Chapitre 28 - Partie 2
— Nous avons également pensé à Jevin. Son nom revient souvent dans les enquêtes des guerriers libres, mais on n’a jamais pu trouver de preuves contre lui. Pourquoi Dayan ne l’utilise-t-il pas ?
— Jevin est né en Orvbel. C’est un fils d’esclave, esclave marron lui-même. Sa mère appartenait à une riche famille de l’Okarian qui a mal fini suite aux mauvais investissements de son mari. Mais on ignore qui est son père. Après l’assassinat de sa mère, par l’ancien roi, il a pu s’enfuir et rejoindre la Nayt. Depuis, il refuse absolument de travailler pour l’Orvbel.
— Ça serait une fausse piste alors ?
— Bien au contraire. Sa bande fait du trafic d’esclave elle aussi. Mais pas avec l’Orvbel.
Littold réfléchit un moment à cette révélation. Vu la haine que semblait éprouver ce chef de bande à l’égard de l’ancien fief pirates, cela semblait l’innocenter. En fait, tous les indices qui pointaient vers l’Orvbel s’étaient révélés artificiels. Tout portait à croire que quelqu’un cherchait à lui faire porter le chapeau de la capture de Deirane. La Pentarchie se préoccupait peu de cette Yriani. Mais Saalyn y accordait de l’importance. Et ça faisait maintenant d’elle une cible.
— Dites-m’en plus sur cette troupe.
— Je ne sais pas grand-chose. Comme je vous l’ai dit, je les ai rencontrés, mais je n’ai jamais travaillé avec eux. Ils ont la réputation d’être efficaces. Surtout les arbalétriers, ils ne ratent jamais leur cible. La prochaine fois qu’ils auront votre guerrière libre dans leur ligne de mire, elle mourra.
— Ne vous inquiétez pas trop pour Saalyn, répondit Littold, elle aussi est dangereuse. Elle aussi ne rate jamais sa cible.
Ternine scruta le magnifique visage de la stoltzin.
— Vous par contre, vous vous inquiétez pour elle, remarqua-t-il.
— Mes tantes Wuq et Muy n’ont pas l’air inquiètes. Je ne devrais pas m’inquiéter. Vous savez que j’avais un an seulement quand je l’ai connue. C’était un peu une sorte de grande tante qui passait de temps en temps à la Résidence et ramenait toujours des cadeaux extraordinaires.
— Elle compte beaucoup pour vous.
— Beaucoup d’enfants qui grandissent à la Résidence sont habitués aux Pentarques. Ils ne les voient pas comme les dirigeants d’un puissant royaume. Beaucoup de filles vont chercher conseil auprès de Vespef pour leurs premiers émois d’adolescentes. Certains guerriers ont reçu leur première leçon au combat d’une des jumelles. Enfin quel adolescent n’a jamais espionné ma mère ou mes tantes lors de leur baignade matinale ? Mais pour moi, les pentarques, c’est ma famille. Je suis la fille de deux d’entre eux et les autres sont mes tantes. C’est Saalyn qui m’a aidé à passer le cap de l’adolescence. Elle et Jergen.
— J’ai rencontré Saalyn une fois. Sur la grande route du sud, elle faisait partie d’un convoi qui remontait vers Sernos. J’allais dans la même direction. Nos deux groupes se sont mêlés. Elle m’avait impressionné. Surtout les transformations.
— Les transformations ?
— Guerrière efficace et compétente sur les routes, chanteuse remarquable dans les auberges. Et une fois arrivée à destination, une grande dame à la beauté époustouflante.
— C’est vrai qu’elle est belle. Mais contrairement à ma tante Peffen, elle n’en fait pas le cœur de sa vie.
Instinctivement, Ternine compris que Littold ne voulait pas continuer sur ce sujet.
— Quelle est la suite ? demanda-t-il.
— Pour qui, pour nous ?
— Non, pour Saalyn.
— Elle arrive bientôt sur la Grande Route de l’Est. On saura bientôt ce qu’elle décidera pour la suite.
Le regard de Ternine se posa sur l’horizon. Il voulait poser une question, c’était évident. Mais il avait visiblement peur d’essuyer un refus. Littold ne vint pas à son secours. Elle ne fit rien pour l’encourager à s’exprimer. Mais il se décida.
— Comment faites-vous pour surveiller la progression de Saalyn ? En admettant qu’elle fasse des rapports qu’elle dépose dans les ambassades et les consulats. Nous savons que vous avez des moyens de communication rapide avec vos légations. Mais pour recevoir ces rapports ici, en plein océan. C’est un mystère pour moi.
— Une vie sans mystère présente peu d’intérêt, répondit-elle.
C’était bien une rebuffade. Sans cri, sans refus clair, ni reproche, mais une rebuffade quand même. Il voulait savoir de quoi il s’agissait. Nul doute que s’il trouvait, Brun le rémunérerait grassement. Sauf qu’il ne travaillait plus pour lui.
— Ce n’est pas tout, mais je dois faire mon propre rapport à Muy.
— Sur quoi, sur le monstre marin ?
— Muy s’en fout des raxfecy et autres poissons. Non, je parle de cette troupe de mercenaires. Bien que j’aie du mal à y croire, il semble que l’Orvbel soit innocent de cet enlèvement.
— À mon avis, il a été doublé par un royaume plus rapide. Certainement un négociant naytain. Brun ne connaît l’existence de cette Deirane depuis deux mois seulement. Mais il me semble qu’elle est restée huit mois à l’ambassade de l’Helaria à Sernos. N’importe qui aurait pu la repérer là-bas.
Il passa sous silence le fait que c’était lui qui avait appris l’existence de cette jeune femme au seigneur de la cité État. Et Littold fit comme si elle l’ignorait.
— Ils se tenaient prêts, continua-t-elle, et dès qu’elle est sortie, ils auraient agi ?
— Ils lançaient leur attaque alors que Dayan en était encore au stade de la préparation.
— Ça se tient.
Elle quitta la dunette, laissant l’Orvbelian en exil seul dans ses pensées.
— À propos, dit-elle en descendant l’escalier, ce bateau peut remonter au vent. Même si ce n’est pas son allure la plus efficace.
— Je n’ai jamais dit le contraire, répliqua Ternine.
Un bref sourire et elle était déjà partie.
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