Prise de panique et de désespoir, Fileya attrapa sa tête entre deux mains ce qui recouvrit l'entièreté de son visage sous une masse de cheveux autrefois blancs et purs, tout en murmurant :

– Ce n'est pas possible... Il doit forcément y avoir un autre moyen... Il doit y avoir une autre sortie quelque part... On ne peut pas rester bloqués ici, on doit aller à Aristofée, sauver le Monde, et bannir à tout jamais ce fou de Seven... Hachedézo, dit-moi qu'il y a une autre issue, je t'en supplie !

– Fileya..., débuta doucement l'Hybride dans un mouvement profondément pacificateur en sachant tout de la tornade d'émotions qui faisait rage dans le cœur de son interlocutrice. Je ne peux rien faire. Je suis désolé. Tout ce que nous pouvons faire, c'est garder l'espoir.

– Garder l'espoir ?! répéta la jeune Invoqueur en levant des yeux rougis par la fatigue en direction de l'homme à moitié poisson. Mais personne ne pensera à nous trouver, ici ! Si cet endroit est bien caché, ce n'est pas pour rien ! Personne n'en connaît l'existence et encore moins son emplacement exact ! Personne n'arrivera à nous...

Au même moment, un grondement en provenance de la pierre grise les firent sursauter. Pensant qu'il s'agissait de Seven qui revenait se terrer dans son antre funèbre, Fileya sentit ses membres trembler et devenir aussi dur que de la roche. Incapable de réagir, la jeune fille sentit alors son estomac se nouer, alors que la lumière s'infiltrait de plus en plus dans les escaliers ténébreux. Plus la lueur grandissait, plus la peur prenait possession du cœur de le meilleure amie de Yume, qui sentait sa tête vaciller et ses membres s'engourdir davantage. C'était cette peur-là, la vraie, celle qui vous pétrifie et vous fait suer à grosses gouttes. Jamais Fileya n'avait ressenti pareille pression auparavant.

– C'est bon comme ça ? questionna tout à coup une voix enfantine, mais étrangement familière, une fois que le bloc de roche fut totalement hors de portée.

Le passage ainsi libéré, deux visages humains se penchèrent alors en direction des escaliers tels les regards des anges sur les mortels depuis les cieux éclatants. Fileya dut plisser les yeux face à cette lumière aveuglante, mais une fois que ceux-ci furent habitués à la lueur écarlate, un radieux sourire éclaira son beau visage rond. Il lui avait semblé une éternité qu'elle n'avait pas souri ainsi.

– Fileya, c'est bien toi ?! s'exclama alors la voix d'Astrid, qui descendait prudemment les escaliers en direction des trois compagnons.

La jeune fille avait certes changé d'apparence depuis la dernière fois qu'elles s'étaient vues, mais son timbre de voix était resté le même. Plus qu'heureuse de voir enfin un visage familier et en pleine forme dans son océan de malheur, Fileya se jeta sans prévenir dans les bras de son amie, qui ne sut trop comment elle devait répondre à cette étreinte inattendue. Maintenant qu'elle se sentait en sécurité, la jeune Invoqueur laissa à nouveau des larmes cascader le long de ses joues, mais elles n'étaient plus vraiment synonyme de malheur et de désespoir : ces larmes, c'étaient des larmes de félicité et de bonheur enfin retrouvés.

– Qu'est-ce qu'il s'est passé en-dessous ? questionna Astrid, complètement désarmée face à la détresse de son amie, tandis que son regard se perdait sur la silhouette de Hachedézo supportant Yume sur son dos.

– Vous avez l'air dans un sale état, tous les deux..., releva Thandon, mains sur les hanches, son regard profondément inquiet posé sur Fileya qui quittait enfin les bras de la brune pour essuyer ses joues d'un revers de bras. Ca n'a... pas dû être facile, je présume...

Pour toute réponde, la jeune fille acquiesça d'un simple signe de tête, refusant de parler de quoi que ce soit tant qu'ils se trouvaient encore à Onyrik, mais profondément heureuse de revoir enfin le visage de l'être aimé, qui lui parut en pleine forme malgré la petite cicatrice qui lui barrait la lèvre inférieure. D'ailleurs, où étaient-ils, exactement ? Un rapide coup d’œil dans les alentours suffit à lui faire comprendre qu'ils se trouvaient dans les quartiers de l’Élite. Et dire que Seven gardait son plus noir secret sous les yeux de tous, sans que personne ne se soit jamais douté de quoi que cela soit... Cette simplicité était juste répugnante.

Hachedézo sortit à son tour du donjon mortel et déposa Yume dans l'herbe fraîchement coupée. Son état n'avait pas vraiment évolué depuis les escaliers, mais son réveil était imminent. Il ne lui faudrait sans doute que quelques minutes pour qu'il reprenne enfin connaissance.

L'Hybride se redressa alors gravement, ses poings serrés le long de son corps. Il se tourna d'un mouvement sec en direction de sa maîtresse, le regard dur et sérieux, mais la jeune fille savait qu'il ne lui était pas adressé.

– Princesse, m'autorisez-vous à rentrer dans le Monde de Kristal ? lui demanda-t-il sur un ton grave.

Thandon arqua un sourcil devant ce surnom, mais n'en fit aucun commentaire. L'heure n'était pas vraiment à la jalousie et aux crises enfantines.

