Chapitre 31 - Partie 1

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Lorsque leur chemin avait croisé la Grande Route de l’Est, Saalyn avait longuement hésité avant de se décider. Vers l’ouest et Sernos, capitale de l’Yrian. Ou vers l’est et la multitude de royaumes qui la bordait. Elle estima que revenir dans la plus grande ville du monde avec une esclave récemment capturée était gonflé. En Helaria, peu de villes étaient contrôlées à leur entrée. Mais en Yrian, chaque voyageur se présentant à une porte était systématiquement fouillé. Et à Sernos, capitale et centre névralgique du royaume, les contrôles étaient plus poussés que partout ailleurs. Une esclave aurait été forcément découverte. Elle opta donc pour l’est. Il y avait de nombreuses traces de troupes importantes qui allaient dans cette direction. Mais cela ne signifiait rien. Sernos était le centre économique du royaume en même temps qu’une étape sur la route qui permettait de communiquer avec les royaumes du sud. De nombreux convois y arrivaient et en partaient continuellement. Contrairement au sud qui pouvait utiliser la voie fluviale ou terrestre, l’est ne disposait que de la Grande Route. Cela faisait d’elle la plus utilisée du continent. D’ailleurs, dans la matinée, ils croisèrent trois caravanes à destination de Sernos et ils en rattrapèrent une.

Le soir, Saalyn avait choisi de s’arrêter dans une auberge. Elle pourrait dormir dans un vrai lit. Après trois nuits passées à la belle étoile, plus le poids d’Hester accroché à sa poitrine, elle avait le dos en compote. Elle avait besoin d’un bon massage et d’un bain bien chaud qui aurait détendu ses muscles noués.

L’écurie était bien remplie, une troupe importante était arrivée récemment. Presque toutes les stalles étaient occupées. Mais il en restait assez pour caser tout son équipage. Les palefreniers s’occupèrent des montures, les déchargeant des bagages et les étrillant. Tout en allant vers le bâtiment principal, Saalyn passa Hester à Öta, puis elle étira les muscles noués de son dos.

— Tu as l’air épuisée, remarqua Öta.

— Je comprends ce que ressentent les nourrices humaines, répondit-elle.

— Il y a peut-être des masseurs à l’intérieur.

— Peut-être, je ne sais pas.

— Tu n’es jamais passée ici ?

— Si, mais il y a longtemps. Trois ans au moins. Les choses ont pu changer. La dernière fois il n’avait pas de palefreniers et maintenant regarde, il y a une véritable armée pour s’occuper des chevaux. Ils ont même construit une deuxième écurie pour séparer les chevaux des hofecy.

Saalyn fit encore jouer un muscle de son épaule. Puis elle reprit Hester dans les bras et donna à Öta le signal d’entrer dans l’auberge.

Depuis le temps qu’ils chevauchaient ensemble, le manège des deux guerriers libre était bien rodé. Il entrait le premier, évaluait la salle et invitait sa compagne à le suivre. Elle jouait la faible femme soumise, protégée par son compagnon. Hors d’Helaria, le scénario était crédible ; face au colosse, elle semblait bien frêle. Et le fait que si la vie sur les routes lui avait sculpté un corps athlétique, elle ne ressemblait en rien aux femmes soldats des commandos de Frovreikia. Bien au contraire, sa tonicité la rendait encore plus attirante. Aussi, si sa beauté focalisait tous les regards, c’était son disciple dont les éventuels agresseurs se méfiaient. Le machisme qui prévalait dans cette profession leur facilitait la tâche. Grâce à lui, ils ne remarquaient pas les signes qui l’auraient désignée comme la personne à surveiller, que c’était-elle qui commandait. Ni que des deux, elle était la seule à avoir déjà tué et qu’elle n’hésiterait pas à le refaire si le besoin s’en faisait sentir, alors que Öta n’avait jusqu’à présent fait que défendre sa vie. Son métier et sa longévité l’avaient conduite à abréger plus d’existence que tous les soldats réunis dans la salle. Sans compter tous ceux qu’elle avait envoyés à l’échafaud. Mais ça, personne ne s’en rendait compte.

