65 – 28 janvier 2023 – Le retour des listes.

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Il est matin passé de deux heures et cinq minutes. J'achève un repas gargantuesque dont l'apport calorique prétend compenser mes deux heures et demi de sommeil de la nuit passée et j'ai une patate à rendre jaloux un disc-jockey cocaïnomane. Pléonasme ? Mauvaise langue ! Euphémisme, à la rigueur.

Je fourmille d'appels du pied de la part du côté gauche de ce vieux cerveau dérangé, au sens propre plutôt qu'au figuré. J'essaie d'y mettre de l'ordre depuis si longtemps qu'il me semble avoir entamé les démarches bien avant de savoir parler. J'ai dans la tête, en permanence, cette voix narquoise dans laquelle je me reconnais au moins un peu, la voix que j'appelle « Gimini Khrouchtchev » pour des raisons secrètes, forcément mystérieuses – mais en réalité pas du tout, je vous raconterai peut-être un jour – , occupée à narrer sans interruption ce que je vis, ce que je dis, le moindre de mes actes infimes, chacune de mes pensées fugaces, les pets, les rots, la demi-molle du matin ou la matraque de CRS qui me réveille au milieu de la nuit tellement ça tire, les reniflements, les éternuements, les raclements de gorge, les toussotements gênés, les toux décomplexées, les sourires, les clins d'oeil, les moues passagères et les éclats de rire, les coups de gueule, les « rhâ mais oh », les « mais j'te jure », les « non mais on est où là », et aussi les « on se calme les enfants, ou je vous abandonne sur une aire d'autoroute », les « arrêtez de faire ça, c'est agaçant » en répondant de façon aléatoire à un téléphone fixe recevant des appels publicitaires avant de raccrocher dans le même élan, et je crois bien que je m'étais promis-juré-craché d'arrêter de jouer avec les nerfs d'un lectorat bienveillant en lui imposant des phrases plus longues qu'une mise en place de Tarantino, mais j'avais croisé les doigts, alors, sans tortiller trop longtemps de l'arrière-train, profitez bien, voici le point. Tu l'auras compris, j'ai l'intérieur du crâne en ébullition.

Parce que pendant que Gimini y va de son récit à la troisième personne, j'ai mon autre voix, plus sérieuse, timide, plus posée aussi, celle qui prend les commandes quand j'écris une fiction, par exemple, ou quand je donne un cours de français, comme ce matin, qui me rappelle constamment que je pourrais organiser ma pensée autour de telle ou telle thématique. Cette voix, je l'appelle la voix numéro 17. Les autres – parce qu'il y en a d'autres – surgissent sans crier gare et repartent par le même chemin, si je puis dire. Cocasse, lorsque l'on se rend compte, en tirant sur les bonnes ficelles et en déroulant la pelote, qu'elles se résument toutes à des versions hypertrophiées de Gimini K et de la voix n°17. En tout cas, crois-moi, c'est le chaos là-dedans, mais un chaos rassurant, coloré, nimbé de références cinématographiques et de refrains usés jusqu'à la corde. Quand je regarde Milo, je me dis que les chiens font pas des chats, et quand je regarde ma compagne, je me dis que si, en plus, on s'y met à deux...

Bref.

Il fut un temps où je gardais un document ouvert sur mon ordinateur, un document word, planqué sous une pile d'autres fichiers ouverts parce que travaux en cours, brouillon de ceci, brouillon de cela, texte à relire, notes de frais, organigramme, outils logistiques divers et variés. Ce document, je l'appelais « Trucs en cours », « Vrac à finir », « Textes à rédiger », « Work in Progress ». Je m'y tenais un certain temps : tu lis la première ligne, tu suis les directives, tu écris, tu rayes, tu passes au suivant. Te voilà pourtant vite débordé. Parce que des idées, quand tu te sens comme je me sens en ce moment, tu en ponds une demi-douzaine à la seconde. Il suffit d'activer tes neurones d'une façon ou d'une autre et c'est parti pour un premier tour de chauffe : tiens, si j'écrivais un texte là-dessus ? Oui mais quel format ? Attends, attends, ça pourrait être une série ! Listons les sujets à traiter, waaaaah, trop bien, des heures et des heures d'écriture défilent comme des promesses de singe devant mes pupilles éclatées.

J'avais arrêté ce genre de listes. Eh bien, tu sais quoi, je suis contraint et forcé de m'y remettre. Je ne vois pas comment survivre autrement ! Je dois lister les morceaux de mon répertoire à venir, celui sur lequel je travaille depuis un peu plus de dix jours. Oui, j'aurais pu t'en parler plus tôt, mais il y a eu ce rapport sur l'état du sexisme en France, ça m'a tarabusté, et je ne pourrai qu'y revenir, forcément. Mais voilà, j'ai passé un cap dans la maîtrise d'un instrument que je pratique depuis des décennies et dont j'avais abandonné l'idée d'en jouer de façon sérieuse au sein d'un groupe. Il n'est pas dit que j'y parvienne mais mes dernières avancées en la matière suffisent à faire pénétrer cette idée dans sphère des possibles. Un petit pas pour ceux qui n'en ont rien à carrer, un bond de géant pour moi-même et je m'en félicite.

Je me concentre par conséquent sur la guitare rythmique – c'est-à-dire, très précisément, sur le rythme – et je m'entraîne cinq heures par jour en moyenne. Je sélectionne des morceaux, je cherche les partitions, j'y vais, j'essaie, j'adapte, je note et passe au suivant. Non que j'arrive à tout jouer ou que je maîtrise tous les changements d'accords, les tempos, etc, mais je trie, je pèse, j'emballe, et maintenant, faut que je liste.

De même, putain comme j'ai envie/besoin d'écrire autre chose que cette série de textes intimes mais pas trop quand même ! Donc, j'annonce : le « Journal d'un monde qui s'achève en traînant la patte » continuera mordicus, à raison d'environ quatre textes par semaine. Les autre jours seront dévolus à la fiction et à une autre série, que je mettrai également en ligne, probablement par ce biais. Premier épisode ce soir ou demain matin, on verra.

Je reprendrai également ma série de critiques littéraires sans m'astreindre à un rythme particulier mais je penche pour un texte par mois minimum.

Les fictions, comme je l'ai dit hier, ne seront pas disponibles ici-bas, pas avant, du moins, qu'elles n'aient été publiées ailleurs.

J'avais d'autres trucs à te raconter mais je commence à tourner de l'oeil. Gimini me décrit l'état exact dans lequel je me trouve et semble ainsi annoncer une sieste imminente. Je remarque que Gimini se prend pour Chuck Palahniuk depuis quelque temps et il faudrait que ça cesse.

Je te souhaite une bonne fin de samedi et t'embrasse fougueusement mais pas sur la bouche, c'est mal.

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