20 – 33/12/20 – Rompich n°3

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J'ai rêvé que le lendemain du réveillon de cette année, je me levai l'esprit plus alerte que les années précédentes. N'ayant rien bu la veille, je m'étais contenté d'attendre le sommeil au chevet d'un roman d'épouvante de facture médiocre, berçant mes oreilles des mixes les plus récents de mes morceaux en cours – parce qu'il convient toujours d'allier l'utile à l'agréable. J'interrompais parfois ma lecture pour saisir quelques notes en vol, mais il me semble que l'intrigue poisseuse m'accaparait les méninges. Je n'avais aucune idée de l'heure, je m'en moquais royalement, j'avais mon ailleurs dans lequel me réfugier, m'oublier, me détendre.


Je n'avais pas profité de la raclette – des douleurs stomacales, ou intestinales, quelque chose de pénible et de mal identifié, ce qui en dit long sur les rapports que j'entretiens communément avec mon enveloppe charnelle – mais ma participation à la soirée de réveillon fut à la fois effective et discrète. Je disparaissais tous les trois quarts d'heure dans le bureau pour ouvrir mon Cubase et traiter un son, appliquer un filtre, un compresseur quelconque, relisant en parallèle des vieux textes que j'aimerais réécrire afin de les raccrocher aux wagons des idées littéraires qui m'agitent depuis ces dernières semaines.


Le réveil du 1er janvier n'en fut pas moins sportif, dans la mesure où je n'avais dormi que cinq heures et que le petit dernier était venu sauter sur mes draps avec application et frénésie. Mon premier réflexe précipita ma main droite sur le téléphone portable qui gisait au pied de ma table de nuit, dont il avait probablement chu pendant mon sommeil. Midi, bof, ça va... Je reposai le téléphone, puis, je ne sais pas, une idée absurde me traversa l'esprit et je le repris dans la foulée. Je vérifiai la date. Selon le petit cadran de mon vieux samsung, nous étions le 32 décembre 2020.


Quelque chose de profondément étrange et d'incroyablement grave était en train de se produire. Ou alors c'était un bug informatique mais ça n'arrive jamais, pas vrai ?


Je me levai d'un saut disgracieux – le mal de dos chronique dont je souffre depuis plusieurs semaines m'interdit tout velléité chorégraphique de type acrobatique – et me précipitai dans le salon où je trouvai ma compagne, l’œil inquiet et le combiné vissé à l'oreille.


« Je ne sais pas, » disait-elle, probablement à ma mère, qui l'appelle quand elle veut me joindre sans oser m'appeler directement. « Apparemment, c'est comme ça pour tout le monde. Les appareils affichent tous le 32 décembre. Téléphones, tablettes, playstation, ordinateurs... C'est à n'y rien comprendre... »


Sans prendre le temps de préparer le demi-litre de café matinal, je courus jusqu'à mon ordinateur, constatai la même anomalie et lançai une recherche sur google. Des tas de branleurs s'étaient déjà exprimé sur le sujet. J'écoutai l'intervention de Castex, qui n'en menait pas large, puis celles de divers chroniqueurs, cliquant sur les liens au hasard. Onfray m'impressionna une fois de plus par sa capacité à ne rien dire avec un vocabulaire emprunté à Jules Michelet, et Olivier Véran semblait au bord de l'apoplexie. Pascal Praud ne tarda que trois secondes à m'exaspérer, un record, je m'orientai sur Mediapart, dont deux articles en particulier retinrent mon attention.


Le premier, signé Edwy Plenel himself, entérinait catégoriquement le phénomène mais échouait lamentablement à en expliquer la nature. Le second mélangeait discours écologique et interviews scientifiques pour un résultat similaire : personne ne comprenait rien.


Je retournai auprès de ma compagne et nous devisâmes avec humour sur l'année 2020 qui refusait de s'achever, sur ce fichu virus qui s'en prenait maintenant au calendrier, sur l'inanité des experts télévisuels qui s'emparaient de la chose pour se faire mousser, une fois de plus, devant les caméras. La journée s'écoula sans surprise majeure.


Nous sommes aujourd'hui le 33 décembre 2020 et je dois me rendre à l'évidence : le passage à la nouvelle année est reporté sine die. Macron a pris la parole ce midi. Il déclare la guerre au virus informatique et propose un état d'urgence temporel pour faciliter l'application des mesures liberticides qu'il sera amené à prendre dans les prochains jours.


« Nous avons commandé plus de drones et j'envisage sérieusement, avec l'accord unanime des membres du gouvernement et des députés de l'assemblée nationale, de déployer l'armée sur tout le territoire. Ce refus patent de changer d'année relève clairement d'une action terroriste internationale et nous ne nous laisserons pas faire... »


La suite de l'allocution détaillait les différentes phases d'une stratégie militaire dont les tenants et aboutissants m'apparurent aussi flous que grossièrement justifiés. Dès le 35 décembre, des escouades de soldats patrouilleront sans discontinuer dans les rues des grandes villes de France, dans les gares et les centres commerciaux, sur les ports et à proximité des aéroports. Le 37 décembre, les autoroutes seront fermées et le trafic ferroviaire réduit à son strict minimum. A partir du 42 décembre débutera une immense campagne de vérification des données informatiques. Les ordinateurs personnels seront examinés chez l'habitant, voire carrément réquisitionnés pour une analyse en profondeur. Le couvre-feu s'étend désormais aux horaires de jour. Les rassemblements sont interdits et les manifestations sauvagement réprimées. L'armée recrute, la police recrute, les hackers sont pourchassés et placés en garde à vue.


Nous sommes le 33 décembre et rien n'a changé.

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