11 – 25/11/20 – Onze, ce chiffre magique
L'entrée de ce jour sera brève. Le mercredi, les enfants sont à demeure. « Say no more », dirait Eric Idle...
Ceci est l'onzième entrée du Journal d'un monde qui s'achève en traînant la patte, titre purement indicatif au départ et qui semblait s'imposer comme un titre définitif jusqu'au vote à l'Assemblée de cette loi dite de « sécurité globale », bel exemple de novlangue s'il en est. En effet, depuis quelques jours, la patte se traîne beaucoup moins à mon sens. Dommage pour deux raisons. La première nous concerne tous et enfonce des portes ouvertes. Je l'évoquerai plus loin. La seconde relève de la boutade personnelle et de l'hommage à Desproges.
Ceci est la onzième entrée du Journal d'un monde en déliquescence et c'est par association d'idées que je veux évoquer ce moment où, le 11 novembre 2011, j'avais réglé l'alarme de mon Nokia à 11h10 afin de ne pas manquer ce rendez-vous pour moi historique, mystique, métaphysique qui commençait à 11h11 le 11/11/11 et s'achevait une minute plus tard.
J'occupais alors un appartement rue de la Méditerranée, située dans le prolongement de la rue de Verdun – la rue du célèbre Rockstore, avec sa cadillac encastrée en guise de store – derrière la gare St-Roch à Montpellier. Je vivais là et ailleurs, peu coutumier des habitations de centre-ville, peu désireux d'y prolonger mon séjour, et j'avais beau chercher les points d'accroche avec ce paysage urbain – je vivais au dernier étage et j'avais donc vue sur les toits, la rue, le restaurant le Maquis et ses incessants va-et-vient, les décolletés, les ivrognes, les dealers à la sauvette – je m'ennuyais sévère. Je relisais mes livres et mes bandes-dessinées, m'éreintais sur ma guitare, rédigeais parfois quelques lignes peu gratifiantes, fumais beaucoup trop de cigarettes. Ce 11 novembre si particulier dans ma petite tête d'adulescent mal torché, je l'investis d'espoir, de sens caché et de sous-entendus. Je lui conférai une aura unique, propice au changement et à la révolution intérieure, je lui attribuai une puissance magique dans un élan de stupidité dont je théorisai les problématiques avec la duplicité d'un philosophe de salon abonné aux plateaux-télé... Ha ! La minute passa et je terminai la journée en me promettant de chérir ce souvenir, conscient de la vacuité de l'opération. Le reboot ne vint que plus tard – j'en toucherai deux mots un autre jour.
Lundi, alors que je me rendais chez Greg, le chanteur des Barbiches, pour notre réunion improvisée, un coup d'oeil à l'écran de mon portable me plongea neuf en arrière : 11h11, l'heure parallèle, l'instant parfait pour les névrosés de l'ordre et les maniaques du classement... L'effet fut intense mais ne dura que quelques secondes – comme une bouffée d'eau écarlate mais sans les pixels et le rire démoniaque. J'avais envie d'en parler ici malgré l'absurdité de l'anecdote.
Sans transition, je rebondirai à présent sur l'accélération de la transition politique que nous sommes tous en train de vivre – de subir, en réalité.
L'histoire de mes parents, réfugiés politiques, exilés, anciens militants d'une gauche idéaliste qui n'hésitait pas à mettre les mains dans le cambouis, m'a toujours assujetti à une certaine prise de distance avec les discours alarmistes selon lesquels nous ne vivrions plus en démocratie. Quelle que soit la nature de la poussée répressive ou contre-révolutionnaire, je la comparai spontanément à la dictature de Pinochet et à d'autres moments historiques, puisque le thème me fascinait. Je lus énormément sur les totalitarismes du vingtième siècle, m'intéressai à la notion de « crime contre l'humanité », m'échinai à comprendre les mécanismes susceptibles de transformer une démocratie dysfonctionnelle en régime autoritaire...
