligota le corps inerte, lui attachant d’abord les chevilles, ensuite les poignets dans le dos. Puis il la jeta à l’eau. Il la regarda couler et s’en alla.

Saalyn n’attendit pas que l’homme eût disparu dans une pièce de l’étage pour agir. Dès qu’il se fut suffisamment éloigné, elle fonça jusqu’au bassin et plongea. Elle était piedsnus et venait d’un peuple qui savait nager avant de marcher, elle espérait na pas avoir attiré l’attention. Elle trouva la femme tout au fond. Le froid et l’immersion l’avaient réveillée. Elle se débattait. La guerrière l’empoigna par le bras, lui faisant signe de se calmer. Sous la panique, la prostituée ne comprenait pas. Saalyn l’agrippa et la bloqua contre son propre corps. Elle lui plaqua une main sur le visage pour qu’elle n’aspirât pas d’eau quand elle serait à bout de souffle, puis elle s’engouffra dans le tunnel.

Dans la rivière, Saalyn remonta à la surface, sans lâcher la jeune femme. Sa prise se renforça sur la bouche, elle ne devait pas pousser le moindre cri qui avertirait la bande de l’entrepôt. Mais elle lui dégagea le nez. Voyant qu’elle pouvait respirer, elle se calma.

— Vous êtes sauvée, lui dit Saalyn. Maintenant, écoutez-moi.

La femme hocha la tête.

— Je vais nager sous l’eau pour échapper à d’éventuels poursuivants. Je ne sais pas si on a décelé notre fuite. Mais si c’est le cas, ils doivent croire que nous nous sommes noyées. Mais nous ne nous noierons pas, ni vous ni moi. Vous comprenez ?

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