Le jeu en vaut-il la chandelle?
Marine s'adossa à sa chaise, soupira avec retenue, détourna le regard.
- Ma chérie, explique-moi ! Quel est le problème ?
Il était redevenu très sérieux. D'une soucieuse autorité.
- Mais non, mais c'est pas grave.
- Mais si, mais si, dis-moi !
- Rien, peut-être que le serveur a d'autres chats à fouetter. Et maintenant, à tous les coups, au dessert, il y aura cette espèce de bougie, là...
- Et alors ? Qu'il la mette sa bougie, qu'est-ce que ça peut faire ?
- Ça se remarque pas mal, dit Pierre. Ça fait comme un petit feu d'artifice et c'est vrai que c'est un peu l'affiche.
- Un peu quoi ?
- L'affiche. On attire l'attention sur nous, quoi.
Là, Papi, on vit qu'il voyait le monde sous d'autres couleurs. Et de se fendre un tantinet la gueule.
- Alors les cheveux rouges, ça passe, mais une bougie qui fait deux, trois étincelles, ça vous gêne ?
- C'est quand même pas la même chose ! réagit Marine. Le gâteau, la bougie, puis la chanson d'anniversaire, qu'on impose aux autres tables...
- Et les cheveux rouges, on ne nous les impose pas ? La chanson, c'est normal ! Et elle ne dure pas plus d'une minute, au moins.
- Les cheveux, c'est quand même plus original ! plaça Chloé.
- C'est surtout plus facile d'ignorer un stimulus visuel que sonore, insista Marine.
- Tu vas tout intellectualiser comme ça longtemps ?
- La bougie et la chanson, ça fait du bordel.
- Bien, dit Papi d'un air gorille. Et, de suite, il s'exécuta en essayant d'interpeller un second serveur qui passait.
- J'arrive, lui dit-il en hâtant le pas dans la direction opposée.
- Attends, Papi, qu'est-ce que tu fais ? demanda Marine en se redressant.
- Ben quoi ? Je vais lui dire pour la bougie, qu'il en mette une plus petite !
- Mais c'est bon...
- Messieurs, dames, dites-moi ?
- Oui excusez-moi, se lança le chef de table avec un ton patronal, j'ai informé votre collègue qu'il y avait un anniversaire ici, mais vous voyez, ma petite-fille – il désigna de nouveau Marine – préférerait une bougie plus petite...
- Ou pas de bougie du tout, à la rigueur, interrompit la jeune femme, les joues crispées, articulant avec pédagogie.
- Qu'est-ce que tu dis, ma chérie ?
- Je dis qu'il n'y a pas besoin de bougie, mais sinon c'est pas grave.
- Oui, voilà, pas de bougie, ni de chanson – il plissa les yeux en affectant un rire de bonne humeur – c'est parce que, vous comprenez, ça la gêne un peu...
- Entendu, répliqua le serveur qui se fit le reflet même de ce sourire. Il décampa dans une posture de médaillé d'or.
- Est-ce que ça te convient, ma chérie ?
Marine freina d'urgence un haussement de sourcil. S'étant fardée d'un très beau sourire, elle remercia Papi. Elle ne s'était jamais sentie si seule.
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