Je ne sais comment le dire autrement, comme ça, au détour d'un texte rédigé sur le pouce entre le petit-déjeuner des enfants et le rangement du linge mais je crois que nous y sommes : la France n'est plus un état de droit. Sans même parler de démocratie, nous ne vivons plus sous le régime d'une séparation des pouvoirs effective, d'une presse totalement libre, d'une police qui se tiendrait à sa fonction première de maintien de l'ordre. L'irruption du 49-3 et de l'état d'urgence annonçait la couleur. La violente répression des mouvements de contestation – qui ne se limitaient pas aux manifestations des gilets jaunes – nous le rappelait constamment.
Je me souviens de ces infirmières gazées au CHU de Nantes en décembre 2019 (il y a tout juste un an), de ces militants écologistes également aspergés de lacrymogène sur le pont de Sully en juillet 2019, de ces quatre lycéens interpellés le 4 novembre dernier suite à un blocus de leur établissement. Je me souviens de Cédric Chouviat assassiné par étouffement lors d'un simple contrôle et de la réponse de Darmanin qui s'ensuivit : « Lorsque j'entends parler de violences policières, moi, personnellement, je m'étouffe. » Je me dis que David Dufresne ferait mieux de prendre un billet d'avion parce que les forces de la répression le considèrent déjà probablement comme un ennemi d'état. Je repense, avec ce mélange de dépit et de colère qui mène à la sidération, à toutes les petites phrases de Macron sur les « premiers de cordée », « ceux qui ne sont rien », le « pognon de dingue »... Oh ce mépris intense, ancré si profond dans l'ADN de ces criminels qui nous volent nos revenus, nos espoirs et nos vies !
La majorité LREM a pour fonction de valider la moindre décision de l'Etat. Les droits de l'homme et du citoyen ne sont désormais plus qu'un concept et pour la police française, c'est open bar. Allez-y, les gars, faites comme chez vous.
Hier, j'allais chercher Milo à l'école quand quatre policiers masqués et armés de mitraillettes m'ont encerclé pour procéder à un contrôle d'attestation. Je ne portais pas mon masque – c'est ridicule, porter le masque dans une rue déserte et par définition « aérée » ne sert strictement à rien. C'est ce que je leur ai rétorqué. Je suppose que mon ton ne leur a pas plu. Il faut dire que la présence de mitraillettes dans mon champ de vision n'aide pas au maintien d'une sérénité somme toute fort relative quand on me connaît. Je me suis montré quelque peu insolent. « C'est ça, vous êtes le plus fort » m'a sorti le plus petit d'entre eux (manifestement le plus jeune également). Je me suis mordu la langue au moment où j'allais lui balancer qu'il était devenu flic pour compenser sa petite taille et me suis contenté d'un : « Je n'ai pas dit que j'étais le plus fort, j'ai dit que vous dites des conneries. »
Ils ont examiné mon attestation, celle que m'a fourni l'école des enfants, celle dont l'adresse signale à tout policier informé que mes enfants seraient éventuellement susceptibles de fréquenter ceux de Michaël Delafosse, récemment élu à la mairie de Montpellier. Je ne sais pas si c'est pour cette raison qu'ils m'ont finalement laissé partir mais le fait est que d'autres que moi, certes peu nombreux, avaient négligé de chausser le masque et qu'ils ont pas été inquiétés. Je sais aussi que ces quatre ninjas de pacotille se sont ensuite précipité dans leur voiture et n'ont pas tardé à démarrer. J'ai beau chercher, la seule conclusion qui me semble ici vraisemblable concerne surtout le délit de sale gueule. J'en ai souffert par le passé, pas étonnant que ça revienne.
Je ne voudrais pas crier au loup mais le fond de l'air est frais.
Bonne journée à vous. Soyez prudents et surtout prenez soin de vous.
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