52 – 12 janvier 2023 – Le petit homme en chapeau melon.

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J'avais envie de parler d'Edmund Burke, cet homme politique anglais contemporain de la révolution française – qu'il critiquait en bon Anglais que scandalisent les exécutions publiques lorsque celles-ci concernent une tête couronnée. Qu'il se cherchât des excuses théoriques n'est pas ici le propos. Edmund Burke fut notamment l'auteur de nombreux textes et articles tout le long desquels il justifie l'existence de la royauté britannique – et, par extension, de n'importe quel système monarchique pourvu d'un parlement – par la séparation des pouvoirs qu'elle présuppose de facto dans le regard du petit peuple, considéré évidemment comme ignare et facilement manipulable.

Je ne me souviens plus des détails mais Burke prétend que la royauté britannique justifie sa propre existence par toute l'attention qu'elle concentre sur ses divers représentants, roi, reine, princes et princesses, ducs et duchesses, bref, tout pedigree jugé acceptable aux yeux d'une certaine aristocratie plus ou moins étendue – et cherchez pas, vous n'êtes pas dedans et moi non plus. Selon Burke, le rôle d'un roi ou d'une reine et de leurs divers rejetons, cousins, cousines et autres consanguins consistaient justement à détourner l'attention d'un public qui souhaite en toute inconscience savourer les paillettes qu'on lui fourre dans les yeux. Surtout, ne regardez pas ce qui se passe au parlement. Evitez de vous pencher sur l'élaboration de ces lois qui vous dévorent le quotidien et distribuent les richesses selon des logiques de prédateurs, de chefs de meute et de gansgters institutionnalisés.

John Lennon l'avait compris : « Ceux des rangs du fond, contentez-vous de taper des mains. Les autres, agitez vos bijoux. »
Cette société à deux vitesses, théorisée par Burke (et d'autres contre-révolutionnaires, libéraux, ultra-libéraux, tories, droitistes, fascistes ou je ne sais combien de tendances politique dont le spectre s'étend d'un centre-droit modéré consentant parfois à verser dans le social – ce qu'on appelle pudiquement et abusivement PS en France – à l'expression la plus brutale de la barbarie raciste, fondamentaliste, masculiniste – et là, je n'ai pas d'exemple puisque, ça me hérisse les poils de langue de le dire, même le RN ne va pas aussi loin, du moins dans l'expression publique de ses théories oiseuses), société qui perdure de nos jours et dont les déséquilibres s'accentuent, nous pouvons la décortiquer chez les situationnistes en relisant la Société du spectacle, de Guy Debord, livre difficile à appréhender dans la forme (puisque la complexité du discours fait partie inhérente de la thèse avancée) mais d'une simplicité éclatante dans le fond. Burke et Debord ne sont pas du même bord, c'est le moins qu'on puisse dire, mais leurs constats se rejoignent dans les grandes lignes : l'on divertit les masses pour les maintenir éloignées des lieux de pouvoir.

Debord écrit que la société du spectacle représente le stade ultime du capitalisme. La culture et l'art, le capital les récupère pour en tirer un avantage économique mais également et surtout un avantage politique qui se résume à l'élaboration d'un simple paravent masquant la réalité de certaines prises de décisions.

Contrairement à ce que tu penses peut-être déjà, je ne parle pas ici de la réforme des retraites – même s'il semble évident que l'on peut caser n'importe quelle manœuvre du gouvernement en place dans une grille de lecture héritée de Guy Debord. Non, c'est le petit homme en chapeau melon qui m'intéresse. Selon Burke, la reine d'Angleterre cristallisait l'attention du quidam pour que l'on ne s'intéressât pas le moins du monde au petit homme en chapeau melon qui se rendait à la city en frôlant les murs et dont le travail, chaque jour, consistait à modifier l'existence de ses concitoyens.

Mon chapeau melon dépassait la référence à Chaplin et je vous laisse deviner qui était la reine d'Angleterre.

Dans une moindre mesure, évoquer la disparition de Jeff Beck en conclusion de ce texte chargé d'amertume peut sembler déplacé, ou juste hors-sujet. J'admirais Jeff Beck et le jugeais sous-évalué par ce qu'on pourrait appeler pudiquement « la grande légende du rock'n'roll ». L'homme ne cherchait pas à produire le tube ultime, même s'il s'en est approché à l'époque du Jeff Beck Group – dont les recherches sonores et l'orientation hard blues préfigurent déjà Led Zeppelin – et travaillait à son rythme, soucieux avant tout de satisfaire sa curiosité musicale. Je ne mesure pas l'ampleur de sa contribution à la guitare moderne. Je la sais immense et probablement mésestimée par rapport à d'autres noms jugés plus flamboyants – peut-être parce que la notoriété reste avant tout une histoire de moment, d'attitude, de réseau. Jeff Beck a eu tout ça mais ses soucis de santé lui ont tiré des balles dans le pied. Et d'autres guitar heroes l'ont talonné de trop près, je pense. J'aime à penser que les manifestations de sympathie qui fleurissent en ce moment sur le net équivalent à une reconnaissance posthume, une remise à l'heure de certaines vérités fondamentales concernant les apports techniques, sonores, mélodiques du bonhomme.

Le chapeau melon vous salue.

Passez la meilleure journée possible.

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