25 – 9 et 12 décembre 2021 – Etat des lieux

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Je n'achèverai pas l'entrée précédente de ce faux journal. Un texte qui se termine sur un point-virgule, ça n'a l'air de rien mais e.e. cummings apprécierait. Et je suppose que vous avez compris l'idée : ça ne m'avait pas manqué, le flux continu, le stress, les rendez-vous téléphoniques, les rencontres impromptues qui te mangent la moitié de l'après-midi, le temps qui, à nouveau, te file entre les doigts... C'est le groupe qui m'a fait tenir. On a enchaîné les dates, tranquillement. Il y en avait beaucoup mais on a eu des saisons bien plus denses et frénétiques.


Aujourd'hui, j'en suis là : je travaille pour les Barbiches Tourneurs, chaque jour qui passe. Du moins, j'essaie de le faire et il arrive souvent que je doive m'y coller les jours où je n'ai pas prévu de bosser. Parallèlement à cette activité de secrétaire-standard-tourneur, je m'emploie à seconder Tom du mieux que je peux dans son projet solo : démarchage, coups de fil, mailings, logistique d'appoint, soutien... Je dois admettre d'une façon ou d'une autre que je me suis un peu oublié en chemin.


Les mots me fuient et j'éprouve les plus grandes difficultés à les assembler de manière cohérente. Je ranime ce « journal » aujourd'hui parce que j'ai toujours compté sur l'écriture pour me recentrer. Je n'arrive plus à rien. Je me sens profondément sec, comme anesthésié, démoli de fatigue mais avec un soupçon de nonchalance, comme si tout ceci n'avait aucun sens et qu'il convenait en conséquence de s'en tartiner le nœud sans trop se poser de questions. Ce qui revient à continuer de m'oublier, n'est-ce pas ?


J'ai déjà évoqué plus haut mon désarroi face à la disparition de Fred. Comprendre qu'il avait nourri des projets – avec peu de constance, certes – sans en mener un seul à terme m'a renvoyé face à moi-même : mes projets littéraires à l'arrêt, mes enregistrements personnels qui n'avancent que pas à pas, au ralenti, trop lentement hélas pour me fournir cette piqûre de bien-être que procure la satisfaction du beau travail accompli.


Quand j'étais môme, je me prenais pour Lennon. Je me voyais écrire des chansons et les vendre, puis je me suis adonné à Bob Dylan et mes textes ont pris de l'ampleur. Puis mes oreilles se sont ouvertes et je me suis abreuvé de Hendrix, de punk, de jazz, Thiéfaine m'a marqué durablement, ma plume s'est affûtée. Et alors ? Tout ça pour quoi ?


Ma prose a également évolué avec le temps. J'avais commencé d'écrire sous l'influence de Stephen King, Bradbury, Matheson, les grands nouvellistes de SF ou de fantastique des années soixante. La découverte de Borges et du réalisme magique m'a permis d'effectuer un véritable reboot stylistique. Puis, avec le temps, j'ai trouvé ma propre voix littéraire, une sorte de composite baroque entre les maniérismes de ma période « borgésienne » et un ton plus relâché, inspiré de mes longues veilles sur le site littéraire de la Zone, que je recommande aux curieux. Toujours est-il que je dispose aujourd'hui d'un outil fonctionnel plutôt efficace. Je sais écrire, il m'arrive parfois de bien écrire, et le résultat est rarement mauvais. Non, je ne place pas la barre très haut. J'ai perdu mon assurance. Quelle que soit la qualité de mes textes, je sais qu'ils ne serviront à rien. Et s'ils ne servent à rien, c'est peut-être qu'ils ne sont pas si bons que ça, pas vrai ?


Je peux en dire autant de mes oeuvrettes musicales. J'ai encore la faiblesse de penser qu'un nombre non négligeable de mes compositions gagnent à être entendues. Eh bien, sache-le, lecteur hypothétique, les chances que tu les entendes un jour ou l'autre sont proches de zéro. L'album de Millenco est disponible sur Bandcamp, si je ne m'abuse, et j'envisage de le mettre sur une plateforme, le genre de truc ou tu peux atteindre du monde, via Spotify et d'autres. J'y exporterai également l'album de Berenice Bang Bang, sait-on jamais. Tu vois, je n'ai pas totalement perdu espoir. Mais c'est une bouteille à la mer. Comment promouvoir des projets morts et enterrés ? L'absurdité de la démarche anéantit toute velléité de passage à l'acte.


J'ai envisagé de remonter un groupe, une seconde mouture de Millenco. Un nouveau line-up, deux guitares, une basse, une batterie, un clavier, et moi au chant, à l'harmonica et à la composition. Le répertoire existe : tout l'album de Millenco, quelques morceaux de Berenice, quelques repêchages de l'époque de Warf, quelques nouveaux morceaux... Largement de quoi tenir trois heures sur scène, et donc de proposer un spectacle particulièrement fourni et varié.


Il y a un souci, toutefois. En période de pandémie, monter un tel projet – qui impliquerait au minimum six musiciens et un ingénieur du son – revient à se jeter les yeux fermés dans une spirale de l'échec qui ne générerait en définitive que frustration et découragement. Vendre un projet musical basé sur un répertoire de compositions originales relève déjà de la gageure en « temps normal » alors bon. Pourquoi composer ? Pourquoi enregistrer ? Parce que je suis habité d'un feu brûlant d'inextinguible créativité ? Parce que je parle aux étoiles quand je laisse libre cours à mon imagination ? Soyons sérieux deux minutes.


Toute ma vie je me suis projeté dans une sorte de vocation artistique. Je rêvais de publier des livres, de sortir des albums, de tourner avec un groupe qui jouerait ma musique, où je chanterais mes textes. Je n'ai rien obtenu de tout ça. Mes projets se sont tous dissous dans le marasme intransigeant de la réalité. Je ne dirais pas que j'avais tout misé là-dessus, et peut-être aurais-je dû le faire. Tout sacrifier à la musique, à l'écriture... Absurde. Chacun de nous a plusieurs vies qui s'entremêlent, plusieurs facettes qui se complètent et s'ignorent à la fois. Je ne peux décemment pas décider, par exemple, d'abandonner femme et enfants parce que, « voyez-vous, je dois écrire, j'ai des disques à pondre, il faut que je crée. » Je me souviens d'un auteur confidentiel – mais un auteur publié, contrairement à bibi – dont je suivais attentivement l'évolution sur le site de la Zone. Je ne citerai pas son nom parce que j'ai de l'estime pour sa plume et, dans une certaine mesure (après tout, je le connais peu), pour sa personne. Pour bien comprendre, je me dois de rappeler le fonctionnement des sites littéraires en général et de la Zone en particulier : la quasi totalité des rédacteurs (ou « auteurs », comme on les appelle sur la Zone) publient leurs textes sous un nom de plume.


Et de toute façon, je crois que mon problème est plus complexe.

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