66 – 30 janvier 2023 – La pensée masculiniste (bref retour en coup de vent).

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66 – 30 janvier 2023 – La pensée masculiniste (bref retour en coup de vent).

Avertissement : ce texte pastiche, parodie, exagère et diminue. Le « tu » de narration s'adresse aux hommes, le ton s'adresse à tous les genres confondus dans la même famille d'humains dont je rêve qu'ils avancent un jour ensemble, non pas les mains jointes en une poignée solidaire héritée d'un rêve bisounours biberonné à la mystique de Martin Luther King Jr (dont je rappelle néanmoins qu'on l'assassina pour avoir osé rêver plus haut que son cul), mais bien les oreilles grandes ouvertes, la langue volubile s'exprimant sans entraves, les yeux tournés vers l'horizon.

Et sinon, bonjour.

Tu veux que je te dise ? Arrête de te plaindre. Tu es le mâle alpha. Tu as toutes les cartes en main, ta vie, c'est ici et maintenant, et il ne tient qu'à toi de la saisir à bras-le-corps. Ce dont tu rêves, construis-le, saisis-le, et tant pis si d'autres mains s'accrochent au même objet de désir. Impose ta volonté, tu es le chef de meute et les autres n'ont qu'à suivre.

Tu maîtrises le feu. Tu gères. Tu prends les choses en main. Tu n'es peut-être pas gradé mais tu es le général de ta propre armée. Ta femme te regarde avec les yeux de l'amour et s'il lui arrive de l'ouvrir, tu joue les chats de gouttière, tu fais le dos rond et tu t'arraches. Autonome que tu es. Fidèle à toi-même, fier de tes actes, fier de ta pensée, amoureux de ton image découpée dans un film d'action, viril jusque dans l'expression de ton désir. Aime-toi, semble te répéter ton reflet dans ce miroir vendu à la cause, aime-toi et elles t'aimeront.

Ta femme ne te suffit plus. De toute façon, c'est TA femme, elle t'appartient et les autres aussi. Par capillarité, possible, par loi divine, parce que Darwin, parce que c'est la jungle, parce qu'on est des animaux, parce que le sang te gonfle le gland et que tu dois absolument le lui faire savoir, à elle, à elle, à elle là aussi, et à sa copine, tiens, et à toute femme qui viendrait à croiser ton regard, ta route, ton trajet d'humain dérisoire qui profite de la vue sans humer l'air du temps qui file.

TA femme, TA copine, TA meuf, TA partenaire, TA compagne, TON jouet, TON esclave, jamais celle qui t'aime, celle qui te soutient, te supporte, te retient quand tu rêves de prendre la porte, celle qui qui te suit souvent et te précède parfois, parce que la hiérarchie existe, tu la valides et tu ne lui laisses pas le choix. TA chose t'entend rire des autres femmes. Tu la détestes quand les hormones lui vrillent le ventre et lui ruinent le moral. Tu la renvoies à « toutes pareilles », « toutes les mêmes », des « hystériques », des « pleureuses », des « emmerdantes, emmerdeuses, emmerderesses », paraphrasons le grand, l'unique, le meilleur d'entre nous, le grand Georges et sa misogynie rigolote de génie de la langue, et de se rendre compte, en tapant ces mots sur un logiciel de traitement de texte, que le dictionnaire automatique n'y voit nul inconvénient, que la langue française valide, une fois de plus, les termes les plus répugnants pour décrire la moitié de l'humanité, ça te conforte dans ta position de fortiche, de costaud et de personnalité bien trempée.

Tu compares la taille de ton sexe à celle de tes copains. Les vestiaires sont là pour ça. C'est un homme qui a eu l'idée. Lumineuse. Du génie. « Ha ! Ils verront bien qui a la plus grosse. »Tu listes tes conquêtes et tu deviens Don Juan, le roi du matelas transpirant et des draps roulés en boule. Tu les fais toutes jouir parce que tu connais leur corps. Tu expliques à tes copains comment on fait. Tu te rassures lorsque ceux-ci t'écoutent. Peut-être qu'ils te ressemblent, peut-être qu'ils apprennent réellement quelque chose de ta gueule de singe affamé. Le roi du barbecue jouit de son auréole de séducteur. Il aime les femmes et elles le lui rendent bien. D'ailleurs, tu le dis souvent que tu sais leur parler, que ta part féminine prend souvent le dessus et qu'elles savent que tu les écoutes.

Tu n'oublies pas de les interrompre. Souvent. Toujours. Tu ne t'en rends même plus compte. Tu les fais taire d'un geste ou d'un suppliant « attends, je peux finir ? », tu leur expliques la vie, tu leur racontes tout ce qu'elles n'ont jamais vu, lu ou entendu, tout ce qu'elles ont traversé sans jamais l'analyser, sans doute parce qu'elles n'avaient pas la chance de te connaître. Heureusement, tu as surgi dans leur vie, à l'improviste, comme un serpent qui sort de sa boîte. Heureusement que tu es là, enfin, le sauveur qui guide ces pauvres femmes en mal de repères.

