71 – 4 février 2023 – Les spams du gouvernement.
Je ne sais pas si je te l'ai dit mais ma compagne est fonctionnaire.
Oui, c'est une planquée.
Oui, elle profite du travail des autres, les vrais lions qui s'éreintent dans le privé.
Oui, elle se cache derrière l'aspect purement social de son rôle d'enseignante pour se faire mousser auprès de la gauche survivante, dont je suis, tout comme mes parents et bon nombre de mes camarades en existence (ceux qui me restent).
Oui, elle passe ses journées à rien glander auprès d'enfants en bas âge qui apprennent tout juste à nouer leurs lacets, la morve au nez et le pipi prompt à souiller.
Oui, c'est une glandeuse qui déplace du vent jusqu'à deux heures du matin sous prétexte qu'il y a la classe à préparer, que machine a un TDA et que trucmuche est handicapée, et qu'il n'y a plus de budget pour payer les AESH (si t'es bon en acronymes, tu sauras pas que ces lettres désignent les « accompagnants des élèves en situation de handicap », évidemment sous-payés et surexploités, comme tout représentant d'un métier socialement indispensable), que l'on supprime les postes RASED (Réseaux d'Aides Spécialisées aux Elèves en Difficulté), que l'on déshabille en permanence l'école publique pour refiler des subventions au privé, que l'on ne renouvellera que 26 postes cette année dans l'académie de Montpellier (autant dire « allez vous faire foutre aux enseignants déjà sur le terrain, ce sera plus clair et on gagnera du temps), et pour une glandeuse, je trouve que, décidément, ça lui prend quand même beaucoup de temps de rien branler, dingue.
J'oubliais :
Oui, elle a des vacances au cours desquelles elle aimerait lâcher prise, décompresser, mais les mails s'accumulent. Les syndicats d'enseignant, le rectorat, le ministre ou son copain Guérini, les cours à préparer, les animations pédagogiques imposées, le papier de ceci pour parachever cela, les sorties scolaires qui ne s'improvisent pas entre deux portes et impliquent toute une hiérarchie de l'information, les réunions parents-profs, les rendez-vous qui surgissent à l'improviste d'un événement survenu en classe ou dans la cour d'école, les guerres de pouvoir avec les ATSEM (oh ben là, tu chercheras, j'ai la flemme), la Mairie qui traîne des savates quand il s'agit d'effectuer une réparation ou un aménagement, et la liste s'allonge à mesure que j'écris parce que j'ai la pensée qui file et les images se suivent selon des souvenirs plus ou moins récents, qui s'amoncellent, s'ensevelissent et ressortent les uns après les autres, répétés selon des séquences que l'on croirait tirées de ce vieux film où Bill Murray revit sans cesse la même journée.
Oui, ma compagne est institutrice et c'est une putain d'héroïne.
Je n'arrive pas à comprendre ce qui la tient, ce qui la pousse, ce qui la motive à ce point. Elle me raconte parfois l'histoire poignante d'un enfant sans père, ou d'un enfant de l'exil, ou d'un enfant battu, ou d'un enfant triste sans qu'on sache pourquoi, ou d'un enfant dont on ne voit jamais la mère et dont les frangins s'occupent manifestement comme ils peuvent alors qu'ils n'ont pas douze ans, ou d'un enfant aux yeux fuyants, qui torture ses camarades pour attirer l'attention, ou d'un enfant qui ne tiendra jamais sur ses jambes parce que l'inégalité commence parfois à la naissance – et oui, je répéterai le mot « enfant » jusqu'à ce que tu intègres au tréfonds de ta chair, de ton âme, de ta cervelle de singe évolué que d'autres que toi gères les enfants des autres, les tiens peut-être, en tout cas ceux de quelqu'un que tu connais – ton frère, ta sœur, ton cousin, des amis, des voisins.
Et pour quel salaire ? Pour quelle reconnaissance ? Pour quel traitement ? Les instits sont les esclaves de l'Education nationale, au même titre que les profs, mais avec un chouïa de mépris en plus. Certains confinements relativement récents nous auront appris qu'il n'est pas chose aisée de faire la classe à un enfant – et ils en gèrent par paquet de 25 ou 30 !
Mais je m'emporte, j'enfonce les portes ouvertes et j'en oublie que je n'ai que peu de temps aujourd'hui.
Ma compagne, en tant qu'instit et fonctionnaire, reçoit des mails de nos dirigeants. Stéphane Guérini s'est déjà permis, il y a une semaine, d'user des mails personnels des enseignants pour les convaincre du bien-fondé de la réforme des retraites – ce qui, est, rappelons-le, illégal, et ce qui lui vaut d'ailleurs une plainte de la part du syndicat SUD-enseignants – mais le dernier en date provient de Bruno Le Maire, dont il m'apparaît croquignol de rappeler qu'il a gagné en superbe et noblesse depuis qu'il est devenu Ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique au lieu de simple Ministre de l'Economie et des Finances. Je ne sais pas qui trouve les appellations mais j'aimerais bien qu'il me présente son fournisseur, parce que c'est de la bonne.
Le Maire écrit aux enseignants (et peut-être à d'autres fonctionnaires) pour leur expliquer comment gérer leur épargne. Honnêtement, je n'ai pas retenu les termes, mais il apparaît que Bruno Le Maire propose une solution à l'inflation en évitant le Livret A au profit de je ne sais plus quoi – je m'en veux, j'ai oublié et pourtant l'info ne date que d'une demi-heure, je crois que j'en ai vraiment rien à carrer.
Si tu permets, je reformule.
Je croyais que Bruno Le Maire était ministre. En réalité, c'est un conseiller bancaire. Et mauvais en plus. De la part d'un type qui ne sait pas gérer les comptes de son ministère et du pays dont il a partiellement la charge, c'est juste génial. Pas d'autre mot. Ce type est un vrai génie.
Allez voir un peu comment on a bradé les autoroutes et comment l'Etat s'assoit sur 55 milliards de profit.
Souvenez-vous des aéroports de Paris, soldés au plus offrant.
Jetez donc un coup d'oeil au rapport de la Cour des comptes qui peine à justifier la nécessité économique de réformer le système des retraites.
Les exemples abondent et, encore une fois, je ne suis pas journaliste, ni économiste, ni rien du tout. Simplement, ces gens-là ne se cachent plus. Les cadeaux aux grosses boîtes, l'évasion fiscale, les revenus de Bernard Arnaud et le peu d'impôts qu'il reverse à l'Etat. Qui sont les vrais assistés dans ce pays ?
Bon allez, je vous laisse. Je suis colère et je manque de substance quand je m'énerve. En revanche, les études existent, les chiffres traînent à droite et à gauche. Nul besoin de consulter des sites de désinformation déguisés en « info libérée » ou ce genre de conneries : lisez juste le journal officiel, les rapports de la cour des comptes, les études de l'INSEE. Tout est accessible et nous n'en faisons rien.
Bigre.
Mardi, la grève s'installe et la fête commence.
Je t'embrasse, qui que tu sois, et que la farce soit avec toi.
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