Astrid tira un premier bâton de bois, une simple flèche, mais Iakyndy, une main posée sur sa hanche, la dévia rapidement d’un geste horizontal rapide de son bras valide. La flèche changea alors de direction et vint se ficher à l’opposé des deux adversaires, à l’autre bout du Palais de Cristal, dans la direction exacte qu’indiquait la paume tendue de magicienne démentielle.

Empruntée par ce coup manqué, Astrid ne trouva de première solution que d’ouvrir de grands yeux étonnés devant cet assaut ruiné. Puis, se ressaisissant rapidement, la jeune fille prit le parti d’analyser rapidement la situation avant de se laisser aveugler par le désir de vengeance. Elle devait d’abord étudier le terrain dans lequel elle allait devoir se battre si elle voulait avoir un minimum d'avantage dans le combat à venir. Se sachant moins puissante que n’importe lequel de ses compagnons (elle se positionnait même en dessous de Thandon et Khomas, pour dire...), la jeune archère savait que son but prioritaire restait de fuir la Princesse de Cristal, dans l’intention de gagner du temps, et ainsi permettre à ses trois camarades encore dans la forêt de la rejoindre au moment venu.

Malheureusement, très peu d’issues de secours s’offraient à elle, et Iakyndy perdait visiblement patience. Cette dernière avait levé ses deux paumes près de ses hanches et, tout en s’avançant lentement en direction de sa proie, un sourire perverti de méchanceté ignoble déformait ses traits de visage altier. Dans ses mains tourbillonnaient deux sphères de magies bleues marine à l’état venteux.

Ravalant sa salive, se sentant fichue, Astrid était totalement prise au piège. Impossible de passer derrière Iakyndy pour espérer rejoindre les escaliers ; elle l’attaquerait avec sa magie bien avant. Se reculer dans la salle aux hommes statufiés ne représentait guère une meilleure option, puisque celle-ci ne comportait qu’une seule porte d’entrée et de sortie ; elle se retrouverait ainsi forcément acculée par la manipulatrice de glace à un moment donné. Enfin, les statues de Thandon et Khomas barraient la seule solution de fuite qui lui restait, à savoir les escaliers qu’elle avait repéré plus tôt.

Alors que Iakyndy ne se trouvait plus qu’à quelques ridicules pas, Astrid sentit une boule de stress naître dans son estomac. Ignorant totalement la peur qui la paralysait sur place et son front perlant de sueur terrifiée, ses pupilles d’un rouge rubis unique se posèrent tout à coup sur l’immense lustre de cristal qui pendait depuis les hauteurs du plafond, lévitant au-dessus du vestibule, haut de trois étages. Puisqu’il se trouvait littéralement suspendu au niveau du troisième palier, la jeune fille put remarquer avec netteté qu’il était possible pour un humain de s’y engouffrer à l’intérieur.

Ne perdant plus une seule seconde du précieux temps qu’elle n’avait déjà que trop gaspillé, Astrid s’élança à toutes jambes en direction de la rambarde d’escaliers, bousculant Iakyndy au passage pour lui faire manquer pied. Tandis que la jeune femme de cristal poussait effectivement un cri de surprise et d’indignation, la brune, de son côté, s’était déjà hissée sur le minuscule rebord. Positionnant ses bras de part et d’autre de son corps à la recherche d’un équilibre, prenant sur elle pour ne pas porter son regard dans le vide sous ses pieds, la jeune fille soupira pour retrouver courage, ses iris résolument fixés sur le lustre qui devait se trouver à quelques centimètre d’elle. Seulement, seul un bond assez puissant lui permettrait de le rejoindre. Astrid ignorait sincèrement si elle en avait les capacités, mais l’idée de mourir à coup de sortilèges glaciaux suffit à lui conférer la motivation nécessaire.

N’y réfléchissant plus à deux fois, son esprit totalement concentré sur le lustre, Astrid plia les genoux. Puis, alors qu’elle entendit les talons de Iakyndy claquer juste derrière elle, la jeune fille s’élança. Les deux mains tendues vers l’avant, elle parvint, malgré quelques sueurs froides, à s’agripper in extremis au rebord du lustre, qui trembla sous son poids dans un tintement cristallin. Ravalant sa salive, Astrid se risqua un minuscule coup d’œil derrière sa frange brune collée de sueur à son front et, lorsqu’elle vit ses pieds pendre mollement dans le vide à la recherche d’un sol beaucoup trop bras, elle sentit ses bras perdre en force. Finalement, l’Enfant aux Yeux Rouges parvint à retrouver l’usage de ses muscles lorsque retentit le rire cruel et moqueur de Iakyndy restée sur le palier. Usant des dernières forces qu’elle possédait - l’adrénaline aidait bien dans des situations comme celle-ci ! -, Astrid se hissa jusque sur la plateforme tout juste assez large pour accueillir une forme humanoïde ni trop épaisse, ni trop grande.

– Tu crois réellement pouvoir m’échapper aussi facilement ? ricana sournoisement Iakyndy en se penchant sur la rambarde d’escalier, sa joue posée délicatement dans le creux de sa main telle la Princesse attendant son Prince Charmant prisonnière de sa tour. Sache que même ton amie Fileya s’est pliée à ma toute puissance.