Pour une fois, elle put traverser la salle sans avoir à subir les pelotages habituels dès qu’elle passait à portée des mains de soldats avinés. Elle reçut juste une proposition graveleuse qu’elle se contenta d’ignorer. Son colosse de disciple expliquait en partie la chose, personne n’avait envie d’avoir à se le coltiner. Mais elle avait déjà dû supporter des attouchements en sa présence. Bon, beaucoup moins depuis qu’il l’accompagnait. Il y a quinze ans, bien avant de le connaître, elle avait failli se faire violer par toute une salle. Elle s’en était tirée sans trop de dommages grâce à son couteau effilé et son habileté à s’en servir. Depuis qu’il la suivait sur les routes, un tel incident ne s’était plus jamais reproduit. Mais l’absence de tentative de ce soir était due à autre chose. Elle l’attribua à la présence d’Hester. Non pas qu’ils respectaient une jeune mère, elles étaient même des cibles plus fréquentes, leur bébé à protéger les rendant davantage vulnérables. Mais ils pensaient certainement qu’un colosse tel qu’Öta risquait de devenir bien plus violent si on touchait à celui qu’ils croyaient être son fils.

Arrivé au comptoir, elle s’installa sur un tabouret. Puis elle ouvrit son chemisier et donna le sein à Hester qui commença à téter goulûment. Elle savait qu’ainsi elle attirait tous les regards sur elle. C’était le but. Ainsi distraits les gens réfléchiraient moins, seraient plus enclins à laisser fuiter des informations. Bizarrement, elle n’eut pas besoin de se forcer pour avoir l’air gênée. Pourtant, comme la plupart des Helariaseny, elle n’était pas particulièrement pudique. Mais ce moment privilégié qu’elle partageait avec Hester était si intime que même la présence de son disciple la mettait mal à l’aise.

Öta attira l’attention du tenancier derrière le comptoir. L’homme s’avança sans se presser. Au passage, il reluqua largement Saalyn avant de s’adresser au stoltzen.

— C’est pour manger ou pour dormir ? demanda-t-il.

— Les deux. Je veux une chambre à deux lits séparés.

Saalyn approuva le choix de son disciple. Cette auberge était moins sûre que celle proche de Karghezo. Il valait mieux qu’ils restent ensemble.

— J’en ai plus, répondit l’aubergiste, seulement des grands lits.

Il jeta un bref coup d’œil vers son maître qui accepta d’un hochement discret.

— Ça ira aussi, dit-il.

— Ça fera deux cels chacun.

La somme était exorbitante. Trois fois le prix normal d’une telle chambre. Öta tenta de marchander.

— Un cel en tout, ça me semble suffisant si j’en juge par l’état de la salle.

— Quatre cels, répéta le tenancier.

Öta posa deux grosses pièces de cuivre seulement sur la table, ce qui était certainement surévalué. L’homme les empocha.

— Premier étage, coté route.

La plus mauvaise naturellement. Juste au-dessus de la salle, ils seraient dérangés par les fêtards avinés qui allaient veiller tard. Une petite vengeance pour n’avoir pas payé toute la somme. Il s’éloigna. L’apprenti le rappela.

— Un instant, dit-il, je cherche quelqu’un, une femme.

L’homme émis un rire moqueur. Öta ne se laissa pas démonter.

— C’est une très jeune femme pas très grande, blonde aux cheveux longs, très belle. Elle porte un gros rubis sur le front et des tas de petites pierres sur les joues.

— Et des fils d’or dans la peau, ouais, je l’ai vue.

Öta éprouva de la joie. Un coup d’œil à sa compagne lui montra qu’elle était aussi excitée que lui. Elle se concentrait sur Hester pour éviter de le montrer, mais elle ne pouvait rien cacher à quelqu’un la connaissant aussi bien que le jeune stoltzen.

— Elle était accompagnée ? Je veux dire, bien sûr qu’elle l’était. Ils étaient nombreux ?

— Deux serpents et un homme. L’un des serpents était une femme.

