89 – 28 février 2023 – L'homme aux pieds palmés.

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J'avais 15 ans, je pense, la première fois que j'ai regardé le sketch de « la caserne ». Je l'appelle comme ça parce que mon intérêt pour Palmade ne dépasse pas un certain seuil et, manifestement, celui-ci se situe au niveau des pâquerettes – les petites, mortes et asséchées qui se retrouvent le bec dans la boue, puisque, visiblement, il n'y a plus d'eau. C'était ce sketch assez malin qui mettait en scène une confrontation entre un jeune appelé et le commandant de la caserne où il était censé effectuer son service militaire. Tout le comique reposait sur le décalage entre l'attitude de l'appelé, un personnage efféminé, sans gène, perclus de maniérismes langagiers et gestuels, persuadé, surtout, qu'il avait voix au chapitre et que son opinion comptait dans l'organisation de son « séjour » dans l'armée. Il se plaignait donc des repas, du rythme imposé, du clairon, des dortoirs, en somme tout ce qui constitue le charme du service militaire, mais toujours selon un angle que l'on décrira comme celui d'un consommateur éclairé, exigeant et se revendiquant implicitement comme homosexuel. Le sketch m'intriguait. Voici pourquoi.

Non, je ne riais pas. Je ne nierai pas quelque sourire ici ou là, mais rire à gorge déployée devant un guignol qui use d'une scène de théâtre comme d'un divan de thérapeute, je n'y parviens que devant les élucubrations de rares personnes parmi lesquelles je classe Desproges, Coluche et Devos comme les premiers de la classe. Les stand-ups américains, que la France semble avoir découvert sur le tard, m'amusent pourvu qu'ils envisagent une sérieuse remise en question des rapports sociaux, comme Lenny Bruce et Bill Hicks, plutôt qu'un simple rappel des constantes, des invariables et des clichés du couple. La pire accroche qui soit : « Vous avez remarqué que les femmes... » et blablabla. Ca marche aussi avec les hommes, les enfants, les prêtres, les chats, les politiques et tout ce que tu veux.

Palmade m'intriguait avant tout parce que je ne comprenais pas son personnage. On parle du début des années 1990 : skyrock, le rap, la fin du rock alternatif, Nirvana ne va pas tarder à débouler mais les Pixies sont encore actifs. « Touche pas à mon pote » à fait long feu et on n'a plus de nouvelles de Renaud depuis « Putain de camion ». Coluche est mort, Desproges est mort, Charlie Hebdo renaît partiellement via la Grosse Bertha et ne va pas tarder à revenir sous sa forme quasiment originelle, avec un Cavanna aux ordres de Philippe Val, un contresens de plus, et Choron exclu du projet parce que jugé ingérable – Choron ne se serait pas laissé faire. Cavanna était gueulard, sanguin, mais bonne pâte comme peu savent l'être. Choron gueulait par hygiène mais il cultivait la roublardise comme d'autres le chanvre clandestin, avec passion et sans amateurisme.

Quant au personnage de Palmade, je passe à côté, je l'oublie. Je ne sais pas pourquoi je vous parle de ça. De toute façon, je l'ai entendu hier à la radio, je l'avais déjà eu dans l'oreille deux jours plus tôt, et mon fil d'actualité Facebook ne cesse de me le renvoyer au visage : on retire sa statue de cire du musée Grévin, on décide de l'envoyer en détention préventive alors qu'il est encore à l'hôpital suite à un AVC, on le déclare potentiellement pédophile, et surtout remettons-en une couche un peu chaque jour, des fois qu'on oublierait que le type a fait quelque chose de grave. Quoi ? Je ne sais plus, j'ai déjà oublié, mais quand les infos de Radio France ont épuisé le sujet, l'autre jour, elles ont enchaîné sans complexe sur l'affaire Grégory sous prétexte que le grand-père du marmot vient de caner, tel un François Hadji-Lazaro dépourvu de bedaine, de violon, de talent.

J'ai pris ça comme un aveu implicite de la part de la rédaction : eh les gars, quitte à nous rouler dans la fange, ajoutons-y également une dose d'excréments, de la bile, du pus, des glaviots. J'ai éteint le poste à ce moment-là, des fois que la présentatrice enchaîne sur une rétrospective des accidents de la route les plus marquants de la décennie qui vient de s'écouler.

Revenons-en à ce personnage volubile, chargé de tics et d'intonations que le tout un chacun identifiera comme stéréotypées, ancrées dans un certain regard sur ce que devrait être une femme, et par extension un homosexuel. Parce qu'au fond, c'est tout l'intérêt du sketch. A aucun moment le mot n'est prononcé. L'auteur, à cette époque, n'a pas fait son coming out – c'est ça aussi les années 90 : l'omerta n'est pas encore levée. Il nie farouchement la rumeur et épouse même Véronique Sanson quelque temps après. Stupéfaction du vox populi : « Mais il était pas pédé, Palmade ? » Eh bien, ma foi, certains hommes parlent avec cette intonation sans pour autant s'enfiler leurs petits camarades.

