58 – 19 janvier 2023 – Le sonnet des intervalles.
Le pied sur la tonique, j'entame l'ascension :
Une marche, un ton ; entre deux, le demi-ton.
Je piétine la seconde, qui porte mal son nom,
Puisque suit une tierce qui m'ôte un demi-pas.
De rage, les tons défilent, mineur devient majeur,
Une quarte diminuée pour qu'augmente une quinte,
Et traverse un triton qui joue à te faire peur,
Prétextant que « diabolus in musica. »
Et l'escalier s'enroule sur un clavier noir et blanc,
De nacre et d'ébène, qui se tord comme un serpent,
Une succession d'espaces figés dans une étreinte,
Qui change d'une feuille à l'autre et dessine la mémoire
D'un rare moment qui fut un instant dérisoire,
Cette danse des intervalles que rien ni le temps n'esquinte.
J'ai rédigé le sonnet qui précède la nuit dernière, autour d'une heure du matin. L'insomnie pointait le bout de son nez et j'en ai un peu ras la casquette d'attendre le sommeil devant un quelconque navet de qualité médiocre, certes, mais toutefois dépourvu de ce cachet volontairement débilitant et budgétairement mal ficelé, en contradiction totale avec les standards esthétiques actuels et les logiques scénaristiques en vogue chez Netflix et consorts, cachet par conséquent relatif, j'en conviens, mais qui constitue le charme de bon nombre de petites productions estampillées Z ou bis, gloire à Mattéi, bordel de merde, je me suis encore laissé emporté par la phrase.
En définitive, les films, actuels ressemblent, pour beaucoup d'entre eux, à des galeries de mignonnettes exposées sur l'étagère. Chacune a s forme de fiole, son design plus ou moins inspiré, son étiquette vintage, classieuse, exotique, colorée, austère, mais se résument en fin de compte aux mille et une versions d'une bouteille miniature contenant une dose d'alcool susceptible de vous égayer la gorge sans déclencher l'ivresse. Oh vous aurez envie d'en boire davantage, ça je vous le garantis, et vous aurez peut-être la nausée, la migraine et, en définitive, une conscience aiguë de votre propre médiocrité, mais pour le vertige éthylique, il vous faudra du temps, de l'argent et beaucoup d'abnégation.
Le monde est ce que nous en faisons, notre cinéma un miroir terne et sans surprise.
Ma compagne, jalouse d'un sonnet dédié aux intervalles, m'en a commandé un à sa gloire – et c'est moi le narcissique.
Le voici. Ensuite, j'arrête là. Il faut que je dorme un brin et les somnifères commencent à peser sur la paupière. Je recopierai tout ça demain matin (oui, là maintenant oui) avant de partir étudier l'harmonie au Jam, puis j'irai rejoindre compagne et enfants dans le cortège des gueux.
J'hésite à emporter un katana.
Le modèle émoussé, je vous rassure, mais quand même.
Sonnet pour la femme que j'aime.
Elle est celle qui se grise en lâchant des éclairs,
Qui ébranle le monde de son rire de tonnerre,
Dont le sourire pointu et la lèvre isocèle
Se fixent à mon cœur moite, se figent dans mes prunelles.
Elle est celle qui sait et je me garderai bien
D'en savoir davantage et, pour le bien commun,
Je ne vois pas qu'elle sait plus mais plutôt qu'elle sait mieux.
Et en dernier recours, elle me prend par les yeux.
Notre amour se conjugue à tous les temps connus,
Et mêle à nos névroses des fantômes et des nus.
Que je l'aime est un fait mais qu'elle m'aime en retour
Reste, à mes yeux, mystère, paradoxe, retenu
En otage, dans cette boîte, avec un chat repu,
Et Schrödinger s'étonne qu'on lui parle d'amour.
Bonne journée, ne lâche rien, je te bise sur la joue gauche, pas sur la droite.
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