– Bien entendu, acquiesça l'Invoqueur avec un sourire encourageant, espérant ainsi donner un peu de courage à son Hybride, qui allait très certainement passer un mauvais moment une fois de retour dans son Monde invisible. Après tout ce que tu as fait pour moi, c'est la moindre des choses que je puisse faire en retour pour toi.

– Je ne suis pas vraiment pressé de rentrer, informa Hachedézo en portant deux mains sur ses hanches semies-écailleuses. Mais au plus vite je retournerai dans le Monde des Hybrides, au plus vite ma sentence sera prononcée.

Fileya hocha la tête en guise de compréhension. Invoquant magiquement son sceptre dorée dans une pluie de même couleur, la jeune fille tendit l'embout de son arme en direction de son grand ami. Là, la silhouette de Hachedézo et du cristal se mirent à briller à l'unisson et, lorsque la lumière aveuglante fut enfin dissipée, l'Hybride avait finalement disparu.

Tout en rangeant son bâton d'Invoquation, Fileya pria du fond du cœur que Hachedézo ne subirait pas une punition trop sévère pour avoir enfreint une règle primordiale dans le but de lui venir en aide. Elle espérait que la Déesse saurait se montrer clémente pour ce geste de bonté.

– Sentence ? répéta Astrid quelque part derrière l'Invoqueur, sur un ton visiblement surpris.

– Je vous expliquerai tout plus tard, je vous le promets, annonça Fileya en se tournant en direction de ses deux amis enfin retrouvés. La priorité maintenant, c'est de sortir de la ville au plus vite.

– Je ne sais pas ce qu'il se passe, intervint tout à coup une voix familière qui surpris tout le monde, mais je suis entièrement d'accord avec toi. Fikternand ne m'avait jamais autant répugnée jusqu'à aujourd'hui.

Comprenant que son meilleur ami venait de sortir de son long coma en silence, Fileya, la bouche entrouverte dans une expression de béatitude, se tourna subitement en direction de celui-ci. Yume, désormais pleinement réveillé depuis quelques secondes sans doute, la fixait avec de ses iris toujours emplies de détermination. La jeune fille ignorait comment il pouvait encore trouver la force de continuer à se battre comme il le faisait malgré la terrible épreuve qu'ils venaient tous deux d'endurer, mais elle admirait grandement sa capacité à se remettre aussi rapidement. Ou peut-être était-il tout aussi ébranlé qu'elle à l'intérieur, peut-être que son âme souffrait tout autant, mais qu'il ne souhaitait pas partager ses peines et ses douleurs avec son entourage. Peut-être que cette détermination inébranlable n'était qu'une simple façade pour se persuader lui-même qui tout allait pour le mieux.

N'essayant même pas de se contenir un minimum car elle se savait épiée par de nombreux paires d'yeux, Fileya se jeta sans ménagement sur son meilleur ami de toujours pour l'étreindre de ses fins bras laiteux. Contrairement à Astrid, le blondinet répondit immédiatement à ce geste quelque peu brusque et hasardeux en refermant ses bras dans le dos de la jeune fille, tout en laissant sa tête tomber dans le creux formé par son cou. Soupirant de soulagement, Fileya ne connaissait pas assez de mots pour exprimer la joie et l'apaisement qu'elle ressentait à ce moment-là. Tout cela était presque derrière eux, désormais. Encore devaient-ils sortir vivant de cette belle et grande ville infernale...

Conscient qu'ils devaient agir au plus vite, Yume fut le premier à briser le contact. Agrippant sa meilleure amie par les épaules, il la délaissa doucement en lui adressant un sourire confiant. Rassurée, cette dernière fit « oui » de la tête et se redressa hâtivement sur ses jambes, avant de tendre une main à l'ancien Épéiste pour l'aider à se relever à son tour.

– Quelles charmantes retrouvailles, lança soudainement une voix exécrable dans leur dos qu'ils auraient préférés ne pas entendre. J'en pleurerais presque.

Un rictus de colère déformant les traits de son beau visage, Fileya fit immédiatement volte-face pour faire dignement face à son ancien « collègue ». Devant elle, Teki se tenait faussement le cœur en signe de compassion, tandis que toute une ribambelle de soldats encerclait le petit groupe sans défense.

Serrant les poings près de son corps alors qu'une irrépressible envie de le frapper en plein visage s'emparait de son être, la jeune fille vit du coin de l’œil Yume totalement prêt à lever sa main pour invoquer magiquement son épée. Fileya se retrouva alors entourée par ses trois autres amis, également eux aussi préparés à en découdre avec toute cette petite armada, bien qu'ils n'avaient aucune arme en leur possession. La jeune Invoqueur vit Thandon lever les poings près de son visage dans une posture de combat, tandis que son petit frère à ses côtés redressa lui aussi fièrement les mains, comme prêt à utiliser de la magie, ce qui ne manqua pas d'étonner la meilleure ami de Yume qui ignorait que Khomas était capable d'un tel prodige. Seule Astrid paraissait totalement désarmée, au sens propre comme au figuré, mais l'expression impassible qu'affichait son visage démontrait clairement qu'elle était prête à se battre de toutes ses forces s'il le fallait, car il n'était certainement pas question de renoncer maintenant, alors que les portes de la ville et de leur liberté tant désirée étaient à portée de main.