Chapitre 13.1 : Astrid
Astrid ne savait pas depuis combien de temps exactement Iakyndy avait embarqué ses compagnons dans une folle aventure, mais une chose était certaine : il mettait un temps monstre pour revenir. Lorsque la jeune fille s’était réveillée ce matin, tirée de son sommeil légèrement moins inquiet et réparateur maintenant qu’elle savait Yume et Fileya dans l’action pour la sauver, elle avait trouvé une lettre manuscrite en caractères délicats, sans doute écrite puis déposée ici par Iakyndy avant son départ à son intention. Astrid l’avait immédiatement dépliée pour en connaître le contenu, mais elle n’indiquait rien de bien intéressant, si ce n’était qu’elle avait la permission de déambuler dans le château à sa guise, en compagnie de Thandon et Khomas si elle le désirait. La Princesse de Cristal stipulait cependant dans sa coursive qu’elle avait interdiction d’entrer dans la salle d’audience de son père. “Pas besoin de le dire, pensa Astrid en son for intérieur, j’y serai allée pour rien au monde !”
Après avoir tenté de se recoucher, s’emmitouflant dans ses draps comme une chrysalide dans son cocon, Astrid ne parvint pas à retrouver le sommeil, car le train de sa pensée s’était mis en marche à partir du moment où elle avait lu la lettre de Iakyndy. Grognant contre la Princesse de Cristal qui lui avait fait perdre son précieux sommeil, la jeune fille se retourna dans son lit, un bras posé paresseusement sur le haut de sa tête, tandis que son regard vint se perdre derrière les deux grandes fenêtres qui faisaient face à l’alcôve dans laquelle elle avait été placée. Un rayon du soleil perdu vint jouer avec ses yeux encore légèrement endormis. Fronçant les sourcils et plissant les paupières de mécontentement, Astrid se redressa totalement, son regard ne se détachant pas du paysage peint derrière les deux vitres de glace. Le soleil était comme coincé entre les sommets de deux montagnes, telle une balle qu’on aurait enfoncé dans un entonnoir qu’il serait désormais impossible à retirer.
Soupirant de lassitude, consciente qu'elle ne se rendormirait pas avant la soirée tombée, Astrid prit la décision de se lever. Une fois que ses pieds nus touchèrent le sol, elle se fit la réflexion que celui-ci était bien plus froid que la veille, mais qu'il n’avait fort heureusement rien perdu de son opacité, rien de comparable avec les paliers et les escaliers qui parsemaient le reste du palier, dont les sols avaient été remplacés par des vitres en cristal.
S’étirant tout en lâchant un gémissement guttural, Astrid se questionna intérieurement sur la façon d’occuper sa journée avant le retour de Fileya et Yume. Elle aurait pu aller réveiller Thandon et Khomas, qui dormaient dans une des pièces du palais - elle ignorait laquelle exactement, néanmoins - mais l’idée de passer sa matinée avec deux garçons avec qui elle n’entretenait pas de très bon liens amicaux la fit grimacer. Finalement, l’Enfant aux Yeux Rouges préféra prendre la missive de Iakyndy à la lettre : elle se promènerait dans le château comme bon lui semblait, sans déranger son Altesse Royale le Roi de Cristal, bien entendu.
Enfilant ses chaussures avec des gestes lents pour tromper le temps, Astrid laissa son esprit divaguer quelques instants en dehors du palais : comment ça se passait pour Yume et Fileya, dans la forêt ? Avaient-ils déjà trouvé la bête, à l’heure qu’il était ? Étaient-ils déjà en train de l’affronter ? Et si, comme l’avait craint le jeune homme, Iakydny les avait finalement mené droit dans un piège ? À cette ultime pensée, la jeune fille se rassura de son mieux en se répétant qu’il n’était pas si simple de tromper ses amis, et qu’ils sauraient se défendre en toutes situations, même contre une Princesse de pacotille démoniaque et sournoise.
Se redressant mollement sur ses appuis, Astrid commença par faire un premier tour de sa chambre, chose qu'elle n'avait pas eu l'occasion de faire la veille car, épuisée par ses émotions, elle s'était écroulée de fatigue. Elle se dirigea en premier lieu en direction d’une bibliothèque murale qu’elle avait déjà remarquée hier soir, lorsque la Princesse de Cristal lui avait attribué sa chambre. La jeune fille fit un rapide état des lieux des différents ouvrages qui parsemaient les trois rangées de l'étagère, se demandant si Iakyndy les avait tous véritablement lus. Tout le monde savait que la véritable personnalité d’une personne se reflétait à travers ses lectures, aussi pensa-t-elle que ces livres renfermaient la véritable constitution de leur soi-disant “hôte au bon cœur”. Cependant, Astrid ne parvint pas à se mettre quoi que ce soit d’intéressant sous la main, si ce n’étaient des livres de capes et d’épées, des romans d’aventure et de légendes comme elle-même les aimait, ou encore des récits à l’eau de rose. Se dire que Iakyndy était une romantique lui arracha un sourire grossier. Soupirait-elle sincèrement à l'idée qu'un homme puisse tomber amoureux d’une jeune femme aussi narcissique qu’elle ?
