37 – 26 décembre 2022 – Ca tourne.
37 – 26 décembre 2022 – Ca tourne.
Ca tourne.
Action. Go !
Un verre puis l'autre, et encore un autre. Entre deux prises, on excusera d'un sourire trop large le mot de trop et le geste déplacé. La vanne qui grince jusque dans le gosier de celui qui l'aboie sans s'en rendre compte, le nez rouge et les yeux striés.
Je ne bois pas pour le goût mais pour l'ivresse. Il est bon de lâcher prise de temps à autre, de s'abstraire du monde réel en se désinhibant le cortex – et l'on va chercher ses modèles chez Dionysos et Bukowski, Morrison et Churchill.
Et pourquoi pas ce bon vieux Begbie de Trainspotting...
Je ne bois pas pour heurter les autres mais pour leur parler franchement, sans craindre la feuille de guillotine de ma propre morale. Elle surgit à l'improviste, s'improvise censeur et critique, gomme certains adjectifs et je me dis qu'on ne peut plus rien dire, et je suis tellement heureux de ma trouvaille que je la répète à voix haute, mais pas trop fort. Plus je bois, plus j'augmente le volume – mais je touche pas au gain, les musiciens comprendront peut-être la métaphore.
Je ne bois pas pour l'ivresse mais pour me connecter aux autres. Et je les pare de mille couleurs changeantes, leur confère un fond culturel dont rien chez eux ne démontre l'existence, je me les mets dans la poche arrière, celle collée à mes fesses, parce que plus intime. Chaque gorgée nous rapproche et nous lie, nous projette dans une galerie d'illusions que chacun ici connaît. C'est le propre du barfly et du copain de comptoir. Ca tourne, pourtant. Nous flottons parmi des bulles gigantesques dans lesquelles se reflètent des portraits flatteurs, des images tronquées, de fausses visions de nos pensées profondes.
Je ne bois pas pour l'ivresse mais pour le goût. Parce que le rouge sied à la viande rouge. C'est normal, tout va bien, simple jeu de couleurs. Le blanc se marie parfaitement au poisson et la chair du poisson, eh bien, ha ha, c'est blanc ! Le monde est bien foutu, hein. Tant qu'il tourne.
Je ne bois pas pour l'ivresse mais parce que j'ai envie.
Ah, l'honnêteté fielleuse, celle qui déguise ses faiblesses en force de frappe et en menton relevé...
Le manque de temps m'oblige à cette forme morcelée. Peut-être t'efforceras-tu de combler les creux. Ou tu passeras à autre chose. Point de contrainte ici bas. Tu lis ce que tu veux au moment que tu choisis.
Voilà plus de sept ans que j'ai arrêté de boire. Je ne m'étais jamais défini comme un alcoolique mais j'avais conscience de ce goût pétillant pour l'anarchie factice qui consiste à justifier ses lourdeurs et égarements par l'ingestion éminemment festive de liquides au goût douteux. Je buvais, au fond, pour participer à un mouvement collectif. Une soirée, un repas, une fête. Je buvais pour soutenir des conversations chiantes et puiser des réserves de patience dans un container spécifique où je m'en allais quérir des réparties, des anecdotes et des pirouettes. Oh, je ne buvais pas tant que ça – en termes de fréquence. Mais quand j'y étais, j'y étais pour longtemps et avec passion.
Arrêter la picole fut pour moi une évidence – j'avais d'autres vices plus difficiles à gérer. Je sortais d'une période un rien tendue durant laquelle une somme d'argent conséquente m'autorisa plus de cuites qu'à l'ordinaire. J'expérimentais le black out, l'ivresse matinale et le chemin de vomi (celui que tu sèmes du bar jusqu'à chez toi après douze tournées de rhum). J'eus quelques épisodes gastriques qui me rappelèrent que le corps est une machine dont il convient de prendre soin. Cesser d'avaler autre chose que de l'eau n'exigeait de moi qu'un effort de concentration – plutôt que de volonté. Il me suffisait de repenser aux lendemains de cuite et à ce mal de tête boueux qui te remonte du bas-ventre pour me convaincre de poursuivre l'expérience.
