Chapitre 14.5 : Astrid

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Se pinçant la lèvre inférieure, Astrid préféra hocher gravement la tête de haut en bas, se demandant si les gestes aideraient mieux à faire passer la pommade que les mots. Cela eut effectivement l’effet escompté, puisque Fileya perdit tout de son expression énervée, mais en adopta une bien plus affolée. Les yeux aussi exorbités que des soucoupes, la jeune fille déplia brusquement ses jambes, surprise, tout en posant deux mains effarées devant sa bouche. Astrid ne sut jamais s’il s’agissait d’un jeu de lumière avec le reflet des flammes sur son visage d’albâtre, mais il lui sembla voir la jeune Invoqueur rougir.

– Mais alors… Yume aussi est au courant ?! réalisa Fileya, ses mots à moitié mangés par ses paumes encore plaquées sur ses fines lèvres.

– Sans l’ombre d’un doute, répondit Astrid le plus naturellement du monde, tout en haussant les épaules. Tu… sembles inquiète…

Fileya ne réagit pas immédiatement à ses paroles, se passant plutôt deux mains dans ses cheveux légèrement bouclés, visiblement affolée. Inquiète à son tour, Astrid déplia elle aussi les jambes, ses sourcils froncés d’incompréhension. Qu’y avait-il de mal à ce que son meilleur ami soit au courant de ses états d’âme ? S’était-il passé quelque chose, dans un moment de leur amitié, où le jeune homme avait piqué une crise de colère parce qu’un autre garçon avait fait des avances à Fileya ou bien refusé celles de la jeune fille ?

– Oh non… réalisa Fileya dans un gémissement pathétique. Et dire que je l’ai envoyé à la rivière avec lui… Il va le tuer…

– Mais non, mais non ! s’interposa Astrid, les yeux grands ouverts d’effarement, choquée par les propos de son amie. Pourquoi tu dis ça ?! Yume n’est pas…

La brune marqua une pause pour déglutir de travers. Yume n’était pas du genre violent, n’est-ce pas ? Thandon allait-il revenir avec le nez en sang ou un bras en moins, tout simplement car il ne s’était finalement rien passé entre les deux jeunes gens ? Mais le blondinet disait constamment détester la violence, ennemi ou non...

– Yume n’est pas ce genre de type, pas vrai ? Il répète tout le temps qu’il a horreur de s’en prendre aux humains…

– Oui… Oui, tu as raison, approuva finalement Fileya, tout en fermant les yeux pour reprendre contenance.

Soupirant d’aise pour se remettre les idées en place, la jeune fille replia ses jambes près d’elle, les mains apposées délicatement sur ses genoux. Elle inspira et expira à nouveau pour se calmer, avec de reprendre, avec une douceur infinie dans la voix :

– Et puis, Léterno est là-bas. Yume ne tentera rien en sa présence, j’en suis certaine. Merci.

Astrid sourit, ravie d’avoir échappé de peu à la catastrophe. Elle savait, par expérience, qu’il fallait se méfier de la colère des personnes qui étaient d’apparence très calmes, car une fois leur ire éclatée au grand jour, ils pouvaient être véritablement terrifiants ! Et pour avoir vu Fileya se battre contre l'Élite à de nombreuses reprises, Astrid préférait largement l’avoir comme amie plutôt que comme ennemie. Mais, comme elle sentait son amie bien plus calme, la jeune archère eut envie de réitérer ses tentatives pour connaître le fin mot de l’histoire.

Avec un sourire en coin malicieux, Astrid se tourna lentement en direction de son amie, dont le regard fixait les flammes dansantes sous ses yeux, et osa demander, curieusement :

– Mais il s’est passé quoi exactement ? Parce que si même Yume perd son sang-froid… Ça doit être grave, non ?

– Pour tout de dire, il ne s’est tout simplement rien passé, dévoila Fileya sur un ton calme, comme si elle s’était manifestement attendue à une telle question.

– Quoi ? C’est tout ?! s’insurgea la brune, un sourcil redressé derrière sa frange en pétard. Je m’attendais à… bien pire que ça, vu la façon dont tu regardes Thandon quand il pose la main sur toi…

Visiblement piquée au vif par ce dernier commentaire, Fileya redressa lentement la tête en direction d’Astrid, ses sourcils blancs froncés d’incompréhension. Puis, elle abaissa sa tête sur le côté, l’une de ses oreilles de chats bien droite sur sa capuche, et l’autre abaissée, lui quémandant sans doute plus d’informations.

– Avec dégoût, précisa alors Astrid.

– Oh…

Une main apposée à l’endroit du cœur, Fileya détourna les yeux, pensive.

Un nouveau silence s’installa entre les deux jeunes filles, mais Astrid était bien déterminée à ne pas le laisser perdurer trop longtemps. Son amie commençait enfin à lui dévoiler les maux qui lui tiraillaient les pensées et le cœur, elle n’allait pas la laisser tomber après avoir seulement vidé la moitié de son sac ! La jeune lycéenne devait mettre ce temps entre filles à profit, car elles n’auraient peut-être pas d’autres occasions pour discuter plus tard de ce qu’il s’était passé entre Thandon et elle. Ou pire encore, peut-être qu’elle ne voudrait même plus se confier, plus le temps passait…

– Mais du coup… réitéra la brune, pas très à l’aise sous ses couvertures. Tu veux en parler ?

Fileya replongea dans son mutisme pensif. Ses yeux mis-clos déposés sur les flammes dansantes, elle se recroquevilla sur elle-même, tandis que ses bras vinrent enserrer ses genoux avec plus de fermeté, son menton posé à l'intersection quie formaient ses coudes. Astrid s’inquiétait grandement sur l’état mental de son amie. Elle devait souffrir encore plus que ce qu’elle ne leur laissait en apercevoir.

