Chapitre 40 - Partie 2

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Littold rejoignit l’exilé d’Orvbel. Comme sa mère, elle avait toujours eu un caractère facile. Mais depuis qu’ils se rapprochaient de leur destination, elle était de plus en plus joyeuse.

— Nous arriverons dans deux jours, lui annonça-t-elle.

— Deux jours ! Alors que nous traversons les premières îles. C’est grand !

— C’est immense. Environ la taille du Shacand. Et c’est intact. Pas de désert empoisonné ni de pluie de feu.

— Vous avez tout visité pour connaître son étendue ?

— Il y a plus de soixante-dix ans, Muy a réussi à s’introduire dans la base secrète de feythas. Elle a pu en ramener beaucoup d’informations.

— Comment se fait-il que l’Yrian ne dispose pas de ces informations ?

— Parce que leur base secrète n’est pas à Sernos.

Elle désigna le ciel de la main.

— Elle tourne autour de notre monde.

— Comment fait-on pour l’atteindre ?

— Je ne sais pas. Mais je sais qu’ils ont laissé plein de choses là-haut. Des tas d’espions mécaniques nous observent. Et un projet de Wotan est de les atteindre. Mais c’est à très long terme. Plusieurs siècles. On n’a même pas la plus petite idée sur la façon de procéder.

— Mais vous avez quand même des cartes de ce continent.

— En quelque sorte. Nous avons des images. Nous savons que c’est un continent aussi grand que le Shacand avec deux chapelets d’îles en arc, six îles de taille moyenne et plusieurs milliers de petites.

— C’est quoi la taille moyenne ?

— La taille de l’Yrian. C’est celles-là que nous colonisons.

Au cours de la journée, le nombre d’îles croisées augmenta sensiblement et bientôt, ils en avaient plusieurs en permanence dans leur champ de vision. La plupart étaient petites et montagneuses, ou plus exactement volcaniques. Elles étaient couvertes d’une épaisse forêt vierge. Mais l’une d’elle était assez longue pour qu’ils la longent pendant plusieurs monsihons. De sa position, Ternine ne pouvait pas dire si elle était habitée, mais Littold lui affirma que oui.

Le lendemain, la ligne qu’il voyait à l’horizon ne se résolvait pas en îles indépendantes. Au fur et à mesure qu’ils s’approchaient, il commençait à distinguer les montagnes si hautes que leur sommet était enneigé, des baies et des caps. Insensiblement la route s’infléchit au nord. Et bientôt les premières traces de civilisation commencèrent à apparaître. Des villages fortifiés ressemblant chacun à un gros bâtiment massif, étaient construits le long de la côte. Ils étaient équipés d’un ponton auquel plusieurs petits voiliers étaient amarrés : des monocoques mustulal, preuves que les deux royaumes collaboraient. Mais il n’y avait aucune route, aucun champ, rien que ces villages. De temps en temps, ils croisaient une ville plus grosse, tout aussi fortifiée que les villages. Puis au détour d’un cap, la capitale apparut. Sa vision impressionna Ternine. Sa muraille était digne d’un château-fort. Elle se prolongeait le long des caps qui bordaient la baie pour isoler la plage. Puis elle finissait dans l’eau, suffisamment loin pour ne pas pouvoir être contourné. La zone protégée était elle-même subdivisée par des murailles secondaires au cas où la principale aurait été forcée quelque-part. Partout, des balistes étaient installées. Il en voyait là plus qu’il en avait vu pendant tout le reste de sa vie. L’endroit devait être sacrément dangereux pour nécessiter une telle protection.

La ville elle-même ressemblait bien peu aux constructions helarieal. Elle n’avait pas le charme de Kushan ou d’Honëga. Même La Tour en Lumensten semblait plus accueillante. Les rares constructions qui dépassaient de la muraille étaient massives. Mais la principale différence était les éoliennes érigées au sommet de longs mâts que l’on voyait un peu partout. Ternine savait de quoi il s’agissait. Il en avait déjà vues. Elles produisaient ce fluide électrique qui permettait de faire fonctionner le matériel que les feythas avaient laissé derrière eux. Mais il n’en avait jamais vu autant, ni d’aussi grandes. Il ne savait pas à quoi pouvait servir ce fluide en dehors de ces reliques, ni pourquoi cette ville en avait tant besoin. Mais elle semblait disposer de toutes les techniques de pointes. Ils étaient toujours en Helaria, mais ils auraient pu passer dans un autre monde tant cet endroit était différent du reste de la Pentarchie.

Le navire entra dans la zone enclose par l’enceinte. Derrière eux, une herse se baissa, bloquant le passage à l’ennemi qui nécessitait de si puissantes protections. Il savait donc nager, ce qui était inquiétant.

