92 – 8 mars 2023 – Ze Day Of Ze Woumann.
Chers internautes, lectrices, lecteurs, cher toi qui passes entre deux vidéos de chatons, deux barricades, deux banderoles, deux rendez-vous médicaux, deux séances de manucure, deux ce que vous voulez en réalité, je sais que ceci n'est qu'une page de néant qui s'infiltre dans les interstices de qui veut bien se poser cinq minutes pour lire sans se reposer les paupières.
Et oui, j'entame par une phrase longue parce qu'aujourd'hui, c'est la journée des femmes et la taille compte !
Ok, je viens de racler le fond du machisme et de me prendre de point fouet deux magnifiques points Godwin patriarcaux, sauras-tu les reconnaître ?
Soyons sérieux deux minutes, parce que je sens que je vais vous perdre avant même de vous avoir attrapés. En premier lieu, ceci n'est pas, comme il se dit nonchalamment à l'heure de l'apéro chez Jean-Jacques ou Robert, la « journée des femmes » mais la « journée internationale des droits des femmes ». J'y reviendrai parce que je viens de percuter que nous sommes peu, dans le monde, à l'appeler ainsi. Même l'ONU pèche par excès de misogynie paternaliste, mais passons – pour le moment – au deuxième point Godwin patriarcal, celui, beaucoup plus trivial, qui s'attache à la taille de certains organes dont certains s'accordent sur le point qu'il vaut mieux les avoir grands, gros, protubérants, bref, tu m'as compris, plutôt que petits, flasques et malingres.
Je ne développerai pas ce point avec la rigueur scientifique qui caractérise chacun de mes écrits, non parce que le sujet manquerait d'intérêt, mais pour de sombres raisons de montre qui tourne, de sablier qui se vide (ou se remplit, ça dépend du point de vue, et non ce n'est pas une métaphore politique, ni sexuelle bande de canailles), de cadran solaire qui s'assombrit.
Ceci étant posé, je connais des hommes qui jugent les femmes qu'ils croisent à la taille des nichons qu'elles arborent avec le naturel contrarié que leur autorise le regard des hommes, imposant, inquisiteur, et toujours impuni, et sans aller jusqu'à souscrire à cette attitude, je ne peux nier mon attirance contrariante pour certaines formes, certaines voluptés qui m'indisposent, m'émeuvent, provoquent un semblant de désir sans toutefois me contraindre à oublier que toute enveloppe flotte autour d'un même vide et que c'est ce dernier, en définitive, qui nourrit mon esprit. Pour tenter une reformulation plus claire – et susceptible de m'arracher les balles qu'il me semble me tirer dans le pied au fur et à mesure que j'avance dans ce texte mi-figue mi-raisin – non, la taille ne compte pas, pas plus que l'apparence, pas plus que rien tant que l'on se soumet à l'essentiel : quel que soit le sexe de la personne en face, quelle que soit sa dégaine, la gueule de son faciès, de son timbre de voix, de ses bourrelets, cette personne a droit au respect pourvu qu'elle ne cite pas Pascal Praud dans le texte, qu'elle vomisse Hanouna avec volubilité et sans pondération, qu'elle ne s'insurge point lorsque je m'empêtre dans des démonstrations hasardeuses où les phrases trop longues s'enchevêtrent en un sac de nœuds sémantiques dessiné par Gotlib sous cortisone.
Au delà des vannes sur les pénis volumineux et les poitrines rebondies, je m'attacherai aujourd'hui à tourner autour de cette étrange « journée des femmes ». Etrange, non parce que le mâle typique – celui qui pleure au fond de son lit à cause d'un pauvre 38 de fièvre ou qui s'arroge des médailles de participation aux tâches ménagères parce qu'il passé l'aspirateur ou enchaîné deux vaisselles dans la semaine – aura tendance à renâcler à l'idée de donner une journée aux femmes sous prétexte que « ben quoi, vous vouliez l'égalité, non ? Alors pourquoi une journée pour vous et pas une journée pour nous, gnagnagna ? », ni parce qu'une autre glorieuse catégorie de poilu soulignera cyniquement que « c'est contre-productif, koâ, tu comprends, une seule journée sur 365 dévolue aux femmes, ça ne fait que souligner le mépris institutionnalisé dans lequel nous les maintenons au sein de cette société qui ne les accepte finalement qu'en jupe et talons, ou en sportive déchaînée susceptible d'arborer des valeurs masculines qui blablabla... »
Non, cette journée est étrange parce que l'on ne sait toujours pas comment on doit l'appeler.
Si vous tapez sur Internet « Journée des femmes », vous allez tomber sur des tas d'appellations différentes. Ainsi, l'ONU parle de « Journée Internationale des Femmes. » Ok, je comprends la démarche. On valide l'idée que l'égalité des sexes n'est encore qu'illusoire sur la majeure partie de la planète et à tous les échelons de toutes les sociétés qui coexistent sur celle-ci, mais cette appellation – qui fait autorité, puisque c'est tout de même l'ONU qui l'emploie en premier chef – semble accorder une attention soutenue aux femmes sans pour autant évoquer les notions de droits, de justice sociale, d'égalité.
