17 – 10/12/20 – Ronpich, le concept

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Aujourd'hui, j'écrirai peu pour cause d'emballage de cadeaux et de montage vidéo. Je suis à peu près aussi doué pour l'un et l'autre, ce qui devrait provoquer chez moi moult colères et hurlements, mais que ne ferait-on pas pour lire la joie dans les yeux de nos bambins capitalistes ? Pour la vidéo, en revanche, je dois en passer par là puisque nous voilà désormais condamnés à embrasser à pleine bouche – et avec la langue, s'il vous plaît – la dictature de l'image et du virtuel. Pour qu'un morceau existe, il doit être entendu et pour que le pékin moyen accepte de l'entendre, il faut qu'il puisse le voir. Quel étrange et glorieux paradoxe, n'est-ce pas ? Oui, oui, je sais que c'est aussi tout l'intérêt de des concerts : voir la sueur des musiciens, sentir l'haleine du chanteur, admirer la prouesse technique ou se moquer du couac intempestif. Que l'on excuse ma radicalité mais j'ai toujours pensé qu'un bon concert s'apprécie avant tout les yeux fermés et les esgourdes déployées d'ouest en est.


Ceux qui me connaissent un tant soit peu ne seront pas surpris si j'affirme ici sans ostentation particulière que je me soucie peu d'image, de visuel, de tout ce qui, somme toute, devrait se borner à constituer une valeur ajoutée et non se substituer à la perception que l'on peut avoir de la musique proposée. Pourtant, j'aime les clips, comme beaucoup, je suppose. Disons juste que je préfère la musique.


Je reviendrai sur ces considérations personnelles un jour prochain, dans le cadre d'une réflexion plus poussée sur la musique en tant qu'entité à part entière. Comme je le disais plus haut, je n'ai pas beaucoup de temps aujourd'hui alors passons au « ronpich ».


Le « ronpich », comme son nom ne l'indique pas de prime abord, s'inscrit dans la tradition de la transmission orale propre aux shamans, aux conteurs africains et à Homère ; dans le conte classique, dont je vous fais grâce de nommer les figures habituelles ; et dans la recherche permanente du coup de théâtre et de la péripétie à travers une improvisation que l'on rapprochera volontiers du jazz, si l'on est mélomane, ou des « Mille et une nuits », si l'on manque de sommeil. Le « ronpich » est, de fait, une histoire qui s'invente à mesure qu'elle se raconte, dans le but avoué d'endormir le petit dernier, ce qui, lorsque l'on pratique l'énergumène, s'avère beaucoup plus compliqué qu'on ne le pense. L'enfant a manifestement hérité des gènes insomniaques de ses deux parents et son statut de pile électrique n'est un secret pour personne.


Le « ronpich » (dont j'hésite à breveter l'appellation) doit son nom au rituel qui le fit naître un soir d'été, alors que je prenais le relais entre deux concerts, soulageant ainsi la maman qui n'en pouvait plus de passer des heures à bercer celui que nous appelions à l'époque « le fils de Satan ». Accoutumé à la présence exclusive de sa mère, Milo me refusait le privilège de le coucher, de lui lire l'histoire du soir, de lui chanter la chanson du soir, de rester les « deux minutes » du soir – qui se transformaient systématiquement en demi-heure, trois quarts d'heure, une heure, deux heures... vous avez saisi l'idée, je pense. J'eus cette idée saugrenue, un soir où lui imposais ma compagnie, de clore mes paupières, de simuler un ronflement (d'où le rrrrrron... pishhhhh...) et d'écoper d'un violent coup de poing dans le bide visant à me réveiller dans un éclat de rire à peine atténué par la douleur – parce qu'il frappe fort, le monstre. Au lieu d'enchaîner sur une séance de chatouilles ou je ne sais quel autre rituel de contact, je jouai le jeu jusqu'au bout et prononçai les mots suivants :


« J'ai rêvé. »


Je n'ai pas le moindre souvenir de ce que je racontai par la suite mais l'histoire dura quelques minutes à peine et empruntait les voies fantastiques du conte pour enfant, avec un début, un milieu, une fin, une quête initiatique et quelques personnages caricaturaux assez fouillés pour qu'il eût envie de les suivre. Je clos ma narration d'un « clic-clac, l'historia es acabat » sous les vivats enthousiastes d'un public acquis.


Le rituel fut allongé les jours suivants. Bientôt, l'opération dépassa largement le temps imparti et je me vis dans l'obligation, sous la pression conjointe de ma compagne et de mon manque de sommeil, de réduire la durée des ronpich, voire de botter en touche et de promettre d'en inventer d'autres à des moments plus propices. Je compris que, si je répondais à une demande de l'enfant – ce besoin typique à notre chère progéniture de voyager par la pensée – je retrouvais pour ma part le plaisir de la création littéraire, même si je n'écrivais pas le stylo à la main ou les doigts sur le clavier.


Je vous parle de ça parce que la fiction frappe à ma porte depuis quelques semaines et qu'il n'est pas exclu que je glisse ce journal dans une boîte estampillée « en attente » pour me consacrer à d'autres textes. J'envisage également d'inclure purement et simplement ce type d'exercice – qui relève tout bonnement de l'écriture automatique – dans le cadre de ces pages. Je verrai – vous verrez, si le cœur vous en dit et si vous n'avez bien entendu rien d'autre à faire.


En attendant, je vous dis à bientôt, bonne fin d'après-midi, et attention à vos systèmes immunitaires, il paraît qu'un virus circule et qu'on n'est sûr de rien.

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