43 – 2 janvier 2023 – Nouvel exercice d'écriture automatique.
Insomnie hier soir. Encore.
J'ai téléchargé des applis. J'aime beaucoup ce mot-là. Il rime avec « repli » et « ampli ». Tu peux tirer sur l'un des fils dans ton coin, je n'ai pas le temps de dérouler.
J'avais envie de me remettre aux échecs. Mais sans la pression de l'adversaire et de son œil morne, le menton assis sur un poing dans une pose à la Rodin. Juste bouger les pièces et voir venir, me glisser une fois de plus dans la peau de mon géniteur, parti il y a vingt ans. Il aimait les échecs à une époque où l'échiquier semblait sexy. Borges avait écrit son poème métaphysique et on s'offrait du Stefan Zweig sans trop s'embarrasser. Les échecs, en fin de compte, c'était la guerre froide sur un jeu de plateau sauf que tout le monde voulait jouer les Russes. Mon père avait été anarcho-coco-trotskyste, ou quelque chose dans le genre, et ça lui allait bien de se projeter sur une grille en noir et blanc, malgré son refus patent du manichéisme et des raccourcis.
Bah, c'est aussi un peu à cause de Netflix et de son « Jeu de la Dame », dont je ne vous ai point causé parce que j'avais de la boue à remuer. J'ai regardé ça il y a quoi, un mois peut-être ? J'ai aimé. Je ne sais pas si j'ai adoré ou si j'ai envie d'en porter l'actrice aux nues mais j'ai bien l'impression que l'idée s'est frayée un chemin à l'insu de ma conscience et j'ai donc téléchargé une appli pour jouer aux échecs.
J'ai avalé un somnifère et j'ai téléchargé une autre appli pour m'aider à m'endormir. Je suis tombé par hasard sur du fitness-training et j'ai téléchargé une autre appli.
Si tu veux perdre du poids, télécharge une appli. Compter tes pas ? Télécharge une appli. Manger sainement ? Télécharge une appli. Jeûner ? Télécharge une appli. Travailler ta logique, ta mémoire, ton raisonnement ? Télécharge une appli. Culture G, pilate, orthopédie ? Appli. Guitare, basse, batterie, chant, ear-training, rhythm training, reading training, construire un abri à vélos, gastronomie à deux balles, gastronomie à trois balles, gastronomie à cent balles, gastro tous budgets ? Appli, appli, appli.
J'ai déjà commencé à les effacer les unes après les autres, mes applis. Elles me tordent le cou et me recourbent la nuque, me confisquent les yeux pour les jeter dans une fenêtre qui s'ouvre sur nulle part. Et puis quoi d'abord ? On peut tout faire, tout apprendre, tout contrôler grâce à un petit appareil développé sur le dos du tiers-monde ?
A part ça, non, on ne pouvait pas voir venir la crise climatique.
Evidemment. Soyons sérieux. Quelle surprise.
Le rapport Meadows date de 1972 mais non-non, je m'y attendais pas. « Le gang de la clé à mollette » fut publié en 1975, mais pensez-vous, ce n'est que pure fiction. Et toute la SF catastrophiste de J.G. Ballard, eh bien, ma foi, vous savez, si on se met à écouter les scribouillards, mais où va-t-on ?
Et René Dumont, ce vieux râleur que les premiers écolos avaient réussi à convaincre de les représenter le temps d'une élection ? Personne s'en souvient ? Un personnage, pourtant, le genre de briscard que tu es obligé d'écouter et qui ne te lâchera jamais les tympans. Une sorte de Jancovici qui n'aurait pas voté Sarko, en gros. Et Pierre Fournier, ce pionner de l'antinucléaire et du billet d'humeur vert tendance anarcho qui crachait dans le grand Charlie des années 70, celui des Cavanna, Choron, Reiser ?
Non mais à part ça, impossible de prévoir la crise climatique.
C'est quand même l'une des meilleures vannes de Macron. C'est un peu comme s'il nous disait : « Alors tu vois, j'étais tranquillement en train de faire du jet-ski aux Maldives, et bim, la crise climatique me tombe dessus. Oh lala, j'avais l'air fin, tiens, en maillot et bonnet de laine sur mes jet-skis climatisés. »
Vous savez, j'admire beaucoup Macron. C'est un excellent comédien. Le scénario, hélas, reste exécrable.
Sur ce, je vous bise sur le bout du nez et m'en vais m'infliger du solfège.
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