100 – 22 avril 2023 – Comme une oie blanche.
J'hésite à entreprendre la rédaction de ce texte. L'enjeu est immense. C'est la centième entrée du « Journal d'un monde qui s'achève en traînant la patte », étrange objet littéraire, si l'on veut, que je n'ai pas alimenté depuis près d'un mois. Si j'étais Beigbébé, sûr qu'on m'attendrait au tournant.
Je ne suis rien ni personne, une goutte de pluie dans un ciel anglais. Le besoin d'écrire me presse davantage à certaines heures et je dois dire qu'il m'a moins taraudé depuis un mois. Il y a eu quelques chansons, des paroles pour d'autres, que vous entendrez ou non. Il y a eu un espoir immense que la guerre civile éclate et que la révolution s'amorce dans la douleur et le sang, parce que c'est ainsi que se déroulent les révolutions. Je n'ai rien contre Brassens, j'aurais même plutôt tendance à l'admirer pour mille et une raisons, mais « Mourir pour ses idées » ne fonctionne pas aussi efficacement que semblent le penser tous ceux qui s'en revendiquent pour justifier non un refus d'engagement, mais bien une paresse intellectuelle. Brassens était un anarchiste libertaire, probablement misogyne, mais généreux envers les putes qu'il consacra dans « la Complainte des filles de joie » dans un monde où le mot pute reste une insulte et où les femmes le subissent encore et toujours comme une marque d'infamie. Tout ça pour dire que Brassens était lui-même un artiste engagé, à sa manière narquoise, désinvolte, apatride et dégagée. Comme un Desproges – dont seuls les vrais cuistres prétendent encore ignorer qu'il était de gauche – ou un Zappa, dont l'étiquette politique conservatrice contredisait ouvertement chacune des idées qu'il a pu évoquer en chanson ou en interview.
Alors oui, j'ai passé un drôle de mois à regretter de n'habiter Paris. Je fantasmais sur les récits de mon aîné, lequel n'a pas hésité à se jeter dans la mêlée, échappant toutefois à une garde à vue ou un mauvais coup, il paraît que ce sont des choses qui arrivent. « Bon, on a pris un peu de lacrymo dans la gueule, mais ça va... » Toute la famille est fière du rejeton. Y compris ses grands-parents, tous des vieux gauchistes, ex-soixante-huitards, Mao ou LCR. Sans parler de ma mère, l'exilée politique. Je gage que mon géniteur lui-même écraserait une larme furtive à l'idée d'un petit-fils lanceur de pavés.
J'ai travaillé aussi. Guitare, basse, MAO, figuration sur « Demain nous appartient. » C'était une journée bizarre, jeudi 13 avril, jour de manif, et nous étions une bonne vingtaine de figurants, en plus de l'équipe technique, à tourner des scènes rédigées entre deux pétards par des scénaristes inaptes devant le palais de justice. On nous a dit : « La scène se déroule au printemps. Il est donc censé faire beau et chaud. Alors vous m'enlevez vos vestes. » J'ai rigolé : eh les gars, on EST au printemps ! Sauf qu'on se les gèle et là, si je ne me trompe pas, je pense qu'il va pleuvoir.
Avec Laurent, un autre intermittent (et accessoirement bassiste également pourvu d'une tendinite, ce sont des détails qui rapprochent les gens, n'est-ce pas), on s'est amusé à compter les différents types de lumière : soleil, pas de soleil, du soleil mais pas trop, oh il pleut... On a eu toutes les ambiances, je n'attends qu'une chose : voir cet épisode pour repérer tous les faux-raccords dus aux changements de lumière.
Pour le reste, je n'ai pas pu en profiter pour écrire alors j'ai amené non pas un mais deux livres. Ca n'a pas loupé : « Qu'est-ce que tu lis ? Pourquoi tu lis ? Tu vas lire combien de livres ? » J'ai fini par répondre à la cantonade : « Chers collègues, on peut passer la journée à râler parce qu'on est payé à rien foutre et traités comme les larbins des larbins, ou être payé à lire, ce qui rend vachement plus supportable le fait d'être traité de larbin par le valet du majordome. » Les responsables de la figuration ont légèrement tiré la gueule, Laurent s'est marré, un autre figurant a sorti sa liseuse.
Le soir, j'ai joué un morceau au JAM. Je devrais prendre le temps de raconter, emberlificoter, broder, décorer, mais il est minuit 36 et ma compagne et moi avons acté une séparation effective. Provisoire ou non, elle sera durable et je regrette déjà d'avoir entamé ce texte. Je crois que j'ai plutôt envie d'écouter du Mingus ou de jouer de la basse sur une boucle fauchée à Cubase. Mais le JAM, tout de même, bigre de bigre, c'était quand même quelque chose !
Pour la première fois de ma vie, je montais sur scène seul à la guitare (avec deux harmonicas dans le porte-harmo à cause d'une modulation pendant le pont instrumental, pas forcément une bonne idée). Je n'ai joué qu'une chanson mais je l'avais écrite et composée quinze jours plus tôt. Exprès. Je ne sais pas si j'aime le défi ou me tirer les balles dans le pied mais j'ai relevé le premier et j'ai réussi à bien viser le second. Evidemment, mon jeu de guitare n'avait aucune solidité. La rythmique – une sorte de bossa, je crois – était bancale et il y a ce fichu mi mineur 7 bémol 5 que je n'arrivais pas à enchaîner. Le texte, je croyais l'avoir oublié, la peur du trou de mémoire qui vient te pousser du haut de la falaise parce que tu as omis de passer la corde dans le mousqueton. Alors je l'ai rédigé à la va-vite sur des ordonnances qui traînaient dans mon sac à dos – ordonnances que j'ai évidemment oubliées sur le pupitre que m'a gracieusement fourni Michaël, l'ingé-son et programmateur du JAM, alors maintenant tout le monde sait que je prends du Xanax. Ah bravo.