– T’es pas obligée, hein ! se sentit forcée d’ajouter Astrid. Je connais rien à l’amour, que les choses soient claires ! Mais je sais écouter quand une amie est dans le besoin !

Doucement, Fileya redressa la tête, ses yeux baignés de larmes brillants de reconnaissance. Un semblant de sourire commença à naître lentement sur les lèvres de la magnifique jeune fille, et cela suffit à réchauffer le cœur d’Astrid au milieu de cette nuit glaciale dans la Forêt de Cristal.

– Non pas que je n’ai pas envie de me confier à toi, expliqua la jeune Invoqueur d’une voix brisée par les émotions, bien au contraire. Le seul souci, c’est que…

Le reste de sa phrase mourut dans sa gorge. Agacée, Fileya se mordilla nerveusement le pouce, geste qui ne manqua pas d’intriguer Astrid. Il s’était passé quelque chose de bien plus grave que ce son amie ne laissait paraître, mais elle semblait tout aussi incapable de le lui expliquer clairement. Ce n’était pas du genre de Fileya de perdre ses mots aussi facilement !

– C’est que… ? répéta volontairement Astrid, tout en faisant traîner longuement la dernière syllabe, l’encourageant ainsi à prendre la parole.

Pour toute réponse, Fileya relâcha un long soupir agacé. Lassée, la jeune fille déplia ses jambes, posa ses paumes à plat dans l’herbe hirsute, tout près de ses hanches, et bascula légèrement le dos. Puis, la magicienne releva lentement la tête sur les feuillages améthyste au-dessus de sa tête, comme si ceux-ci détenaient le remède miracle pour lui donner enfin le courage de discuter de ce qu’il s’était réellement passé cette nuit-là avec Thandon. Plus les secondes passaient, plus Astrid s’inquiétait.

– Je n’arrive pas à mettre des mots sur mes pensées, déclara alors la meilleure amie de Yume, tandis que ses oreilles de chats sur sa capuche se rabattirent sur sa tête. Ou sur ce qui m’a pris cette nuit-là.

– Essaie toujours, poursuivit l’Enfant aux Yeux Rouges, qui adopta la même position que son amie. Et si je comprends pas, je tenterai quand même d’analyser à ma façon !

– L’idée n’est pas mauvaise, approuva Fileya, ses sourcils froncés de concentration. Très bien. Je vais tenter, dans ce cas. Mais promets-moi de ne pas m’interrompre, même si je me stoppe de temps à autre dans mon récit pour réfléchir.

– Aucun problème ! accepta-t-elle, tout sourire.

Comme on se positionnerait pour écouter l’histoire du soir lors d’une veillée autour d’un feu de camp, Astrid s’assit en tailleurs, ses yeux pétillants d’impatience fixés sur la silhouette parfaite de Fileya. Cette dernière abaissa la tête, sans doute car sa nuque la faisait souffrir à force de fixer ainsi les cieux ombragés, puis vint entourer ses jambes de ses bras. Ensuite, la jeune fille commença à se balancer curieusement d’avant en arrière, le regard perdu sur les flammes, et ses dents triturant sa lèvre inférieure. Subitement, ses joues d’albâtre se tintèrent de rouge, mais une fois encore, Astrid ne sut jamais si cela était dû aux reflets du brasier sur son visage d’ange, ou bien si la jeune fille se remémorait tout simplement la scène avec Thandon dans son esprit avec honte.

– Je… débuta Fileya, sa voix se brisant dans sa gorge, comme gênée. Je crois qu’il a… qu’il a tenté de…

– Il a… ? encouragea la brune, un énorme sourire aux lèvres, elle-même la première à être surprise d’être autant enjouée à propos de cette histoire d’amour qu’elle avait pourtant jugé frivole lors des premiers signes.

– C’est gênant ! éclata la jeune magicienne, le visage désormais aussi rouge qu’un Hérazon, le visage caché derrière ses mains.

Les joues en feu, Fileya laissa sortir un rire nerveux, avant de s’écrier le plus vite possible avant qu’elle ne parvienne plus à prononcer un seul mot :

– Il a tenté de m'embrasser !

Un subit silence s’installa entre les deux jeunes filles, où aucune n’osa reprendre son tour de parole. Cette soudaine révélation les avait bouche bées ; l’une car elle ne s’était pas attendue à cela, l’autre car elle n’aurait jamais pensé trouver le courage de dire un jour ces quelques mots à voix haute. Astrid, pourtant, n’osait aucunement commenter cette révélation, et préféra attendre, un sourire niais mais néanmoins ravi aux lèvres, que Fileya se décidât à en dévoiler davantage. Impatiente, la brune papillonnait des paupières à en avoir les larmes aux yeux et les lèvres sèches par le froid. Si ne voulait rien dire, c’était en partie car elle ne souhaitait pas briser la prise de parole soudaine de son amie, qui semblait enfin d’accord avec l’idée de dévoiler davantage le poids qui lui pesait dans son cœur depuis quelques heures.

– C’est gênant… bafouilla Fileya, dévoilant de nouveau sa petite tête, mais une main écrasée dans sa joue et le regard fuyant celui de son interlocutrice.

– Mais non, pas du tout ! la rassura Astrid, balayant l’air de sa main comme pour chasser les mauvaises pensées de son amie, avant de reprendre, toute excitée : C’est quoi la suite ?!

– Je te trouve bien enjouée, c’est curieux… nota la jeune Invoqueur, avec une moue joueuse sur le bout des lèvres.

– Hey ! Ne change pas de sujet ! Qu’est-ce qui s’est donc passé ensuite ?!

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