Il existe toutefois, au sein de l'ONU, une agence dite « ONU femmes », mais également appelée « Entité des Nations unies pour l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes », qui, elle, revendique l'appellation « Journée internationale des droits des femmes ». C'est ainsi, d'ailleurs, que nous avons choisi de l'appeler en France, de même qu'au Québec. Si vous vérifiez sur le site de l'Education nationale, vous tomberez sur la version « droits des femmes », ce qui me paraît tout de même plus cohérent que de balancer aux véritables représentants du sexe fort : « Eh les filles, c'est bon, c'est votre fête, fermez-la et acceptez ce bouquet. »
Entendue ce matin à la radio, Clémentine Autain a rappelé que le rapport sur l'état du sexisme en France demeurait alarmant, que les violences faites aux femmes avaient augmenté, que la tendance aux féminicides restait à la hausse. Ceci n'est pas la journée de célébration de la féminité, de la femme qui vibre et parfume l'atmosphère de son aura désirable. Ceci est la journée du rappel à l'ordre. Nous, les mecs, sommes en-dessous de tout. Je tiens à le répéter, à le souligner, à l'écrire encore et encore : nous ne sommes pas à la hauteur de notre potentiel.
Pour ma part, et je ne parle que pour moi, je suis pétri de complexes parce que j'estime que l'avenir de la littérature appartient aux femmes. Je sais que je maîtrise la plume et que si je m'efforçais de vivre pour écrire et écrire seulement, je serais un bien meilleur styliste. Mais pour raconter quoi ? Ce sont les femmes que l'on a muselées ces derniers siècles. Pas les couillons dans mon genre. Et s'il est une voix susceptible de nous parler autrement, elle est féminine, oui messieurs, et peut-être même pas hétérosexuelle. Saviez-vous que Mozart avait une sœur au moins aussi douée que lui ? Pourquoi, à votre avis, ne se souvient-on pas d'elle ? Saviez-vous que Voltaire avait plagié à plusieurs reprises une auteure de quelque temps son aînée ? Auteure qui connut pourtant le succès. Je dois relire le livre de Titiou Lecoq pour m'en aller repêcher son nom mais là, je vous avoue, je sèche, et c'est indigne de ma part, disons-le.
Les femmes vivent des drames du quotidien que nous autres mecs leur infligeons parfois sans effort. Il suffit d'un regard appuyé et vous leur volez un peu de bien-être. Alors imaginez lorsque vous dépassez la ligne et que vous osez un commentaire. Et ce ne sont là que des cas de figure bénins par rapport aux véritables agressions verbales. Il y a dix jours, le petit a demandé à sa mère si quelqu'un l'avait « embêtée » dans la journée. Elle nous a racontés deux altercations potentielles qu'elle a étouffées dans l’œuf en frôlant les murs et en accélérant le pas. Et c'était une journée « normale » selon elle.
En plus de ça, nous exigeons qu'elles nous maternent et nous consolent, « le repos du guerrier » et toute la panoplie culpabilisante si d'aventure la migraine s'en mêle et s'impose en tue-l'amour.
Quoi, je n'ai pas droit au cliché ? Vous croyez que je n'ai jamais la migraine ?
Bref, tout ceci manque de ligne conductrice. Je ne sais même pas si je veux rendre hommage aux femmes ou si je me contente de pérorer parce que ces réflexions hasardeuses, maladroites et incomplètes naissent d'elles-mêmes, comme germant secrètement dans leur coin d'ombre sous les sédiments les plus séditieux de ma personne. J'ai besoin de temps – beaucoup de temps – pour ordonner mes pensées et mener à son terme une véritable réflexion sur mon rapport à cette question. Je fais partie de ces imbéciles qui se disent pro-féministes et qui se contemplent dans un miroir en oubliant que celui-ci ne leur renvoie qu'un reflet inversé. Il faut oser se regarder dans l’œil de l'autre et j'essaie, ma foi, j'essaie vraiment.
Les annonces d'Elisabeth Borne me passent en revanche au-dessus de la raie du crâne. Ce gouvernement parle beaucoup mais rien ne se concrétise jamais. Là où il faudrait des moyens pour appliquer des lois, pour former des flics conscients de leur foutu machisme viril, là où il faudrait mettre en avant une éducation sexuelle tournée vers l'ouverture et la compréhension, le gouvernement rogne sur les budgets, dévore les économies de l'Etat et gère le bien commun comme un portefeuille d'actions. Ce gouvernement n'a rien de féministe et le sexe féminin de son premier ministre ne me convaincra jamais du contraire.
N'oublions jamais que Marlène Schiappa fut en son temps chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations. Pour paraphraser celui qui se voudrait un grand homme : « Je ne dirais pas que c'était un échec. Je dirais que ça n'a pas marché. »
La biz à toi qui lis et à bientôt.
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