19 – 21/12/20 – Mes vacances en république bananière

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Vendredi ont pris fin mes vacances en zone de guerre et commencé celles des enfants. Voir entre ces deux événements une relation de causalité n'engage que vous et je me garderai de dresser de tels parallèles, de crainte d'être lu, dans quelque temps, par une progéniture susceptible et revancharde.


Je sais que parler de « vacances » en ces temps troublés risque d'en heurter plus d'un, mais le propre d'un journal, même faussement intime comme celui-ci, n'est-il pas d'autoriser une parole libre de tout regard ? Je suis en vacances, donc, depuis que les concerts se sont arrêtés pour nous autres, Barbiches, et comme je suis une sorte de workaholic décomplexé, je mets ce temps à profit pour avancer sur mes travaux personnels. Ou, pour aller vite, mes vacances idéales impliquent chez moi un effort continu, une concentration permanente, une activité incessante, bref, vous l'aurez compris, un travail en bonne et due forme. Le fait que je ne puisse m'adonner à semblables récréations que lorsque le monde – du moins « mon » monde, celui des concerts – s'arrête de tourner m'invite évidemment à un questionnement approfondi sur la désorganisation de mon quotidien. Je ne le ferai pas ici, moins par pudeur que pour éviter une lecture ennuyeuse au passant occasionnel, mais je veux tout de même souligner ma solidarité avec ceux qui souffrent de la situation.


En effet, lorsque j'évoque mes « vacances en république bananière », en « zone de guerre », en « zone sinistrée » et autres joyeusetés imagées jouant sur le principe de l'exagération outrancière, j'évoque avant tout une dichotomie personnelle, un conflit ardent entre, d'une part, ce désir de création constante qui m'ouvre grand les bras de l'épanouissement personnel et dont je rabâche les bienfaits et l'urgence à longueur de texte, et, d'autre part, mon empathie surdéveloppée à l'égard du reste de la planète, à l'exception des racistes, antisémites, partisans de Trump, éditorialistes de CNews et M. Emmanuel Macron, dont je déplore la jeunesse relative puisqu'elle lui évitera, selon toute probabilité, de passer l'arme à gauche suite à son infection au coronavirus – pour une fois qu'il passerait quelque chose à gauche, hein...


Petite parenthèse croquignole, M. Macron a choisi de se confiner à la Lanterne, illustrant de manière involontaire, les vers suivant de « Ah ! ça ira », chanson révolutionnaire par excellence :


« Ah ! ça ira, ça ira, ça ira !
Les aristocrates à la lanterne,
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira !
Les aristocrates on les pendra ! »


De là à voir dans cette glorieuse coïncidence le début d'une révolution, il n'y a qu'un pas que je vous autorise à franchir parce que c'est bientôt noël et que, s'il est une période où on a le droit de rêver, c'est bien maintenant. Fin de la blague, la parenthèse est close et je ne vois personne qui rigole.


Entendons-nous bien. Je me refuse à catégoriser les souffrances et à distinguer tel groupe d'individus, telle corporation, telle ou telle branche. En tant qu'intermittent du spectacle, je me sens naturellement porté à déclarer un soutien inconditionnel aux acteurs de la profession – musiciens, techniciens, auteurs, comédiens, circassiens, administrateurs des différents lieux, théâtres, cinémas, salles, etc, et à leurs partenaires privilégiés qui sont les propriétaires et salariés des bars, restaurants et boîtes de nuit qui nous fournissent la scène, la pitance et le chèque en fin de prestation. Il est des décisions qu'un gouvernement quel qu'il soit se doit d'examiner avec la plus grande minutie avant de les appliquer de façon raisonnable et raisonnée. Fallait-il ou non fermer les bars, les théâtres, les cinémas, les musées ? Je ne me sens pas le droit et la compétence de discuter cette question. Je sais en revanche que des choix ont été effectués sans consultation ni débat, que ces choix relèvent avant tout d'une idéologie – disons, sans trop se soucier d'exactitude, un ultralibéralisme économique reposant partiellement sur les traditions familiales – et que les magasins ouverts pour cette période de chasse aux cadeaux offrent autant sinon plus de terrain propice à la propagation du virus que les musées, par exemple, ou autres lieux de culture pourvu qu'y soit imposé et respecté un protocole de sécurité sanitaire aujourd'hui bien ancré dans les mœurs. L'expression « deux poids deux mesures » prend ici tout son sens, à ceci près qu'on n'a pas deux poids, mais souvent quatre ou cinq, pour peu qu'on bénéficie de passe-droits pour cause d'amitié présidentielle – souvenez-vous du Fou du Roy – ou que l'on soi soi-même président de la République (Macron assistait il y a quelques jours à un dîner où la règle tacite des « six à table » avait été totalement ignorée).


