57 – 18 janvier 2023 - « Macron remet le pays en état de marche ! »

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Mercredi, le jour des enfants et du Canard enchaîné. Si tu savais, cher/chère lecteur.trice comme j'aime ce journal. Le dernier média papier à peu près indépendant, si l'on omet le Monde Diplo, qui reste mensuel, ou Fakir, dont le biais politique semble tout de même évident et les affiliations chouardiennes de Ruffin – dont j'admire toutefois le travail en tant que député et le jusqu'au-boutisme en tant que communiquant – transparaissent un peu trop à mon goût.

Le titre de l'entrée du jour n'est qu'un simple copier-coller de la une du Canard de cette semaine, reçu ce matin dans ma boîte aux lettres, ce qui prouve que le facteur n'a pas pris le temps de le lire. Les unes du Canard m'arrachent généralement un petit sourire. Cette espèce de fine virgule qui me déforme le côté gauche des lèvres tout en me soufflant un murmure rauque, oscillant entre la risette de convenance et le bof complaisant, quoique emprunt de cette lassitude propre à ceux qui préfèrent ouïr de mauvais jeux de mots plutôt que de ne rien ouïr du tout. Là, pourtant, j'ai ri. Franchement, drôlement, de ce rire dont les sonorités nous échappent parce qu'elles arrivent de loin, loin à l'intérieur ; un rire qui s'époumone et cherche de l'air pour exister et envahir l'espace sonore de celles et ceux qui viendraient à vous croiser en tel instant.

Je n'avais pas autant ri devant une une du Canard depuis le fameux « L'école retrouve sa vocation : transmettre », titre magnifique d'ironie dont Blanquer, alors ministre de la mauvaise éducation et de la maltraitance institutionnelle devrait se montrer autrement plus fier que d'avoir rendu des sous à son patron à la fin de son mandat.

Comme j'ai apprécié l'édito de Jean-Michel Thénard, je m'en vais vous la glisser sous les yeux, parce que j'ai la flemme d'écrire et que je suis d'accord avec la plupart de ce qui est rapporté.

En une donc : « Macron remet le pays en état de marche. »

Et le titre de l'édito de Jean-Michel Thénard : « Le juste prix ».

« Elisabeth Borne n'a pas mégoté sur ses efforts pour tenter de convaincre : sa réforme des retraites est « juste ». Las, à en croire les enquêtes d'opinion, elle n'apparaît pas telle aux sondés, ce qui traduit soit une mauvaise communication, soit un mensonge.

« La méthode Macron, il est vrai, ne laisse pas d'interroger. Pour persuader de la justesse de sa réforme, il aurait pu s'assurer le soutien d'un syndicat des salariés, il ne l'a pas vraiment cherché ; il aurait pu mettre à contribution symboliquement le patronat – comme Bayrou, désormais candidat à sa succession, le lui demande – , il s'y est refusé ; il aurait pu taxer les retraités les plus aisés, dont le niveau de vie est supérieur à celui des actifs, il s'en est gardé.

« Macron concède peu et soigne son électorat, les vieux, les cadres, les patrons, au détriment des autres, les jeunes, les moins qualifiés. Au lieu de rassembler, il éparpille. Après les gilets jaunes, le Covid et, alors que l'inflation rabote de plus en plus le pouvoir d'achat, demander aux moins bien pourvus de bosser plus longtemps, c'est osé. Ca flaire le retour de la lutte des classes et cela peut être la goutte d'antisocial qui fait exploser le chaudron.

« C'est quoi une réforme « juste » ? Une réforme qui n'est soutenue que par le Medef, Eric Ciotti et son compère Zemmour ? La rue donnera sa réponse le 19 janvier. La mère des batailles contre la mère des réformes, le classique de trente ans d'âge est joué une énième fois avec une nouvelle distribution. Dans le rôle du churchillien de service, droit dans ses mocassins, Macron, qui a réussi à avoir l'ensemble des syndicats contre lui, ce qui n'était pas arrivé depuis 2010, et à unir des partis de gauche divisés. Pour mieux faire oublier peut-être la réforme Touraine, qui avait déjà matraqué les futurs retraités.

