82 – 14 février soir, un peu du 15 très tôt, tout ça en 2023, ben oui – Les femmes et les enfants d'abord.
Salut à toi, comment vas-tu ?
Je prends de l'avance pour sortir quelques lignes – n'y vois nulle référence maligne à l'hygiène nasale d'un certain humoriste – parce que le mercredi, comme le veut l'adage, je le réserve aux activités extra-scolaires des enfants, à la lecture du Canard enchaîné entre deux passages éclair sur le trône, et à la pratique des gammes et autres exercices du même acabit sur divers instruments à manche accompagnés d'un métronome. J'embauche à 9h, si je puis dire, auprès d'Olivier Roman-Garcia, mon prof de guitare, et après notre demi-heure de transition musicale entre sommeil qui s'attarde et réveil qui s'affirme, la course démarre sur les chapeaux de roue jusqu'à environ 21h.
Ce soir, si je bosse d'une façon ou d'une autre, ce sera le casque sur les oreilles : Cubase me manque et l'une des compos que je me coltine depuis... bof, cultivons le mystère... l'une de mes compos qui respectent leur rythme de création, dirons-nous, fournirait un fond sonore cohérent aux remugles socio-politiques qui nous occupent ces jours derniers.
Si j'ai empoigné mon stylo Pilot G-1 à pointe 0,5 et mon bloc-note format A4 à petits carreaux (oui les moches avec la couverture orange), ce n'est pourtant pas pour vous détailler le menu de mon mercredi. Désolé, ma motivation sera aujourd'hui triviale à souhait et, d'avance, pardon.
Ceux qui me connaissent dans la vraie vie ne seront pas spécialement surpris, ceux qui connaissent mes écrits d'antan, publiés essentiellement sur le site littéraire à vocation sarcastique de la Zone, se taperont volontiers sur le front avec le plat de la main dans un geste dépité. Sans doute s'interrogeront-ils sur les potentialités d'évolution d'un plumitif sur le long cours de sa fragile et tempétueuse existence. Peut-être chercherons-nous en vain un semblant de maturité dans les quelques lignes qui vont suivre. Peut-être l'auteur tricote-t-il ici des phrases insensées sous prétexte que le réveil n'est pas achevé et que la couette continue de l'appeler d'un « reviens » langoureux.
L'objet de mon tracas : une blague de mauvais goût. Elle a surgi dans mon esprit dans un « pop ! » de comic book, il y a une vingtaine de minutes. Or, les enfants sont couchés et je me vois mal les déranger pour leur balancer ma vanne. Pas sûr qu'ils pigeraient, d'ailleurs. Et depuis que je suis tricard à Radio Campus pour avoir incendié le prédécesseur de Delafosse, ma foi, je ne sais pas trop comment me débarrasser de ce sarcasme inhérent à ma personne. Il faut bien se vider la poche urinaire de temps en temps, non ? Les blagues, c'est pareil. A force de traîner sur le bout de la langue, on a la bouche qui enfle et les oncologues se frottent les mains. Par ailleurs, ma compagne est fatiguée et ne goûtera pas le sel de ce truc qui me trottine dans le bas du crâne, qui me démange aux entournures, qui me convulse le bide, alors désolé, cher regard, la plaisanterie douteuse, c'est pour ta pomme !
Pierre Palmade, quand il dit qu'il milite pour l'IVG, il dépasse pas un poil les bornes ?
Je dis ça rapport au... oui, tu sais pourquoi.
Non, mais c'est pas bien, je sais. Une grossesse interrompue à ce stade – surtout quand on connaît la nature du bistouri employé par l'humoriste – c'est criminel. N'ayons pas peur des mots. En plus, ma sœur vient d'accoucher d'un adorable bambin, bien sûr que j'en veux à Palmade d'avoir jeté sa bagnole dans le ventre de cette femme enceinte dans le but avoué de pratiquer un avortement. Pierre Palmade s'est radicalisé ? L'enquête nous le dira.
Excusez-moi hein, mais je n'arrive pas à ne pas m'en foutre un petit peu de tout ce merdier tragique, ignoble et indécent.
Suis-je insensible ? Non, j'ai pleuré devant « Antarctica » quand j'étais petit, devant « Fahrenheit 911 » quand je l'ai vu au cinéma, devant la ré-élection de notre monarque personnel l'année dernière. Suis-je égoïste ? Probablement sur certains points, comme beaucoup. Chacun ses égoïsmes et les points-retraites seront bien gardés, dirait Bruno Le Maire. Mais de façon générale, en réalité, non, je suis plutôt partageur. Sociopathe ? Ma foi, je sais que d'aucuns se posent la question, mais j'ai plusieurs avis professionnels qui se rangent de mon côté alors non, désolé, mes chères et chers ami.e.s, je ne suis pas sociopathe malgré une prédilection pour les ambiances feutrées, les plaisirs solitaires et les monologues intérieurs couchés sur papier. Je manque d'empathie alors ? En réalité, c'est l'inverse. Je fais partie de ces gens qui imitent inconsciemment les poses, attitudes, gestuelles, tics de langage de ces interlocuteurs. Avec l'âge, j'ai appris à m'en rendre compte et il y a toujours ce moment gênant, dans la conversation, où mon corps cherche à se dégager de l'influence de celui d'en face, et ça donne des petits ballets imbéciles entre mes mains qui ne savent pas où se mettre et mon visage qui ne sait plus quoi exprimer. Je suis le reflet de moi-même reflétant l'autre, et c'est une des définitions poético-cliniques de l'empathie, que vous le vouliez ou non.