Les sourcils d’Astrid se froncèrent tout à coup d’incompréhension lorsque, quand elle voulut prendre un livre dont le titre était accrocheur pour le feuilleter rapidement, une page volante tomba lourdement au sol. Se penchant pour la ramasser, la jeune fille comprit que cette feuille n’était pas l'extrait isolé d’un des nombreux bouquins lorsque, quand elle la déplia, elle vit le portrait photographique de trois êtres vivants. Sur la photographie était représentée trois personnes, dont Astrid devina aisément les identités. Iakyndy, quoique largement plus jeune qu’elle ne l’était à l’heure d'aujourd'hui (elle devait avoir dans les dizaine d’années, si ce n’était moins), était assise sur une sorte de petit trône aux arabesques complexes. Elle avait les mains repliées sur son ventre, et son petit visage encore rondelet d’enfant n’esquissait pas l’ombre d’un sourire. Son regard cristallin, que la jeune fille ne pouvait que deviner car l’image était en noir et blanc, fixait l’objectif avec une haine féroce qui la fit tressaillir, comme si c’était elle que la petite Princesse tuait des yeux. De part et d’autre de Iakyndy se tenaient, parfaitement droites et solennelles, deux silhouettes dont les contours permettaient de distinguer qu'il s'agissait d'un homme et d'une femme. Cependant, Astrid ne put identifier leurs visages, car ceux-ci avaient été injustement retirés. Possiblement à coups d’ongles. S’agissait-il des parents de la Princesse de Cristal ? Si c'était bel et bien le cas, alors pourquoi les avoir tous deux rayés de l'image et garder cette photo immonde au lieu de la jeter ? L’Enfant aux Yeux Rouges en vint à penser qu’elle ne comprendrait sans doute jamais Iakyndy.
Ne cherchant pas à s’immiscer dans la vie privée de son hôte, car plus elle en apprenait plus sur elle, plus sa méfiance envers cette dernière grandissait, Astrid replaça la photographie d’où elle était tombée, arrangeant les livres comme elle les avait trouvés.
Se mordant la lèvre inférieure nerveusement, Astrid pesa rapidement le pour le contre pour tromper l’ennui et tuer le temps. Deux choix s'imposaient à elle : rester ici bien sagement avec la compagnie d'un livre, ou bien visiter le château pour tenter d'en déceler la majeure partie de ses secrets. Son regard couleur de sang se posa sur l’étagère, et elle sentit une vague de fatigue la submerger immédiatement. Elle aurait pu passer sa matinée à lire, mais elle n’avait pas le cœur à ça, aujourd'hui. Déplaçant son regard jusqu’à la porte de sa chambre, la jeune fille se décida à sortir.
Par surprise, Astrid ne trouva pas la porte fermée à clef. Elle ne comprenait plus rien. N’était-elle pas censée être une sorte d’otage ? Pourquoi lui laisser alors le champ libre pour visiter le palais à sa guise ? Et les grandes portes, étaient-elles verrouillées ? Sans aucun doute. Iakyndy ne devait pas être ce genre de personnes à laisser tout au hasard. Elle devait bien se douter que son “invitée” chercherait à s’enfuir. Mais, par précaution, Astrid tenta le tout pour le tout. Si elle avait un moyen de s’enfuir, alors autant le saisir ! Si elle trouvait les portes ouvertes, elle chercherait Thandon et Khomas corps et âme et leur sommerait de s'enfuir, car une occasion en or comme celle-ci ne se présenterait certainement pas deux fois !
Astrid dévala les escaliers à la hâte, ne prenant pas garde au sol sous ses pieds qui laissait apercevoir les étages inférieurs. Une fois les marches descendues, la jeune fille se rua sur les deux portes pantagruéliques sans plus de cérémonie. Elle empoigna les poignées à pleines mains, tenta de les faire céder en appuyant de toutes ses forces… Mais celles-ci, bien qu’elles s’abaissèrent, refusèrent de laisser les portes coulisser sous leurs gonds.
Poussant un râle plaintif, son cœur encore battant la chamade dans sa poitrine à l’idée perdue de retrouver sa liberté, la brune s’adossa à contre-cœur contre le dernier rempart pour sa délivrance. Totalement abattue, son regard se perdit mollement sur les trois étages qui composaient la demeure glaciale. Tout en plissant le nez, réalisant que sa dernière option pour s'occuper serait de faire un tour dans le palais, la jeune fille essaya de déterminer lesquels elle avait déjà visité. Si elle ne se trompait pas, le premier menait au boudoir, ainsi qu’à la salle où se trouvait la plus belle robe de mariée jamais vue, mais qu’elle répugnait plus que tout au monde quand elle savait que celle-ci lui était destinée. Au second palier se trouvait sa chambre, et sans doute en comportait-il d’autres, au vu des nombreuses portes que possédait le couloir. Quant au troisième étage... la jeune fille n’avait pas le souvenir d'y avoir mis les pieds, et se demandait curieusement ce qu’il pouvait bien contenir.
Déterminée à occuper le reste de sa journée, Astrid prit finalement la décision de partir en exploration. Elle s’agrippa à la rambarde froide des escaliers avec l'espérance de gravir les marches en usant le moins de ses forces mais, alors qu’elle atteignait seulement le deuxième palier, la jeune fille s’y arrêta quelques instants pour y récupérer sa respiration. La bouche entrouverte et les yeux vitreux, une main sur le cœur, Astrid avait l’impression de revivre sa première fuite de Fikternand, lorsqu’elle avait couru derrière Yume et Fileya sans jamais s’arrêter. Elle qui pensait que gravir des escaliers en spirale serait moins épuisant… elle avait faux sur toute la ligne !
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