31 – 18 décembre 2022 – Demi-séance d'auto-flagellation littéraire.
Il est 13h28 à l'horloge de mon ordi – qui retarde – et je ne sais absolument pas quoi raconter. Je veux juste m'astreindre à cette demi-heure (tirant sur les trois quarts d'heures, une heure) d'écriture pour réapprendre à respirer selon mon rythme intérieur. Je suis rouillé, c'est une évidence. Les trois dernières entrées de ce journal qui n'en est pas un le proclament sans modestie aucune : des phrases trop longues ça et là, des termes choisis à l'emporte-pièce, qu'il eût mieux valu remplacer après relecture, réflexion et nouvelle relecture. Le rythme, surtout, me paraît bancal. Je crois que j'ai oublié certains fondamentaux et il est temps que je m'y remette.
Il y a une époque, notamment, où j'écrivais avec un « gueuloir » personnel. C'est Gustave Flaubert qui a inventé le concept : une pièce vide dans laquelle tu vas hurler la phrase que tu viens de rédiger. Je me contentais d'écrire en lisant à voix haute à mesure que j'avançais. Eh bien, manifestement, cette pratique était passée à la trappe de mes égouts personnels et j'y reviens à l'instant.
Excusez-moi quelques secondes.
(…)
J'achève la relecture des lignes précédentes et j'y vois déjà de graves errances : j'enlèverais « qui retarde », parce que ça n'apporte rien et que la rupture de rythme gène d'emblée la fluidité de lecture. J'ôterais également la mention « qui n'en est pas un » qui suit le mot « journal ». J'avais en effet utilisé l'expression à deux reprises (au moins) dans d'autres entrées de cette série de textes. Je la remplacerais peut-être par « autoproclamé », plus ironique. Je m'aperçois également que j'use et abuse de formes négatives impliquant des prépositions comme « sans », « malgré », « en dépit de » (qui n'est pas une préposition mais une locution prépositive, ne commencez pas à chipoter).
Les points positifs : j'ai évité certaines répétitions ; mon propos reste clair ; le texte comporte une référence littéraire, certes peu originale, mais l'anecdote du « gueuloir », sans être toutefois réservée à un club d'initiés, peut éventuellement provoquer son petit effet dans une conversation badine autour d'une dinde fourrée – et la métaphore dépasse la gastronomie si vous avez l'esprit mal tourné.
Assez causé technique, parlons de noël.
Je n'aime pas noël. Quand j'étais enfant, je ne croyais pas au père noël. J'arrivais d'Espagne, où ce sont les rois mages qui amènent les cadeaux. A cinq ans, j'étais assez éveillé pour comprendre qu'il était rigoureusement inconcevable que trois pauvres nases fusionnent en un seul bibendum tout rouge juste parce qu'ils traversaient une frontière et empruntaient l'A9 avant de passer me voir. Alors je jouais le jeu parce que môme j'étais, mais le « viejito pascuero », comme on l'appelle au Chili, les cloches de Pâques et le petit Jésus, je les mettais dans la même case que Chewbacca, Indiana Jones et les Goonies : la case « fiction pour enfants ». C'est sympa, on rigole bien et ça nourrit les rêves, mais ça s'arrête là. Comment tu veux faire confiance aux adultes après ça ?
Je n'aime pas noël à cause de ce discours institué par un système financier qui s'assoit sur les épaules des plus petits pour que le pognon passe de poche en poche. La magie de noël est une histoire que l'on se raconte pour accepter l'inéluctable : il n'y a pas de seconde manche, on ne se « refera pas » à la prochaine, c'est toujours la banque qui gagne. La magie de noël, c'est comme la dignité du travailleur exploité. On lui raconte qu'il paye sa vie à la force de ses bras, qu'il gagne sa dignité en s'ébrouant comme un cheval à l'agonie parce qu'il faut payer sa pitance, ses factures et le papier-toilette de ses besoins les plus intimes, alors que d'autres gagnent plusieurs vies de salaire minimum sans jamais soulever un parpaing, planter un clou ou remplir un tableau excel. La société moderne capitaliste dans laquelle nous vivons construit chaque jour sa légende, en recyclant de vieilles histoires en ruines qui racontent l'injustice et l'inégalité.
Mais avec des paillettes, des coups de théâtre et des « jumpscares ».
Et du glamour, bien sûr. Toujours du glamour.
J'ai eu il y a quelques semaines une conversation téléphonique avec l'un des derniers amis qui me restent – ou pas, j'ai des doutes à ce sujet. J'ai cru entendre la voix d'un autre dans certains de ces propos et je comprends surtout deux choses : j'ai toujours été frontal dans mes colères, mes tristesses et mes joies. Les doutes évoqués plus haut tiennent au fait que l'on ne m'a jamais traité de cette même façon franche et sans les gants de velours. Je croyais que cet homme faisait exception dans mon cercle d'amitiés.
La deuxième épiphanie – puisque c'en est une – se résume à un retour aux fondamentaux de mon existence : rien ne vaut la solitude quand la meute aboie au moindre pet.
J'en reviens à la radicalité, au nihilisme et aux petits jean-foutre ; et cet « ami » supposé se reconnaîtra peut-être s'il daigne encore s'attarder sur les écrits d'un homme seul qui choisit de l'être : seul le fou croit avoir compris en n'écoutant qu'une seule voix. Celui qui se tait ne veut convaincre personne parce qu'il sait que la raison est volage et le verbe creux.
Restez à l'écart du foot, ça donne des hémorroïdes.
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