74 – 6 février (soir, après la classe d'ensemble au JAM) 2023 – La faillite, nous voilà !

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Il fallait pas, non, il fallait pas.

Ecouter France Info sur le trajet de retour, au volant de ma poubelle bleu ecchymose. Cueilli par le froid – un froid relatif, n'appelons pas ça l'hiver – enrobé d'un anorak caca-d'oie acheté il y a des siècles dans les surplus de l'armée, j'avais envie de cette voix de la radio qui semble vouloir copiner, à qui tu paierais même un verre si tu avais l'alcool sociable et l'esprit mondain. Une voix qui t'accompagne sur la route, c'est déjà un début de quelque chose, et pourquoi s'attacher à nommer, définir, poser des balises autour d'une relation naissante ?

Ceux qui me gavent d'infos, de chiffres, de morceaux de néant, ceux-là même qui s'essayent, délibérément ou non, à me laver le cerveau sont mes amis. Tant qu'ils respectent l'orthographe, la grammaire et qu'ils témoignent d'un effort stylistique. Autant dire que je n'ai pas beaucoup d'amis radiophoniques et cette introduction n'aura servi à rien !

Il fallait pas. Evidemment qu'il fallait pas.

Enfouir la boîte à penser sous le flot glaireux des mauvaises nouvelles, jeter ma cervelle aux orties parce que la vie ne s'arrête pas quand des milliers de vies s'arrêtent. Un séisme en Turquie, l'aubaine pour les rédactions. Il faut nourrir la bête et la bête, fichtre en moumoute, la bête, c'est toi, c'est moi, c'est le petit qui ouvre grand ses yeux d'imaginatif quand je lui relate une horreur saisie sur le vif lors d'une journée banale au pays des fous. Accident au feu rouge, engueulade au comptoir, arnaque au téléphone, chute à vélo, suicide aux Arceaux, main qui pelote et paume qui claque, poing qui frappe et lame qui tranche. Nous sommes l'horreur qui nous hérisse et j'aurais voulu changer de fréquence mais je ne voulais ni le silence ni la musique nocturne. J'avais besoin de cette voix de cyborg qui me rappelle que je ne suis qu'une miette parmi d'autres à la table du festin.

Il fallait pas écouter. Même pas de l'oreille distraite du conducteur attentif (je le suis depuis peu mais tout est relatif, et j'ai suivi plusieurs stages de récupération de points de permis, et je n'en tire aucune fierté, et je fus jadis le chauffard pathétique qui se perd et s'emporte et en oublie qu'il n'est pas seul sans pour autant cesser de penser aux autres à travers soi, je fus un paradoxe et le suis toujours un peu, mais pas sur la route oh non pas sur la route).

Miné par un tremblement de terre qui s'est appliqué, la nuit dernière, à nous rappeler combien nous sommes fragiles et dérisoires, je me suis laissé bercer par un pseudo compte-rendu de débats stériles et foncièrement indécents. Et oui, je parle de l'assemblée nationale et de cette association de malfaiteurs qui tentent de nous imposer un projet philosophique qu'Adam Smith lui-même jugerait suicidaire. Ne vous laissez pas convaincre, ne vous laissez pas happer, ne vous laissez pas surprendre. L'on veut nous persuader du bien-fondé de la réforme. Comme si les Républicains voulaient vraiment « sauver le système de répartition »... Et oui, je cite. Ce ne sont pas mes mots mais ceux du robot médiatique, le pantin qui recrache la soupe qu'on lui demande de nous dégobiller dans la tronche.

La droite qui essaye de préserver un système d'aide sociale, ça ne chiffonne personne ? Plus le mensonge est gros, dit-on, mieux il passe, comme une pilule avalée avec un verre de bourbon. En réalité, le message se doit surtout d'être assené, martelé, répété jusqu'à plus soif et la pseudo neutralité du « journaliste » (les guillemets, je les inclus ici par respect pour la mémoire de mon père, excellent journaliste de son vivant, beaucoup moins depuis sa mort, toute le monde ne peut pas en dire autant chez les clones de Radio France) ne proposera pas de vent contraire, de déphasage ou d'analyse.

Alors effrayez-nous si ça vous chante avec la promesse de banqueroute, agitez donc le spectre de la faillite, dépeignez-nous l'avenir de nos chairs pourrissantes et de nos couches pleines sans blouse blanche pour les vider. Et la peur de vieillir dans le dénuement, de mourir seul dans une chambre à ciel ouvert, l'angoisse de chier dans un tube nous poussera peut-être à accepter de sacrifier encore un peu plus de temps de vie. Pour que l'antichambre de la mort ait droit à son sponsor, cultivons nos rhumatismes devant la machine à café.

Qui questionne l'arithmétique de ce calcul frauduleux ?

Tout le monde et pourtant personne.

Les économistes le disent et le répètent, la cour des Comptes le souligne, les spécialistes de l'Insee, tous le clament sans impertinence et avec le renfort des chiffres que l'on se plaît à brandir dès lors qu'ils nous arrangent. Ils n'arrangent pas le gouvernement, pas plus qu'ils ne plaisent à Macron Premier, roi des cons s'il en est. Alors, les chiffres, les études, les camemberts dessinés par les scientifiques et les statisticiens, on les ignore, on les réduit, on les bazarde. Personne ne viendra contredire le groupe LR, la mère Borne, Ciotti, sa clique, Bayrou, Macron, les psychotiques qui nous gouvernent.

Exiger de nous davantage d'efforts relève d'un choix idéologique. C'est la sueur de nos fronts qui doit permettre à tous les Bernard Arnault de déguster le veau d'or.

Alors non, fallait pas écouter ça, j'aurais pas dû, le mot « faillite » a filtré et je traîne dès lors un calembour idiot que je me sens obligé de te révéler.

La faillite, nous voilà !

Endettons-nous, que dis-je, cumulons les dettes ! Crachons sur la finance et vidons les rayons des supérettes. Il est temps de remettre les choses dans le bon sens, de réserver au social, à l'humain, à l'utile et au besoin, la primauté de nos actes, de nos désirs, de nos actions. Les golden boys méritent le pied dans le béton et le saut dans le vide, et les it girls, les happiness managers, les influenceurs.ceuses, les créateurs de start up, les branleurs qui vendent du vide et te l'emballent pour créer du capital, de la thune pour acheter de la thune pour acheter des gadgets qu'il faudra renouveler dans trois mois.

J'ai la nostalgie de la Terreur et de ce bon vieux taré de Robespierre.

A quand la cagnotte Leechee pour payer celui qui dégommera ces cons ?

La faillite, donc, puisque nous y sommes.

Je t'embrasse, passe une bonne nuit et j'espère que tout va bien pour toi.

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