Acte VIII: le Sablier du Destin

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Erin se retrouva près du phare, contre l’Esprit qui la recouvrait de son manteau de nuit. Effarouchée par sa proximité glaciale, elle recula de quelques pas. Assez pour contempler l’astre lunaire à la parure vermeille. L’éclipse. Et l’océan se teinta de sang… Une journée ! Elle était restée inconsciente une journée. Elle interrogea le Vitne du regard.

L’heure du choix a sonné, expliqua-t-il, impassible.

En écho à ses mots, le douzième et dernier chant de la cloche du Destin résonna à travers les cellules de la jeune femme. Et un craquement effroyable émana du centre de l’île. Au loin, Erin pouvait distinguer la terre s’élever et de la lave s'en échapper. Les cris lointains, étouffés par le vent, lui parvenaient par bribes et déchiraient son cœur meurtri. Elle serra les poings.

— Dis-moi vite quels sont mes choix !

Le Vitne fut sur elle en une seconde et plongea ses yeux pourpres aux nuances carmines dans les siens. Un élan étrange de tendresse l’envahit et son aura glaciale ne la gêna plus. Sa propre aura s’adaptait maintenant à la sienne.

Viens avec moi. Dans un monde où tu n’auras plus jamais froid ni faim et dans lequel tu pourras être dotée de pouvoirs inimaginables.

Cet être la fascinait, elle mourrait d’envie de le suivre. Quitte à devenir elle-même une ombre. Mais les cris d’agonie des siens la ramenèrent à la réalité. L’île sombrait sous son poids. Elle se dégagea de l'étreinte du Vitne à regret.

— Ou bien ?

Ton sacrifice en échange de leur vie.

La jeune femme resta muette. Elle ferma les yeux et repensa aux propos de son grand-père. Astrid avait-elle choisi le sacrifice ? Erin obtiendrait la vie sauve si elle décidait d'accompagner l'Esprit dans son monde. Être heureuse peut-être… avec la mort des villageois et de sa famille sur la conscience malgré tout, en plus de celles de ses propres homicides. Elle ne se pardonnerait jamais. Sa décision était prise.

— Alors je mourrai, mais sauve-les. Je t'en prie !

La sublime créature – était-ce un dieu ? – tendit une main vers elle et caressa une mèche de ses cheveux avec douceur. Scène surréaliste au milieu du chaos qui régnait autour d’eux. Le cataclysme n’avait pourtant aucune prise dans leur bulle hors du temps tandis que la terre craquait, grondait, que la lave détruisait tout sur son passage et que les vagues déferlaient telles des langues de feu sur le point de les engloutir.

Tu as toujours choisi le sacrifice, se contenta-t-il de murmurer avant de déployer de nouveau sur elle ses ailes obscures.

Sur le chemin de lumière révélé par la lune de sang, Erin assistait, impuissante, à l’effondrement total de Mykines. Elle aperçut grand-père Joe à genoux, au bord d’une falaise qui menaçait de s’écrouler à tout instant. Il tendit son bras vers elle dans un dernier geste désespéré et entendit son hurlement jusque dans ses tripes.

— Astriiiiid !

Et l’océan engloutit l'amas rocheux et Joe Jansen dans sa gueule béante.

— Pardon grand-père… je fais tout ça pour vous sauver. Je ne mérite pas de vivre parmi vous, chuchota-t-elle, le visage baigné de larmes.

La magie du Vitne créait une barrière de protection contre l’océan déchaîné, ce qui leur permit d’avancer sans encombre vers leur destination finale. Soudain, une colonne de lumière grenat s’éleva de l’océan jusqu’à rejoindre l’astre nocturne. L’Esprit saisit la main d’Erin et entra dans cette tour scintillante et évanescente. Ils furent aussitôt transportés dans une pièce circulaire baignée d’une lumière incandescente avec vue sur l’île agonisante de Mykines. En son centre, trônait un gigantesque et surnaturel sablier de cristal empli de grains dorés. Les derniers grains s’écoulaient, reflets d'une île sur le point de s'éteindre.

— Sommes-nous sur… dans la lune ?

Le Vitne acquiesça.

L’horloge du Temps et du Destin dans le monde des Hommes.

Elle observa alors les derniers instants de son monde dans une grande douleur. Dans un dernier soubresaut, l’île disparut sous les flots.

— Ils sont morts ! Je n’ai pas pu les sauver ! Tu m’as menti ! cria-t-elle.

La créature avait retiré son manteau de nuit et son chapeau dévoilant à présent un habit d’un blanc éclatant, aussi lumineux que ses longs cheveux d’opale.

Viens près du Sablier du Destin..

Elle obéit. Tous les grains avaient maintenant chuté.

Si ton choix est toujours le même, alors pose tes mains sur le cristal.

— Astrid aussi est venue ici, n’est-ce pas ?

Toi et seulement toi. Depuis des siècles que se rejoue cette scène. Il y a parfois des anomalies et ton grand-père a mélangé les souvenirs.

Erin fixa la beauté de ses traits une dernière fois et lui sourit. Elle ne comprenait pas ce qu’il voulait dire. Peu importait, elle sentait que c’était son destin. Alors elle apposa ses doigts sur la paroi. Elle les sentit se fondre dans le cristal et toute sa vie fut aspirée sous la forme d'un flux doré à l’intérieur du Sablier tandis qu’il se retournait peu à peu sur lui-même.

La prochaine fois, Erin, j’espère que tu me choisiras enfin.

Il contempla la petite île qui ressortit des profondeurs de l’océan tandis que l’aspiration des années de vie d’Erin permettaient de remonter le temps. Jusqu’à ce jour où elle naquit. Il lui faudrait attendre de nouveau vingt-cinq ans pour lui proposer ce choix. Encore et toujours le même choix.

Le Sablier était à présent prêt pour relancer l’histoire de cette petit île oubliée de tous, perdue au milieu d’un océan de larmes.

L’Esprit disparut dans un nuage de vapeur et réapparut dans une immense salle, une sphère de cristal dans la main. Il se dirigea vers une des étagères, emplies de milliers de sphères identiques, et la posa sur son socle en la regardant une dernière fois. À l’intérieur, une petit île verte au milieu de l’océan. Il sourit. Soudain, la porte s’ouvrit et un grand être flamboyant apparut. Il lui ressemblait étrangement excepté que ses cheveux avaient la couleur du feu.

— Encore là Vidar ? Tu sais que père désapprouve que tu fouines dans les archives de ses créations.

— Hum je sais Vali, mais avoue que les humains sont fascinants…

— Surtout une certaine petite femme rousse…

— Tu as raison. Son corps est vierge, son cœur est pur et pourtant, elle cache une vile noirceur en elle. Sa contradiction comble mon ennui, enfermé dans ces lieux. Nous sommes censés être des dieux, Vali alors pourquoi ne pas s’amuser avec les créatures d’Odin ?

Son frère le jaugea de son regard enflammé.

— Mais quand même, recréer la même scène encore et encore. Cela commence à générer des erreurs dans cette dimension matricielle. Et puis les faire souffrir dans une terrible agonie jusqu’au bout... tu n’es qu’un sadique, mon frère.

Sur le visage de Vidar, un sourire narquois se dessina au coin de ses lèvres. Il posa une main sur l’épaule de Vali et déclara avant de quitter la pièce :

— Je sais. Mais je l’aurai un jour… elle finira par me choisir, cette Erin, ma Walkyrie.

Et les portes se refermèrent dans un claquement sourd sur la grande bibliothèque des Mondes créés par le dieu Odin.

FIN

Suite alternative en épilogue bonus ! >>>>>

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