« Macron confirme l'abandon spectaculaire de la retraite à points de son premier mandat et il place le second sous la bannière du ralliement aux 64 ans, depuis longtemps réclamés par la droite. Un ralliement si marqué que certains élus LR tempêtent avec malignité contre un texte trop peu social. « Elle est où, la justice ? » a ainsi tonné, la semaine dernière, Xavier Bertrand. L'extrême-droite lepéniste est sur la même position et espère ramasser la mise dans l'électorat populaire. De quoi, en tout cas, conforter l'idée que la réforme Macron est d'abord une réforme des finances publiques, souhaitée par Bruxelles et « exigée » par les marchés.

« Comme disait le philosophe Merleau-Ponty, « on ne peut être juste tout seul, à l'être tout seul, on cesse de l'être ». Oublieux de la leçon des gilets jaunes sur la nécessité des corps intermédiaires, Macron est dans une superbe solitude. C'est le risque du second quinquennat. La sanction des urnes ne menace plus le chef de l'Etat, il peut donc gouverner sans tenir compte, sans rendre de comptes, en prenant de court parfois jusqu'aux membres de son gouvernement. Un jeu dangereux quand la rue sert de contre-pouvoir.

« La discussion parlementaire devrait apporter son lot de concessions, plus ou moins mineures, pour rendre la réforme plus juste. Mais, si la rue réussit sa démonstration de force, l'ouverture tardive apparaîtra comme une faiblesse, voire une reculade, et quand on commence à reculer, demandez à Juppé, la dissolution pointe vite le bout de son nez. »

Si tu as tenu jusque-là, bravo, je te félicite. Cet édito représente pour moi un modèle d'écriture : de l'ironie, des faits, des rappels, des supputations argumentées, le tout sur le ton enlevé propre à un journal dont on ne saura jamais vraiment s'il est de gauche, de droite, tout en lui refusant catégoriquement l'épithète « apolitique ».

Je trouve Thénard un peu optimiste lorsqu'il évoque les « concessions » à venir suite aux délibérations parlementaires, optimisme qu'il relativise en apposant l'expression « plus ou moins mineures », mais la fin du texte, si elle ne brille pas par un enthousiasme fou à l'égard d'une mobilisation collective, laisse tout de même entendre qu'il serait opportun de grossir demain les rangs des manifestants.

Le choix du rédacteur de tourner autour du terme « juste » employé par Elisabeth Borne again pour qualifier sa réforme – on croit rêver – m'invite à une réflexion sur la notion de justice politique, de justice sociale, de justice économique. Notre pays a décidément tourné le dos à l'idée de solidarité sociale. Nous avons cru qu'applaudir les soignants tous les jours pendant le confinement suffisait à racheter notre indifférence à l'égard d'un secteur en déliquescence. Nous continuons de fermer les yeux et de nous taire, même si apprendre un beau matin qu'une personne n'a pu être soignée dans telle service d'Urgences nous poussera sans doute à hausser le ton entre deux tartines de beurre salé. Puis on passera à autre chose parce que nez dans le guidon et compte en banque ensablé. L'école publique est une vaste plaisanterie qui repose sur les bonnes volontés de ceux qui acceptent encore d'y travailler, mais nous affectons de n'en rien savoir.

Il y a des responsables. Ils sont aux commandes de ce pays. Peut-être se soumettent-ils ou non à d'autres intérêts, plus vastes, mais quand on entend chaque jour qu'on a toujours le choix de s'organiser, de se raser et de se rendre présentable pour obtenir une bullshit job qui ne te paiera qu'un peu de loyer et trois sandwichs, pourquoi ne pas rétorquer le même somptueux adage à ceux qui nous dirigent : on a toujours le choix. Votre choix n'est pas celui de la générosité et du partage. Votre choix n'est pas celui d'un monde juste où chacun vit selon ses besoins. Votre choix n'est pas celui d'une école qui s'adapte à l'enfant, qui paye les gens à la hauteur du travail fourni, qui prend soin de ses vieux, de ses malades, de ses handicapés.

Demain, j'irai marcher dans la rue. Je ne supporte pas les gens lorsqu'ils se regroupent en masse, en foule, en groupe malléable de bras qui gesticulent, de bouches qui hurlent et de corps qui se touchent parce que le mouvement veut qu'il y ait contact, même fugace, à un moment ou un autre. Mais j'irai quand même. « En marche ! » disait-il, l'empaffé ? Ha ! La république en marche, demain, ce sera nous.

Je vous embrasse et vous souhaite un joyeux mercredi et une agréable manifestation, demain, sans faute.

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