34 – 23 décembre 2022 – La poésie n'a plus le goût d'antan.

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Il fut un temps où Verlaine m'étreignait les viscères. J'avais entre quatorze et seize ans. Je lisais également Rimbaud, pour lequel je rends grâce à mon prof de français, Daniel Nigoul, et Baudelaire, Apollinaire, Henri Michaux, Heredia. Mais pas Mallarmé. Je le trouvais précieux, manquant de substance.

Non, c'est faux. Il m'emmerdait, tout simplement. Avide de mots, de vers, de formes étranges basées sur le langage, je dévorais les livres d'école et en cherchais d'autres dans les étagères de mes parents, de la bibliothèque municipale, du CDI. Mallarmé a glissé sur mes pupilles sans s'accrocher à ma mémoire et une forme d'honnêteté intellectuelle me contraint de reconnaître que devrais le relire plutôt que d'en causer à travers le filtre à souvenirs d'un adolescent depuis longtemps disparu. En définitive, Verlaine et Prévert auront été les deux constantes poétiques d'une vie de lecteur marquée essentiellement par l'incessante lassitude des pages qui se reflètent à travers les âges. Ray Bradbury a joué les passerelles entre poésie, science-fiction et fantastique. Richard Matheson m'a ouvert à la notion de conte moderne et Borges a foutu la pagaille dans mes panthéons personnels – et toujours transitoires.

Je ne sais pas pourquoi je vous parle de tout ça. Je voudrais développer mais je n'en suis qu'au deuxième café et en moi se bousculent des centaines de pensées contradictoires. J'écris dans l'urgence et la nécessité, culpabilisant de ne pas « faire mes gammes », comme on dit, de ne pas lancer le métronome ou de ne pas poursuivre mon travail sur « Willie the Pimp ». Ceux qui m'ont lu par le passé se rappellent peut-être combien je dépends de cet exercice pour recadrer ma pensée et baliser les chemins de mon existence. Les autres peuvent lire ce qui suit.

Nous sommes des solitudes qui se croisent, s'emmêlent et se démêlent au gré des passions fugaces qui traversent nos esprits prétendument cartésiens. Il nous arrive d'aimer et de haïr sans raison, ce qui ne nous immunise pourtant qu'à moitié contre un certain penchant pour la rationalité et, peut-être, le désir sincère de regarder la vie dans le blanc des yeux. Nous avons parfois les pieds sur terre mais nous instillons quand même la croyance dans la tête de nos mômes et regardons des matchs insensés malgré le masque qu'ils supposent sur une réalité sordide et féroce. Personne ici n'est meilleur que les autres et chacun s'appuie sur ce qu'il peut pour suivre le fil de sa vie jusqu'à ce que la camarde vienne lui flanquer l'ultime coup de faux. J'aime à penser que mon intellect se joue des faux-semblants et s'entiche de concepts solides, mathématiquement démontrables. Eh bien, rien ne m'interdit de le penser mais l'ancien lecteur de poésie moderne passé à la science-fiction, puis au fantastique et à la terreur, se doit de reconnaître que son esprit, comme celui de quiconque, repose également sur des croyances. Le concept de Dieu (quel merveilleux personnage de fiction, n'est-ce pas) n'a rien à voir là-dedans : je parle ici de ces croyances qui, le temps aidant, en viennent à se substituer à de vieilles connaissances acquises à l'école, dans les livres, à travers nos échanges avec nos semblables. Ainsi naissent les système des valeurs et les malentendus idéologiques.

Et il convient d'ajouter, pour faire bonne mesure : « Du moins le crois-je. »

Je ne sais pas comment vous fonctionnez dans cette jungle d'idées, d'émotions, d'images qui se télescopent dans vos cervelles par essence surchargées. Pour ma part, j'écris pour mettre le monde à distance, le circonscrire entre deux ponctuations et lui donner un minimum de sens. J'éprouve en ce moment une angoisse permanente. Elle s'enracine dans la crise écologique qui devrait nous balayer en masse d'ici quelques années, la diminution significative de mes ressources économiques, l'absence patente de perspectives d'avenir pour ma reconversion professionnelle et la conviction profonde d'avoir raté ma vie. N'allez pas vous imaginer que je regrette certaines décisions récentes. Bien au contraire. J'en viens surtout à me dire que la musique m'a embobiné la cervelle pendant des années. Peut-être aurais-je dû me contenter d'écrire.

La musique à ceci d'étrange et de merveilleux qu'elle n'existe pas. Lorsque la corde vibre ou que la peau du fut résonne, l'action qui a provoqué la vibration sonore a déjà cessé d'être. La musique, je m'en aperçois aujourd'hui, m'aura surtout permis de vérifier à chaque nouvelle écoute, que le temps n'existe pas, que tout n'est que durée et que toute durée est vouée à s'achever. D'un point de vue strictement physique – et si mon bagage théorique en la matière s'avère insuffisant, veuillez m'en excuser – la musique se joue du tactile et du toucher. Elle est parce qu'elle a été et s'installe durablement dans nos mémoires où elle prend toute sa mesure d'objet céleste, illusion permanente d'immortalité, un leurre de plus dans ce monde où la musique pré-existe dans la nature à travers le rythme des vagues, le chant des baleines et le sifflement des oiseaux.

J'en viens à assimiler le fait musical à d'autres illusions, beaucoup plus pernicieuses, antipathiques, des loups de carnaval que l'on revêt pour profiter des plus faibles, escroquer l'humanité toute entière, se voir plus grand, plus fort, plus beau. Je n'oublie pas que la musique fut d'abord théorisée par des moines et que le système de notation trouve son origine dans les chants grégoriens. La mascarade d'un Dieu chrétien aimant qui nous promet le paradis après une vie de souffrance et de servitude n'aurait jamais pu fonctionner sans la bande sonore adéquate. Je crois qu'il en est de même avec n'importe quel genre musical, à l'exception, peut-être, de la musique expérimentale. Parce qu'elle n'est que ça, d'ailleurs, expérimentation, recherche et réflexion.

Une dernière réflexion avant de clore ce texte un peu sombre. En matière de subterfuges et de manipulation de masse, nous avons la chance douteuse d'être gouvernés par un être bizarrement porté sur la chose. Et n'allez pas comprendre l'adverbe « bizarrement » autrement que « de façon bizarre ». Nombre d'articles ou de commentaires en ligne tendent à le décrire comme un clown, un psychopathe, ou je ne sais quel monstre de foire capable de fourrer une plume dans le cul pour qu'on parle de lui. Croyez-moi si je vous dis que je ne lui cherche pas d'excuse mais il me semble qu'il s'agissait simplement du meilleur candidat pour un job dont nous n'avons malheureusement pas fini d'identifier le service de recrutement. Macron est l'employé modèle de tout un système qui se fiche de nous comme de l'an quarante et il jouera le jeu parce que son boulot en dépend. Un peu comme la plupart d'entre nous et ça n'a rien d'une bonne nouvelle.

Bonne journée, prenez soin de vous et dites non à la drogue, même si c'est moins cher que l'essence.

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