- Non ! C'est pas simplement que Pierre est venu avec les cheveux rouges ! Il invente...

Elle avait, Marine, comme un gros nœud dans la gorge. Normalement, sa voix était plus claire, ses mots jaillissaient. Ici, chaque phrase était une vague rauque s'abattant mollement sur la tablée. Les kirs royaux attendaient, offerts par Papi, tout comme le repas, du reste. Les bulles s'envolaient dans la pourpre embuée des coupes. Conneries de festivités chimiques... elles ne tenaient pas compte du visage de Papi... Ses sourcils étaient froncés comme quatre paires d'yeux. Des yeux de gorille.

- Il invente ?!

Le ton effaré qu'il avait pris, Papi, ça mettait Marine dans une rage délectable.

- Il invente, il invente oui, il invente un monde dans lequel on se sent libre de porter les cheveux rouges !

Indigné, Papi, qu'il était !

- Mais il n'invente rien du tout ! Il suit une mode ! Mode de « m'as-tu-vu » ! Comme les feignants qui font la manche au centre-ville, qui crachent par terre ! Ou comme les gamins, là, quatorze ans tout mouillé, qui ne pensent qu'à attirer l'attention, « Regardez-moi, regardez-moi », des petits connards ! Pierre, il ressemble à ça ? Comprends pas ! Pourquoi tu avais besoin de faire ça, Pierre ? Pour exister ?

- Non.

Il avait rentré ses pouces au creux de ses poings. Il tirait une poker-face remarquable.

- J'ai essayé, c'est tout.