Par ailleurs et entre parenthèses, c'est plutôt brise-burettes à vivre sur l'instant.
Lâchons un peu le champ lexical de la psychologie de comptoir, profitons-en pour cracher sur le monde des gourous de tout poil et posons-nous la question autrement. En quoi haïr Pierre Palmade change-t-il le sort du fœtus et de sa mère dévastée ? En quoi l'insulter en ligne et le vouer au bûcher de l'inquisition modifiera-t-il l'espace-temps de façon à ce que l'accident ne se produise pas, que le fœtus survive et que l'accouchement se déroule comme prévu, à savoir dans une chambre d'hôpital au budget amputé, avec des sages-femmes sous payées et exténuées, des médecins qui préféreraient exercer dans le calme de leurs cabinets privés ?
La mort reste un sujet de prédilection à partir de nos quarante ans, surtout lorsque l'on sort d'un deuil familial et que les enfants l'affrontent également, avec notre aide attentive et accablée, et nous envahit de façon générale à travers l'environnement toxique des nouvelles incessantes, à travers la mort des autres, proches et moins proches, parce que, désolé de vous le rappeler, nous allons tous mourir. Il y a eu ce séisme terrible en Turquie/Syrie . On déterre des cadavres chaque jour qui passe depuis une semaine, mais les journalistes sont à la fête dès que les sauveteurs tombent sur des corps qui respirent. On imagine mal la terreur de ces hommes et femmes, bloqués sous les décombres, à proximité du corps d'un proche, parfois un enfant, un parent. L'horreur est tenace mais toujours conviviale : elle nous accompagne dans notre quotidien et je ne doute pas que les images me saisiraient jusqu'à la prochaine plage de pub si j'avais la télé.
On a également trouvé une femme dépecée, répartie en divers sacs-poubelle. On se croirait dans un vieux film comique des années 80 dont je tairai le nom pour ne pas évoquer certains des comédiens devenus sarkozystes, ce qui me fend la rate et c'est peu de le dire.
Je ne comprends pas cet acharnement sur Palmade. Evidemment que c'est un assassin. Enfin, « meurtrier » serait plus juste puisque l'assassinat implique une préméditation. Le terme même de meurtrier pose également problème dans la mesure où Palmade n'a eu la peau que d'un fœtus – du moins aux dernières nouvelles, et je t'avoue que je ne suis pas vraiment cette histoire avec le même intérêt que les 14000 amendements de la NUPES – même si les autres membres de la famille ne sont pas encore près de danser le jerk ou le tango.
Autrement dit, si Palmade était chirurgien au lieu de blagueur professionnel, on se contenterait de l'accuser d'avoir dépassé les délais légaux. On ne va quand même pas lui en vouloir d'avoir loupé médecine, non ?
Ca va, je déconne.
En revanche, ça ne vous défrise vraiment pas que le ministre de l'Intérieur, violeur notoire, il est bon de le rappeler, se sente obligé d'intervenir personnellement sur ce qui se résume à un accident de la route et se pose en défenseur du faible, du fragile et de l'opprimé ? Le même qui a dit « quand j'entends parler de violences policières, personnellement je m'étouffe » quelques jours à peine après le meurtre de Cédric Chouviat, suffoqué par le genou d'un flic durant un contrôle d'identité ?
Personnellement, quand j'entends le nom de Pierre Palmade, je pense à une soupe froide. Pas un gaspacho, ce serait trop sophistiqué. Non, une sorte de potage préparé à la va-vite et oublié trois semaines dans le frigo, un bouillon tiédasse dont on aurait omis les patates, un machin sans épaisseur, aigre, pas franchement ragoûtant mais qu'on hésite à jeter aux toilettes parce qu'on n'a pas envie de gâcher. La coke, en revanche, faut que je te le dise : je la hais. Il s'agit à mes yeux de la drogue la plus antipathique qui soit. Non pour la toxicité – le crack te ruine les neurones beaucoup plus vite et l'héroïne t'accroche dès la première prise – mais la plupart des gens qui la pratiquent affectent de ne rien percevoir de cet état mental dans lequel elle les situe en quelques menues reniflettes. La drogue du fric par excellence, du melon qui ne passe plus la petite porte, la drogue du politique qui fraye avec l'escort girl, du journaliste en vogue qui couche avec le politique, de la starlette à dents longues qui succombe au producteur, la came du succès flamboyant, de l'apparence à baskets de marque et à costard à deux briques, le bonbon du j'me la pète en marchant sur le dos des autres.
Bon, je propose que l'on force Palmade à assister à une rétrospective des Chevaliers du Fiel. Moi, ça me tuerait en tout cas. Ajoutons-y tout de même un traitement de substitution. Le gars s'est élargi les narines, il faut bien y jeter quelque chose. Pourquoi pas l'extrême-droite, ça nous débarrasserait.
Bonne journée, oublie les faits divers, pense à ta retraite et à celle de ton voisin. Les vrais salauds nous gouvernent et décident pour nous. Palmade n'est qu'un pénible feu de paille.
Des biz à toi.
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