8 – 18/11/20 – Vulgarisation intra-familiale

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« Papa, tu écris sur quoi en ce moment ? »


Je me tourne vers Milo, installé à l'arrière de la voiture. Je viens de l'attacher, de démarrer, nous partons pour l'école avec un disque des Beatles désormais assigné à demeure dans le poste de la Logan et j'avoue que je ne m'attendais pas à ce qu'il me pose cette question. Dans l'espace des quelques secondes qui suivent, j'effectue un bref retour en arrière et me revois désemparé face à mon fils aîné qui, au même âge ou à peu près, m'interrogeait sur le même ton innocent. Esteban, pour ne pas le nommer, bénéficia en son temps de l'inexpérience de ses parents. Il sut s'engouffrer dans nos contradictions et j'éprouvais, pour ma part, les plus grandes difficultés à clore certains débats dont je savais qu'ils pouvaient tourner en rond pendant des heures. Je ne nourrissais aucune réserve, en revanche, lorsqu'il s'agissait d'avouer mon ignorance. Dans ces cas-là, je l'orientais dans une recherche précise – l'usage du dictionnaire et de l'encyclopédie Universalis me fut souvent d'un grand secours – ou l'incitai à s'adresser à certains membres de notre entourage que j'estimais plus compétents.


« En ce moment, Milo, j'écris sur tout ce qui me passe par la tête. Disons que je m'entraîne. Et en plus, tu le sais bien, si je n'écris pas régulièrement, je me sens vide et incomplet. »


Je note à l'expression de son visage qu'il emmagasine cette information. Il insiste toutefois.
« Oui mais le long texte, là, qui fait que t'as encore fait une nuit blanche... - En réalité, je me suis couché très tard mais j'ai quand même dormi trois heures, ça va ! »


Légèrement exaspéré, il lève les yeux au plafond et lâche un soupir impatient.


« Mais papa, on s'en fiche de ça ! De quoi ça parle ? »


Je m'efforce alors de lui expliquer qu'il existe en ce moment chez une catégorie croissante de personnes une tendance avérée qui consiste à confondre la notion de point de vue et certains faits scientifiques qui correspondent, en quelque sorte, à une réalité tangible qu'il apparaît ardu de remettre en question sans passer au préalable par de longues années de recherche, d'étude et de protocoles compliqués que mes faibles aptitudes en la matière m'interdisent de détailler.


« J'ai rien compris. »


La candeur de cette déclaration me touche au cœur. Il est encore à cet âge où l'aveu d'ignorance ne vous rend pas suspect de bêtise ou d'absence de réflexion.


« Bon, prenons le père Noël. On est d'accord sur le fait que l'on ne peut pas démontrer l'existence du père Noël ? »


Scandalisé, il me rappelle qu'il l'a vu, lui, le père Noël ! Sujet sensible, me dis-je, passons à une autre figure folklorique.


« Prenons le personnage de Dieu. On ne peut pas prouver que Dieu existe tout comme on ne peut pas prouver qu'il n'existe pas. En revanche, rien n'interdit d'y croire. On peut donc dire que cette histoire de Dieu relève du domaine de la croyance ou de l'opinion. Tu me suis ? »


Hochement de tête, haussement d'épaules, je poursuis.


« En revanche, il est scientifiquement possible de prouver que la terre est ronde, qu'elle tourne autour du soleil, que 2 + 2 = 4 ou que les élections américaines n'ont pas été truquées. Tu vois la différence ? »


Sans répondre, il embraye directement sur un sujet sensiblement différent.


« Tu sais, papa, moi je pense que si les gens ils ont envie de croire aux fantômes, c'est pas bien grave au fond. »


Il clôt alors le débat en adressant un check aux différents spectres qui l'accompagnent en permanence : Gilbert Déclair, son défunt scarabée, Chucky et Mimi, nos lapins domestiques, également décédés, et la chatte Kadi, que j'enterrai l'année dernière au centre d'un rond-point grabellois au milieu de la nuit – la terre y était meuble et je n'ai pas trouvé meilleur endroit.


La peste soit des enfants et de leur extravagance.


Bonne journée à vous.

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