Je me sens de plus en plus attristé par la faim qui monte. Ils seront nombreux, dans les semaines ou les mois à venir, à glisser la clé sous la porte, à perdre à la fois un travail, un lieu de vie, un cercle social. Certains perdront leur intermittence en plus d'une partie non négligeable de leurs revenus. D'autres connaîtront un chômage technique qui s'éternisera, d'autres encore ne retrouveront pas de travail. Je ne pense plus à l'art ou à la culture mais aux ventres vides et aux poches trouées. Je pleure la fin d'une époque, celle d'une relative abondance pour une partie réduite de la population qui va connaître ce que d'autres, plus nombreux, connaissent déjà depuis trop longtemps : la pauvreté, l'instabilité, la précarité, la famine.


Je sais combien cette période de l'année peut s'avérer destructrice pour bien des individus. Les fameux suicidés de noël. Il y en a chaque année, nous le savons tous. Faut-il s'attendre à une augmentation en flèche ? Mes pensées sont noires, je m'en excuse, on ne se refait pas.


Je m'apprête présentement à interrompre momentanément ce journal. Il y aura d'autres entrées, de loin en loin, probablement plus courtes et plus anecdotiques. Je veux me concentrer sur des textes qui ne trouveront pas leur place ici et que j'entends ciseler dans la durée. De la fiction, en partie, et quelques autres trucs qui traînent et dont les principes de base m'ont été soufflés par mon agent. Pour résumer, la machine est lancée et je dois canaliser le flux.


Je souhaite à qui veut l'entendre un noël joyeux et détaché. Bon après-midi, merci de m'avoir lu.


Rompich n°2 :


J'ai rêvé que je me présentais aux élections présidentielles et que, par accident peut-être, ou par dépit, j'étais élu avec une confortable majorité. N'y croyant pas moi-même, je me rendais à l'Elysée au volant de ma vieille Logan à la portière défoncée et accordais un communiqué de presse sans cravate, mal rasé et un mégot de cigarette roulée dans le creux des lèvres. Au lieu de choisir un premier ministre parmi les prétendant au poste – et ils étaient nombreux, j'avais soudain toute une ribambelle de nouveaux amis qui m'abreuvaient de mails, de fax, de textos – je changeais de téléphone et d'adresse électronique et m'entretenais avec un certain nombre de responsables politiques, non sans consulter mes conseillers personnels, à savoir les Barbiches Tourneurs, ma compagne, la mère de mon aîné, et quantité de parents et amis dont j'apprécie les valeurs et les facultés d'analyse.


Barbiche Greg me dit :
« Prends Mélenchon en premier ministre et impose-lui un panel de ministres. »
Je pris note.


Ma compagne ajouta :
« Oui, mais ce panel, tu le choisis comment ? Si l'idée, c'est de prendre les têtes d'affiche des grands partis de France, tu vas te retrouver avec des types qui n'ont ni la compétence ni l'envie de travailler ensemble. »


La mère de mon aîné proposa :
« Il te faut quelques universitaires. »


Barbiche Galli :
« Et des artistes. »


Barbiche Polo :
« Oui enfin, il faut aussi des gestionnaires, des gens qui connaissent la loi, les institutions...


Barbiche Tom, dans un sourire :
« Ouais, voilà, des énarques, quoi... »


Barbiche Jo :
« Moi je dis merde. En principe, ça colle avec tout. »


Milo :
« Est-ce qu'on pourrait pas en profiter pour buter Macron ? »


Moi :
« Non, Milo, on va « buter » personne, comme tu dis. »


Je ne me souviens plus du résultat des délibérations mais je me souviens d'un dîner avec Joe Biden au cours duquel je le persuadai de goûter à la ganja si j'acceptai de l'accompagner au champagne.


Allez, bisou.

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