Maintenant qu’il était dans la place, Ternine en profita pour observer tout autour de lui, avide de découvrir les secrets de l’Helaria. Et à sa grande surprise, ce fut le cas. Plusieurs même. La partie de la baie située à sa gauche était totalement dévolue aux chantiers navals. Les murailles internes délimitaient plusieurs alcôves, sept d’entre elles abritaient une forme de radoub. Une huitième alcôve fabriquait les pièces de bois nécessaires à la construction des navires. Et les quatre dernières contenaient quelque chose qu’il ne parvenait pas à identifier. Des fabriques certainement, mais il ne savait pas de quoi. Actuellement, il voyait six bateaux en construction. Il y avait un petit navire de guerre, les fameux croiseurs qui avaient tant humiliés Brun, et cinq navires marchands. Ils seraient les bienvenus sur l’Unster. Brun comprenait comment la Pentarchie disposait de tant de navires. Cette ville avait une capacité de production supérieure à Neiso. Et les deux autres villes qu’ils avaient croisées en arrivant devaient être dans le même cas. Toutefois, tout ce qui se construisait ici était standard. Neiso perfectionnait, Kialtuil construisait. Le rôle de cette ville était purement industriel.

Toutefois, la plus grande surprise vint de la technique de fabrication des navires. Si la coque ne montrait pas le motif caractéristique d’une surface constituée de planches, sous la couche de verni, c’est parce qu’elles ne participaient pas à la structure. La quille, les couples, les membrures, tout cela était en bois. Mais pour le revêtement de la coque, les charpentiers clouaient des toiles de tissus sur les membres qu’ils enduisaient d’une résine spéciale qui durcissait en séchant. Ils recommençaient l’opération autant de fois que nécessaire pour avoir l’épaisseur et la solidité désirée. Le résultat final était une coque étanche et lisse. Les seules planches entrant dans la construction servaient à l’aménagement intérieur.

Deux coques symétriques étaient maintenues ensemble par quatre poutres en métal. Leur section dessinait un motif qui permettait d’allier légèreté et solidité. Mais même ainsi, elles seraient restées bien lourdes si elles avaient été construites en fer ou en bronze. Les fragiles grues de bois qui les amenaient en place n’auraient d’ailleurs jamais pu résister à leur poids. Les Helariaseny avaient donc trouvé un matériau qui ressemblait à du fer, mais en beaucoup plus léger. Même en rapportant ce qu’il avait vu, les autres nations ne pourraient jamais en tirer parti. Quelle était cette résine, quel était ce tissu et quel était ce métal ? Et où trouvait-on tout ça ? Il n’en avait aucune idée. Et sa découverte ne le lui apprenait pas. La seule chose qu’il pourrait annoncer à coup sûr, si un jour il retournait en Ectrasyc, serait que contrairement à ce que cherchaient à faire croire les Pentarques, l’Helaria n’était pas la deuxième puissance militaire et économique d’Uv-Polin. En fait, elle était en tête, loin devant l’Yrian. Très loin même.

Alors qu’ils se préparaient à accoster, un rugissement profond retentit de la forêt qui entourait la ville. Un hurlement, puissant, grave, sortant d’une poitrine monumentale. L’animal qui l’avait poussé devait être énorme. Et ce genre de cri n’était pas le fait d’un herbivore. Il avait été émis par un prédateur, un fauve qui semblait des plus dangereux. Ternine éprouva une peur intense. Il tremblait comme une feuille, son corps se couvrit de sueurs froides. Les Helariaseny aussi avaient accusé le coup. Les arbalètes apparurent aux poings des marins qui en possédaient une. Pourtant, ils étaient toujours en mer et au cœur d’une enceinte fortifiée, ils ne risquaient rien. Eux savaient à quoi ils avaient à faire. Et qu’ils manifestent aussi de la peur était loin de rassurer l’exilé.

En ville, les balistes qui surmontaient les murailles se tournèrent vers l’origine de la menace. Cette réaction augmenta la colère de l’animal qui gronda de plus belle. On aurait dit qu’il défiait les habitants de la cité.

— Il n’est pas loin celui-là, remarqua Littold.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Un hofec géant.

— Je croyais que les feythas les avaient exterminés.

— En Ectrasyc oui. Mais pas ici. Ils ne sont jamais venus ici. Personne n’y habitait, ils n’avaient aucune raison de s’en occuper.

— C’est à cause de lui ces fortifications ?

— Lui. Et ses semblables. Ils ont appris à éviter nos établissements, mais de temps en temps ils nous testent.

— C’est un comportement intelligent. C’est inquiétant !

— Ça nous inquiète. Mais pour le moment nos défenses résistent. En plus nous les renforçons régulièrement.

— Et vous faites comment pour les champs ?

— On n’en a quasiment pas. Nous importons presque toute notre nourriture. Chacun de nos champs doit être fortifié. Ça limite leur taille. Mais nous travaillons sur une arme capable de les tuer.

— Actuellement, vous ne le pouvez pas ?

— Un isolé oui, pas toute une bande.

— En plus ils se déplacent en bande ?

L’animal poussa un nouveau rugissement. Une baliste lâcha sa flèche. Les bruits de piétinement, lointains, indiquaient que le fauve battait en retraite, pour cette fois. Mais il reviendrait plus tard. Et malheur à ceux qui seraient surpris hors des murailles.

Le navire put terminer son accostage sans être plus dérangé.

— Allez préparer vos affaires, dit Littold à Ternine. Vous voici arrivé dans votre nouveau foyer.

Ternine regarda l’endroit. Son nouveau foyer. Sa nouvelle prison oui. Mais pourquoi avait-il fallu qu’il découvre cette fille aux diamants ? Cette Deirane. Elle ne lui avait apporté que des malheurs.

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