— Des stoltzt ? remarqua Öta.

— Ouais, l’homme avait un bracelet comme le vôtre. La femme était pas très fut-fut.

Öta leva le bras et montra son bracelet d’identité, à base de petites perles multicolores.

— Un bracelet comme ça ?

Le jeune stoltzen était dérouté. Un Helariasen aurait participé à l’enlèvement ?

— L’homme n’était pas très efficace, mais le serpent se battait vraiment bien, il a flanqué une dérouillée à quatre péquenots du coin. Maître guerrier qu’il disait, lieutenant à Kushan.

Öta hésita. Saalyn vint à son secours.

— Quand était-ce ? demanda-t-elle.

— Un an environ, répondit le tenancier.

Deirane avait évoqué un voyage en Chabawck avec son père. Mais son jeune disciple ignorait ce fait. Il ne pouvait pas le deviner. Elle s’occuperait de tout lui expliquer dès qu’ils seraient seuls dans leur chambre. Mais il la surprit.

— Elle devait certainement se rendre au Chabawck pour tenter de résoudre son problème, murmura-t-il dès que le maître des lieux se fut éloigné.

— En arrivant à l’ambassade, elle a demandé le jeune frère de Calen, Festor de Jetro, expliqua Saalyn. Sa fiancée est simple d’esprit. C’est peut-être lors de ce voyage qu’elle l’a connu.

— C’est cohérent.

— Mais sans intérêt. Nous ne cherchons pas à retracer la vie de Deirane, juste à savoir où elle est passée.

Le tavernier était allé chercher une jeune fille, une gamine presque. Elle devait conduire les deux guerriers libres jusqu’à leur chambre. Saalyn passa Hester à Öta pour se rajuster. Elle se tourna et avança tout en refixant les boutons de son chemisier. La tête baissée sur son opération, elle ne vit pas la personne qui se tenait juste à côté d’elle. La bousculade la prit tellement au dépourvu qu’elle dut se retenir à l’homme pour ne pas tomber. Il la rattrapa par les poignets lui évitant de heurter le comptoir de ses reins déjà bien douloureux.

— Décidément, vous me suivez, dit une voix connue.

— Banerd, nos routes ont l’air de se croiser bien souvent. Que faites-vous ici ?

— Je vous retourne la question. Comme je vous l’ai dit, je retourne à Nasïlia. Mais vous, je vous ai laissé à Karghezo. Et nous sommes totalement à l’opposé.

— Je vous expliquerai bien volontiers, si vous vouliez bien me lâcher d’abord.

— Je n’en ai pas trop envie, mais mon éducation m’y oblige.

Comme à regret, il lui libéra les mains, permettant à la belle stoltzin de rajuster sa tenue. Öta, qui avait assisté à la scène sans intervenir, comprenait bien le mercenaire. Ainsi offerte aux regards, son chemisier entrouvert et les bras écartés, elle était bien désirable. Sa mise était décente, même selon les critères humains, mais tout juste. Mais il avait surtout remarqué autre chose. Saalyn avait reçu un entraînement de guerrier avant d’exercer son métier actuel. Elle avait même acquis le rang de maître, avant d’intégrer les guerriers libres. Elle aurait pu facilement se dégager de la poigne de Banerd. Mais elle ne l’avait pas fait.

— Ça fait déjà deux fois que je peux profiter des charmes de la grande Saalyn.

— Ne vous y habituez pas, répliqua-t-elle.

— Pour être honnête, c’est le genre de spectacle auquel je ne veux jamais m’habituer.

Malgré sa tournure bizarre, c’était un compliment. En tout cas, Saalyn le considéra comme tel. Il la toucha plus qu’elle ne l’aurait cru.

— Je vous laisse le temps de vous préparer. En attendant je vous réserve une table isolée.

— Je pense pouvoir me débrouiller sans votre aide.

— Je n’en doute pas. Mais pour ce jeune homme, un coin tranquille est préférable.

Il attrapa la main que Hester tendait vers lui en babillant. Le bébé lui rendit un sourire.

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