Cette dernière formule (« les petits camarades » et non le verbe qui le précède, dont la grossièreté alourdit ici plutôt qu'elle ne dévoile, et oui, c'est fait exprès), Palmade l'emploie dans son sketch. Je ne me souviens plus de la formulation exacte mais le comédien jouait ainsi avec les clichés et s'amusait à contraindre le spectateur à se poser cette question : « Est-ce qu'il se moque des homosexuels en tant qu'hétérosexuel conscient de ses manières équivoques ou, au contraire, nous affirme-t-il en toute dérision qu'il est de la jaquette, qu'il veut en rire et que certains clichés le navrent , l'amusent tout autant, le réduisent, en tout cas, à une image-type dont le clampin se moque volontiers et en toute légitimité, puisque l'auteur même du texte le valide ? »

Ca fait une longue et pénible question à laquelle je n'apportais jamais qu'une réponse évasive, marquée par un désintérêt croissant. Lorsque Palmade et Sanson ont annoncé leur mariage, je m'en cognais la rate tout autant. J'aimais l'idée que l'homme aux pieds palmés ne corresponde pas aux clichés. Leur séparation, puis leur divorce ont relancé les rumeurs sur l'identité sexuelle du comique mais je ne suivais que de loin. Je n'avais tout simplement pas décidé si le personnage du sketch correspondait à un coming out déguisé.

Il s'est trouvé que oui, en définitive, et mon intérêt s'est émoussé. D'autres événements fondamentaux se sont déroulé depuis. Souvenez-vous : Benjamin Castaldi s'est retrouvé ruiné. L'horreur. Je compatis. Sans parler de la guerre testamentaire entre la veuve de Johnny et les enfants du même. Arg. Quelle chienlit. N'oublions pas le long combat de Nabilla contre l'absence d'intelligence, cette lutte reprise à leur compte par toute une batterie d'articles, d'émissions, de brèves, de flashes... Vaine lutte que la sienne et, de toute façon, la demoiselle en plastique a perdu : elle est restée bête à secouer la tête dans le mauvais sens quand on lui présente un éventail.

Ne perdons pas de vue le sujet du jour : Pierre Palmade a-t-il jamais été drôle ?

Non, ce n'est pas ça. Le minot vient de se réveiller, la maison se remplit de lumière parce que ma compagne passe de pièce en pièce pour éclairer de sa présence magnétique des endroits que je nimbais d'ombre pour hâter l'accouchement verbal – et oui, l'éclaircie survient aussi parce qu'elle appuie sur les interrupteurs déclenchant les volets électriques.

Excusez-moi donc, je me résume : la caserne, mes quinze ans, Charlie-Hebdo nouvelle mouture qui me comble à l'époque et me navre par la suite parce que ce n'est plus Cavanna qui dirige le tout alors qu'il détient le nom et qu'il meurt dans la misère, exploité, entre autres par Philippe Val et Cabu, retour à Palmade et son homosexualité présumée, nullement assumée, cachée, puis révélée au grand jour je ne sais quand.

Bah, je crois que j'ai tout dit. Je crois que j'en ai marre qu'on me parle de ce pauvre type dont je me contrefous. Sans haine, sans mépris, sans rien qui ressemble à un sentiment, sinon un minimum de compassion pour quelqu'un soumis à un acharnement médiatique. Mais même cet aspect-là de l'histoire, en réalité, ne m'atteint que de très, très loin. Je persiste à penser que si le même accident n'avait impliqué que des inconnus, nous n'en parlerions pas. Le ministre de l'Intérieur (notre joyeux clown violeur au QI négatif) déclare des trucs et des machins sans avoir lu un seul texte de loi et l'on me rabat les oreilles à chaque fois que je tombe sur France Inter à l'heure pile.

Et pendant ce temps, on réforme les retraites. Et pendant ce temps, le climat se détraque. L'Ukraine subit des bombardements d'un pays étranger dont seules la taille et les ressources militaires nous dédouanent d'une déclaration de guerre en bonne et due forme. Et Total engrange des bénéfices historiques. Et l'hôpital n'a plus les moyens de se foutre de la charité. Et les écoles sont un vaste chaos où les profs vont de burn out en dépression. Tiens, à propos. On a poignardé une prof à Saint-Jean de Luz. On a beau jeu de stigmatiser les banlieues, pas vrai ?

Palmade est passé du divertissement à la diversion mais je ne suis pas sûr que la transition fut volontaire.

Je vous laisse. Je vais voir ce qu'éclaire ma compagne et ce que mange le plus jeune.

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