Chapitre 13 - Partie 3
À la perspective de ce qui attendait Brun, fils de Brun, le dernier d’une courte lignée de rois tous prénommés Brun pour simuler une immortalité que les humains ne possédaient pas, le visage de Saalyn s’éclaira d’un sourire.
— Quand il arrivera en Helaria, je serai là pour l’accueillir, dit-elle.
Elle se souvint brusquement qu’elle avait toujours le cadeau de Wotan à la main. Elle lui jeta un bref coup d’œil, puis elle le rangea soigneusement dans son coffret. Wotan en profita pour se lever. Il se dirigea vers la porte en boitant.
— Je me demande comment tu as fait pour tomber dans l’escalier.
— Je n’ai pas parlé d’un escalier.
— D’où alors ?
— D’un lit.
— Du lit ! Mais comment tu as fait ton compte ?
— C’était le dernier soir de la fête de printemps.
Une soirée bien arrosée certainement, pensa-t-elle. Puis elle remarqua qu’il n’avait pas dit « du lit », mais « d’un lit ».
— Ça devait être un sacré bon coup.
— Tu réfléchis vite. Mais c’est l’une des raisons pour lesquelles je t’ai choisie pour ce poste.
— À propos de femmes, j’aurai un service à te demander.
Elle fit quelques pas dans sa direction.
— Vas-y, l’encouragea-t-il.
— Il y a trois prostituées dans le consulat.
— Tu veux que je les sorte d’Elmin, déduisit le pentarque.
— Toi aussi tu comprends vite.
— Je les prendrai avec moi et je les laisserai à notre ambassade de Sernos.
— Merci.
Il alla pour ouvrir la porte.
— C’était Stranis, dit-elle soudain.
Il interrompit son geste. Elle s’était assise sur le lit.
— Stranis, répéta-t-il.
— Le chef de la bande, dans l’entrepôt, c’était Stranis.
— Tu l’as mis dans ton rapport.
Il remarqua les larmes qui coulaient sur ses joues. Il savait qu’elle était fragile, mais il ne se doutait pas que c’était à ce point.
— À la façon dont tu le dis, tu l’as déjà rencontré avant. Où ?
— Il y a un peu plus d’un an, répondit-elle.
À Orvbel donc. S’il faisait partie de ses tortionnaires, il n’était pas étonnant qu’elle ait perdu son contrôle pendant le combat. Le plus étonnant était qu’elle ait pu accomplir sa mission malgré tout. Il referma la porte puis il alla s’asseoir à côté d’elle.
— Tu veux en parler ?
— Non, je… Non.
— Et je peux…
Elle hocha la tête juste avant de la poser sur son épaule. Il l’enlaça. Les larmes se mirent à couler pour de bon. Tout en la serrant fortement, il s’allongea sur le lit en l’entraînant. Elle se blottit contre lui, sanglotant plus fort que jamais.
Tout en douceur, il s’insinua dans son esprit et explora ses souvenirs. Il découvrit toute l’étendue de ce que Jergo lui avait infligé. Il comprenait pourquoi elle s’était cachée de lui si longtemps. S’il l’avait vue juste après sa libération, il aurait lancé toutes les forces de la Pentarchie contre la cité État, au mépris des conséquences. Et ce Stranis était le pire de tous. Il n’était pas un homme de Jergo, c’était un des nombreux esclaves qu’il avait forcé à torturer la belle guerrière libre. Le sadisme du marchand d’esclave allait jusqu’à faire encourir les pires sévices à sa prisonnière par ceux qui mettaient en elle leurs espoirs de libération. Mais Stranis avait mis du zèle, bien plus que les autres. Il faisait tout en douceur, ce qui était pire car ses victimes croyaient jusqu’au dernier moment qu’elles s’en sortiraient. Il s’excusait toujours de ses actes. Et c’était en étant désolé qu’il tuait, qu’il égorgeait, qu’il mutilait. Où dans le cas de Saalyn, qu’il l’avait violée. Et dire que c’était l’attaque de son armée qui l’avait libéré, lâchant ce monstre sur Uv-Polin. Au passage, il découvrit autre chose. La peur que maintenant elle éprouvait envers les hommes, quel que soit leur peuple. Mais aussi la confiance qu’elle avait pour son apprenti. Immense. Au point que si ce dernier en prenait connaissance, il paniquerait. Il avait mis fin à son calvaire après tout.
Le pentarque se remémora ces jours pénibles où c’était Vespef qui se remettait de ce genre d’épreuves. Et déjà à l’époque, c’était à cause de l’Orvbel. Les dirigeants avaient changé. Les anciens pirates stoltzt avaient été chassés du trône par des humains. Mais ils avaient gardé les habitudes de leurs prédécesseurs. Wotan se fit la promesse que cette fois-ci il ne serait plus aussi timoré. À l’avenir, tant pis si le monde était horrifié, l’Orvbel ne serait plus jamais une menace.
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