97 – 21 mars 2023 – Période Tintin
Les enfants, clamons-le, sont des artistes. Leur imagination les plonge dans un univers éminemment coloré, où chaque mur engendre une ribambelle de portes, de fenêtres, de portes-fenêtres, lucarnes et œils de bœuf, meurtrières, puits de lumières, cheminées et aérations. Un simple bout de bois renvoie à une collection hétéroclite d'objets variés, parmi lesquels on distinguera les armes de toutes sortes (pistolet, fusil, arc et/ou flèche, dague, épée, glaive ou sabre, bâton de combat, lance ou hallebarde), les baguettes magiques, les cannes des Dupont/Dupond, la tige permettant de lire une carte ancienne avec l'aide d'un médaillon et des rayons du soleil dans les « Aventuriers de l'arche perdue », et encore des tas d'autres trucs qui m'ont effaré à chaque fois que le petit me les tendait, en plein délire imaginatif, et me disait, sur le ton de la conversation :
« Vas-y attrape le cric, faut qu'on change la roue.
- Le cric ? Ce bâton ?
- C'est un cric, Indy. Dépêche-toi, Garmadon est à nous trousses. »
Oui, parce que l'une de nos spécialités c'est le crossover : Indiana Jones fait équipe avec le ninja vert, Spirou rencontre Nick Fury, Captain America et Actarus combattent des skrulls alliés à Véga... Le plus difficile, pour votre humble et heureux narrateur, reste le personnage de Harry Potter. Je ne sais pas le gérer. La magie m'emmerde et je ne goûte point ce monde d'heroïc fantasy un peu trop tendre et enfantin, où la disruption du réel n'étonne personne et où la terreur n'a pas lieu d'être. L'étrangeté, selon moi, surgit au détour du sentier que tu connais par cœur, celui où il ne se passe rien. Un jour, une nuit, va savoir pourquoi, le sentier se tord dans un sens inattendu et tu te retrouves à marcher sur les nuages avec l'assurance d'une palombe dorée. Tu peux choisir l'émerveillement – c'est le choix du nombre, dirais-je, si j'en crois la popularité du jeune sorcier binoclard. J'aime mieux l'angoisse, la peur, le sain frisson de celui qui affronte le diagnostic avant peut-être, un jour, d'en déceler la cause.
Les artistes ont leurs périodes. Cubiste, bleue, pointilliste, surréaliste, c'est à l'artiste de voir. Eh bien Milo entre dans sa période Tintin. Il se balade avec un faux Lüger (ou alors c'est un Browning, je ne suis pas connaisseur en la matière) parce que le reporter du « Petit Vingtième » affectionne ce type de pistole. Il court partout en hâtant son chien Milou. Il cause en onomatopées : « pan », « clic », « aïe », « crac », et je touche du bois pour qu'il retourne d'ici peu dans sa période « De cape et de crocs ». Ses alexandrins m'amusent davantage que cette espèce d'hommage permanent au « Comic Strip » de Gainsbourg !
Je dois te laisser. Il est l'heure de le ramener militer dans l'enceinte scolaire.
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