Tes blagues de cul ne sont que de l'humour. Les blondes et les pédés, les gonzesses un rien godiches, les bonnasses et les connasses, les bimbos et les bécasses, des clichés dont tu te moques, parce que c'est de l'humour. Tu déconstruis, en réalité. En définitive, tu connais tout de l'humour et elles n'ont plus qu'à ouvrir les oreilles pour écouter. Peu importe que tu les rabaisses, que tu les ridiculises, que tu parles du « poisson pourri », de la « morue », du « chat mort », de l' « œuf pourri » qu'elles sont censées abriter entre leurs cuisses. Quoi ? On ne peut plus rire de tout ? On remet en question le grand Desproges ? On ne peut plus rien dire, c'est ça ? Et ta liberté de penser, de dire, de croire, de ressentir écrase la liberté de TA femme, TES femmes potentielles, passées, présentes, à venir. Mais tu t'en fous parce que tu as raison. Toujours. Et la preuve, c'est qu'il vient un moment où tu clos le débat – ce n'est pas une question, pour toi, mais un problème ou un débat. Une question invite à élaborer des réponses. Les débats exigent un avis clair et tranché. Les problèmes des solutions uniques à l'exclusion du reste. Et toi, tu n'aimes pas les questions. Ton dernier mot, tu le poses en parlant fort, puis tu te drapes dans ta dignité de vieux sage, de patriarche anobli par les circonstances. Si tu étais né sans pénis, tu la ramènerais peut-être moins, tu n'en sais rien, tu n'en sauras jamais rien, parce que ton empathie se base sur des prémisses inventés par tes soins.

Tu es là pour protéger TA femme. Tu es là pour défendre TA femme, pour la porter aux nues comme ces putains de surréalistes qui s'en méfiaient comme de la peste, ou ces connards de romantiques qui fréquentaient les bordels. Tu es là pour résoudre les problèmes de ces faibles créatures et elles devraient te remercier, te témoigner gratitude et respect, c'est la moindre des choses, tu as toujours tout fait pour elles. Même quand elles ne demandaient rien. Tu les devances dans leurs besoins, leurs désirs, de toute façon, tu les connais, tu sais ce qu'il leur faut, et si elles ne le comprennent pas, tu te régaleras d'argumenter un explicatif basé sur ton mode d'emploi de la vie, celui qu'on t'a fourni à la naissance, et que tu as aiguisé dans ton coin, avec l'éducation de tes vieux, avec l'aide de ton cercle d'amis, et le renfort culturel de ces images qui te sculptent l'âme plus encore que le corps.

Et parfois tu pleures. C'est ton arme ultime. Tu te recroquevilles et tu appuies sur le dernier bouton. Parce que TA femme, c'est aussi TA mère, TA sœur, TA confidente et TON amie. Elle séchera tes larmes, crois-tu, elle cédera à l'appel naïf et hypocrite de la compassion sincère des femmes qui n'aiment pas faire souffrir. Toi tu t'en fous, tu ne t'en rends même pas compte. Elle si. On l'a élevée comme ça, avec sa propre programmation. La différence, c'est qu'on l'a entraînée à te subir, à te suivre et à mourir sous tes coups.

J'espère que ceci ne vous mettra pas trop mal à l'aise. Ce rapport sur l'état du sexisme en France me poursuit. J'y vois l'écho de comportements constatés dans la rue, dans mon cercle amical plus ou moins élargi, et – je dois l'écrire et l'assumer – dans ma vie passée. J'aime à penser que je me transforme et réfléchis intensément à ces questions depuis des années maintenant. J'aime l'idée que je ne suis plus le même qu'il y a dix, quinze, vingt, trente ans, que j'ai appris de mes erreurs, de mes faiblesses, de mes lâchetés. Mais je reste vigilant et conscient qu'il n'y a pas pire juge de soi que soi-même.

Pour ceux qui souhaitent lire des textes féministes sans trop se heurter au jugement, ceux qui veulent amorcer le chemin sans trop se flageller, je recommande la lecture de deux livres de Mona Chollet : « Sorcières : La puissance invaincue des femmes » s'attache à résumer des siècles de résistance féminine et/ou féministe. C'est un livre puissant, dont l'écriture fine et claire, m'a happé dès les premières lignes. Il présente l'avantage de placer la femme au centre de l'attention sans pour autant stigmatiser les hommes. Mais sans édulcorer non plus les horreurs commises au nom de l'inégalité des sexes.

Le deuxième, « Réinventer l'amour : Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles », se veut plus revendicatif, plus direct dans l'expression de son objectif : comment réconcilier les deux sexes autour d'une relation équilibrée où chacun aurait droit d'expression, de désir, de non-désir. Elle omet sciemment d'évoquer longuement les nouveaux genres apparus ces dernières années et résumés par l'acronyme LGBTQIA+, estimant qu'elle ne peut parler que de ce qu'elle connaît et qu'elle préfère laisser ce sujet à d'autres, revendiquant de ce fait le droit de penser également en hétérosexuelle normée par la société dans laquelle elle vit.

Il y a dans l'écriture de Mona Chollet une bienveillance douceâtre. Lisez-la sans concession, mais lisez-la sans peur. Elle est la preuve que les femmes ne nous veulent aucun mal. Elles veulent juste qu'on arrête de les faire chier.

Autre livre dont je pense qu'il ferait du bien à n'importe quel homme persuadé de son hégémonie culturelle pour la simple raison que les « grands hommes sont tous des hommes, à part Jeanne d'Arc et Marie Curie » : « Les grandes oubliées : pourquoi l'histoire a effacé les femmes », de Titiou Lecoq. Tout est dans le titre et je vais être très clair. Je considère ce livre comme une nécessité et il se contente, somme toute, d'ouvrir la voie. Achetez-le, lisez-le et oubliez-le dans les vestiaires de votre club de foot.

Enfin, « Rage Against the Machism », de Mathilde Larrère, historienne à grande gueule (et accessoirement maman de mon fils aîné) propose un récapitulatif condensé et détaillé des luttes féministes sur des siècles d'histoire. C'est à la fois exaltant et terrifiant.

Je vous embrasse et vous souhaite une grève totale demain mardi.

Bonne journée, merci de me lire et à bientôt.

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