Pendant ce temps-là, Astrid avait tiré profit du moment de repos que lui accordait son adversaire pour se mettre à l’abri entre deux petits murets qui soutenaient la partie haute du lustre. Se sachant approximativement hors d’atteinte de la magicienne, la jeune fille en profita pour charger son arc et ses flèches. Elle fit glisser son carquois à ses pieds, tandis qu’elle farfouilla un instant dans le fond de celui-ci pour en tirer une sphère écarlate ainsi qu’une flèche. Là, elle fusionna la boule magique avec son projectile sans même réfléchir, sachant pertinemment que, par expérience des jeux-vidéos, les ennemis élémentaires de glace n’étaient pas vraiment amis avec le feu.

– Si tu avais vu la peur dans son regard, poursuivit Iakyndy qui avait, entre-temps, commencé à descendre les escaliers en déhanchant son bassin à la manière d’une féline.

La Princesse de Cristal se stoppa dans sa marche. Elle apposa une main pleine d’ongles horriblement trop long au goût d’Astrid près de sa bouche, avant de lâcher un rire démentiel qu’elle ne tenta même pas de dissimuler. Prise de folie, les épaules de la jeune femme à la peau de cristal en tremblaient d’excitation.

– Rien que d’y repenser, je me sens toute chose ! commenta-t-elle en gloussant de plus belle, ce qui fit grincer des dents à Astrid.

– Tu es une grande malade ! répliqua derechef la jeune fille, dégoûtée par un tel comportement qu’elle jugeait comme inhumain.

Astrid serra le manche de son arc à pleine main et en fit de même avec la flèche qu’elle tenait dans l’autre. Elle réalisa qu’elle mettait bien trop de colère dans ses doigts lorsque le bois commença à craquer sous sa paume. La jeune fille ferma les yeux pour se détendre tout en soupirant, tandis qu’elle s’imagina les visages confiants de ses deux amis sous ses paupières closes. Les voir, même seulement en pensée, lui redonna curieusement beaucoup de courage, et suffit même à l’apaiser. Elle desserra doucement ses doigts autour de son projectile et de son arc.

– Yume et Fileya ne vont pas tarder à rappliquer, prévint Astrid, qui avait recouvré l'entièreté de son calme, mais toujours dissimulée dans le lustre de cristal de sorte que son ennemie ne puisse pas l’atteindre, et face à nous trois, tu feras moins la fière, tu verras !

– C’est marrant, fit Iakyndy tout haut, tapotant deux doigts sur sa joue, tout près de ses lèvres, mais j’ai déjà entendu ça quelque part…

Astrid entendit à nouveau ses talons claquer contre le cristal, et elle comprit que son adversaire se déplaçait. Elle ne comprit que trop tard qu’elle se trouvait désormais dans sa ligne de mire lorsque, baissant les yeux pour analyser le terrain, elle vit la Princesse de Cristal, en plein milieu des escaliers, qui la fixait avec malice. Sans se départir de ce sourire angélique qui cachait en réalité une personnalité démoniaque, Iakyndy leva une paume en l’air avec une douceur calculée. Là, une masse de brume marine virevolta dans le creux de sa main, avant de se mouvoir rapidement en de multiples pics de glace de même couleur qu’Astrid identifia comme des stalactites. Toujours avec autant de grâce, la jeune femme abaissa simplement son bras, et les projectiles magiques fusèrent dans la direction de l’Enfant aux Yeux Rouges.

Effrayée, Astrid eut à peine le temps de dégager sa tête de l’ouverture qui lui permettait d’espionner les moindres faits et gestes de Iakyndy et, désormais cachée, elle esquiva in extremis les stalactites marine. Surprise par autant de réflexe depuis qu’elle avait posé les pieds dans Onyrik, la jeune fille posa une main à l’endroit de son cœur encore affolé, alors que son souffle saccadé par la peur et l’adrénaline formait des nuages de buée devant ses yeux horrifiés. En face d’elle, les projectiles de glace s’étaient fichés à l’endroit exact où elle se trouvait un peu plus tôt. Le lustre tanguait de gauche à droite en émettant un tintement cristallin, mais il se stabilisa quelques secondes après l’attaque de la Sorcière de Glace.

– Ah, mais oui ! s’exclama subitement Iakyndy, peu soucieuse de son coup manqué, claquant ses deux paumes entre elles, un sourire ravi aux lèvres. Fileya cherchait également après son ami en pleurant tout en me suppliant de l’épargner !

– Arrête de dire n’importe quoi ! s’emporta la jeune fille, qui n’aimait pas entendre la Princesse de Cristal ridiculiser son amie de la sorte.

Tel un sniper, Astrid sortit brièvement de sa cachette pour cribler son ennemie de projectiles enflammés. Cette dernière avait déjà descendu les escaliers, et la jeune fille mit un certain temps avant de comprendre qu’elle devrait la viser depuis le vestibule. Sa cible se trouvait certes plusieurs mètres en dessous d’elle, mais elle savait également que ses propres flèches étaient douées d’un sens magique. Même à cette distance, la jeune archère parviendrait sans grand mal à atteindre Iakyndy.