La salle n'était pas particulièrement bondée. Un brouhaha à marée basse y écumait timidement. On distribua les cartes. Marine choisissait toujours parmi les menus, suivant la tendance générale. Il n'y avait guère que son jeune frère Baptiste pour s'en écarter. Marine, coite, désapprouvait cette attitude. Elle avait collé ses deux genoux, cramponné son regard à la carte, courbé sa nuque en terminaison de son dos trop droit.

- Tout le monde trouve son bonheur ? questionna Papi. Pierre ? Tu as trouvé ton bonheur ?

- Euh, je crois que oui, fit le garçon dans un gloussement.

Débordement anticipé du plaisir que l'on s'apprête à recevoir. Pas rancunier, le petit Pierre, pour flatter Papi comme ça. À la truelle, la pommade, il irait, le fumier... Papi allongea un sourire en clignant des yeux, pour une seconde de tendresse.

- Alors ? Qu'as-tu choisi ?

- J'étais parti sur le tournedos...

- Un tournedos ? Bien. Qui d'autre se sent tenté par le tournedos ?

Trois mains se levèrent, dont la sienne. S'étaient joints au club Emmanuel et Chloé.

- Et toi, ma vie ? s'entendit demander Mamie, qui étudiait consciencieusement la double-page plastifiée.

- Oh, pour moi, la lotte ce sera très bien. Vous avez pris du tournedos ? Non, ça ferait trop pour moi...

- Une lotte, donc, répéta Papi.

Petit contrôle des yeux sur le reste de la tablée.

- Personne d'autre ?

- Moi aussi je vais m'orienter sur la lotte, Papa, dit Maman.

- Une lotte ici, ça fait en tout deux lottes... d'autres amateurs ?

Baptiste et Marine secouèrent la tête, demeurant concentrés sur leur besogne. En ce qui concernait le frère, elle consistait à choisir non le plat le mieux adapté à ses papilles, mais de quoi se remplir la panse au maximum. Quant à la sœur, ce qui lui déplairait le moins se trouverait dans le menu le moins coûteux possible.