Six à huit mois passèrent et je me servis une bière. Impossible de la finir. Ca ne me plaisait plus. Dégueu, beuark. Je m'en tins à un whisky tous les trente-six du mois. Et je ne blague pas sur la cadence. C'est le seul alcool dont la saveur m'investit parfois l'intérieur de la bouche par le chemin du souvenir. Mais les derniers verres « savourés » il y a déjà quelques étés pour participer aux libations relatives de mes anciens compagnons m'ont laissé un goût amer dans la gorge. J'ai également cessé d'aimer ça, de même que certains vins réputés excellents – et je parle de la crème de la crème, mon grand-père était chevalier tastevin.
Le plus difficile, pour moi, ce sera toujours le jugement de l'autre, celui qui te traite d'ado en te servant un coca ou un jus d'ananas. Le barman qui se fout de ta gueule parce que c'est pas « rock'n'roll », alors que si on réfléchit bien, le rock n'est qu'une étiquette censée résumer une attitude rebelle face aux conventions sociales. Si on va par là, qui est le plus rebelle ? Celui qui se murge en bande ou celui qui s'y refuse, seul et moqué par la force du nombre ?
Le rock, en fin de compte, n'est qu'une beauferie parmi d'autres. Disons que j'en apprécie davantage la bande-son.
Mon médecin m'a fourni une ordonnance qui m'interdit catégoriquement de boire de l'alcool. Il était surpris de ma requête et répétait en la rédigeant : « C'est dingue, c'est la première fois qu'on me demande ça. » Il m'est arrivé de la fourrer sous le nez de certains barmen malpolis pour leur clouer le bec. Marrant, hein. Quand ça devient médical, les plus goguenards se taisent et opinent du chef d'un air sérieux. Il me semble pourtant que le choix est d'autant plus respectable qu'il provient d'un désir personnel et réfléchi.
Tourner avec les Barbiches en restant sobre ne fut pas si compliqué que ça dans la mesure où mes anciens collègues comprirent très vite que je refuserais jusqu'au fameux petit verre de célébration, celui qui sert à communier dans un moment symbolique alors que la véritable osmose se déroule justement sur scène. Le reste tient du mythe et du rituel.
Traverser des lieux dédiés à la fête et à la boisson contribua toutefois à me rendre un poil schizophrène dans ma façon de répondre à ceux qui voulaient me voir partager un verre. Difficile d'envoyer chier un membre du public qui te regarde avec une sympathie non-feinte juste parce qu'il a bu un coup de trop et que tu refuses le verre qu'il t'offre de bon cœur. Ecouter mes camarades associer publiquement l'alcool, la fête et le plaisir me causait en revanche des soucis éthiques. La musique n'a pas besoin de boire. Pas plus que la danse ou n'importe quoi d'autre. Lorsque l'encouragement à enquiller les verres devient partie intégrante d'un show, je ne vois là ni bienveillance ni partage. Juste une adhésion banale à des normes que dicte la tradition tout autant qu'une forme de lâcheté morale et de faiblesse d'esprit.
Pourquoi je vous parle de ça ?
Bah, j'ai croisé une vidéo qui m'a interpellé, celle que j'ai partagé sur mon mur il y a peut-être une heure. J'ai tiré sur le fil et j'ai déroulé sans trop chercher à faire du style.
J'imagine qu'on nage en pleine confession. N'y voyez pas une profession de foi, néanmoins. Je n'ai rien contre les gens qui veulent boire pour les raisons qui les regardent. Je n'ai rien contre les alcooliques, les ivrognes, les éponges ou les pochetrons. Je n'ai rien non plus contre le gourmet qui accompagne son plat d'un petit vin choisi. Je n'ai rien contre personne, en réalité. Je veux juste qu'on me fiche la paix avec l'alcool et qu'on ne me cherche pas des noises parce que je me contente d'être moi.
Ca n'avait rien à voir avec noël et ça fait du bien.
La prochaine fois, je parlerai de marijuana.
Joyeux anniversaire à Lucie, des biz à tous, et profitez de cette fin d'année. 2022 fut difficile à bien des égards, mais attendez de voir la suite.
Emoji avec clin d'oeil et sourire en coin, cœur entre les mains, gnagnagna pouce bleu, abonnez-vous à ma chaîne et mangez du papier, y en a plein.
Annotations
Versions