Cela dit, j'ai chanté la chanson jusqu'au bout, j'ai chanté juste, j'ai joué un solo d'harmonica qui m'a attiré des applaudissements, j'avais de quoi être fier. Je ne l'étais pas, hein, faut pas croire. Je l'aurais été si j'avais improvisé le texte sur une musique apprise la veille. Là, je suis juste heureux d'avoir réussi à dépasser quelque chose. Il faut encore que j'identifie quoi précisément mais je n'ai que 47 ans, que diable, il me reste encore heu... bref, passons.
Surtout, cette soirée était organisée de façon à laisser leur chance aux élèves du JAM qui souhaitaient se produire sur scène. Il y a eu des reprises, beaucoup de compositions personnelles, et une putain d'émotion que je ne sais même pas dans quel lexique piocher pour te dire à quel point les mots me manquent. J'étais évidemment le doyen. Le vieux de la vieille qui essaie un truc et qui ferait mieux de se payer un psy plutôt que d'afficher sa thérapie sur scène. Mais les autres, nom d'une pipe en bois ! Je ne parle pas de talent, de travail, de génie, de maîtrise, de technique, de feeling, ou de rien de ce niveau. Je parle de personnes parfois très jeunes (il y avait même un gamin de seize ans) qui se fixent un objectif et foncent droit devant en se contrefoutant de ce que va penser le pékin moyen. Je n'ai vu que de la beauté sur scène ce soir-là. Des chrysalides en voie d'éclosion. Je pense que cette soirée restera probablement l'un de mes plus beaux souvenirs de scène.
J'ai d'ailleurs également accompagné un jeune homme talentueux, Sébastien. Il chante d'une voix d'or avec un très léger grain dans le fond de la gorge, suffisamment pour qu'elle ne sonne pas comme quelque chose de lisse et onctueux. Sa musique est accrocheuse, son texte excellent. Nous en avons une version enregistrée et, avec son autorisation, je la mettrai en ligne. Sur scène, je me suis fendu d'un solo sur un harmonica Lee Oskar en mi mineur. J'ai essayé de sublimer un morceau que je trouve déjà sublime et j'ai tenu à rappeler au public que Sébastien en était l'auteur-compositeur. J'espère qu'il gagnera la tremplin et j'espère qu'il tirera son épingle du jeu.
Et à part ça, Blanche Gardin me casse les couilles.
Oui, je sais, ça tombe comme un cheveu gras dans la soupe aux asperges, encore faut-il se payer les asperges.
Je vais donc reformuler au mieux de mes capacités de branleur vivant une séparation pour le moins récente et pour qui l'heure tardive commence tout de même à peser une lichette.
En lisant les arguments de Blanche Gardin, je suis plutôt d'accord avec à peu près tout ce qu'elle dit. A peu près. Quand elle commence à parler de ses films en tant que réalisatrice et de son espoir de voir ses films sortir en salle, je me gausse tout de même un petit peu puisqu'elle bosse sur une série Canal, appartenant à Bolloré, dont on sait pertinemment qu'il se branle des salles de cinéma comme il se branle de tout le reste pourvu qu'il puisse encaisser ce qu'il encaisse tout en facilitant la propagation d'idées d'extrême-droite via C-News, Zemmour, Hanouna, et diverses autres merdouilles rampantes dont je tairai les noms parce que je ne les connais pas vu que je n'ai pas la télé.
Ce qui me dérange, en réalité, c'est que Blanche Gardin crache dans la soupe. Elle fait partie d'un système qu'elle prétend dénoncer. Alors, certes oui, il y a de la punchline et de la formule bien troussée, mais elle me fait penser à certains branleurs qui tenaient absolument à s'afficher avec la bande à Coluche, Renaud ou Goldman via « SOS Ethiopie » ou les Restos du cœur pour vendre des disques et des DVD. Blanche Gardin a réalisé un seul objet filmique : « La meilleure version de moi-même ». Pour Canal +. Pour Bolloré. Elle y joue son propre rôle. Excusez-moi mais ça ne me donne pas envie. J'ai encore souvenir de « Problemos », film d'Eric Judor dans lequel elle joue et co-scénarise. Sous couvert de second degré, on ridiculise les espoirs des activistes écolos, des visions d'un autre monde, en d'autres termes, Blanche Gardin professe tranquillement des idées réactionnaires dans des films pour de rire qu'elle contredit dans un coup d'éclat en s'adressant à Bezos PARCE QU'ELLE PEUT SE LE PERMETTRE.
Blanche Gardin se moque dans certaines vidéos de Mona Chollet, autrice de plusieurs livres féministes que je recommande chaudement aux hommes comme aux femmes, parce qu'ils sont justement généreux, emplis de doutes, et pourtant factuels, précis, sans concession. Blanche Gardin se moque de la notion de l'étranger, ce sauvage exotique qui vit loin de chez nous et dont on ne peut qu'attendre qu'il se comporte en sauvage dans un sketch qui s'appelle « les Sacahuevos », ou quelque chose dans le genre, parodiant les émissions d'Alexandre de Tassigny ou de Frédéric Lopez, mais dans un registre odieux qui flirte avec le racisme. Et en plus, c'est banal, éculé, tellement éloigné de ce qu'elle est capable de balancer dans ses one-woman shows...
Que dire de l'indécence de celle qui dénonce l'indécence parce qu'elle refuse de gagner 200 000 euros en une journée de travail ? La dignité, il faut parfois pouvoir se la payer, ma petite oie blanche, la vertueuse, la grande défenseure des pauvres et des opprimés. Blanche Gardin, c'est Gainsbourg brûlant un billet de 500 francs sur un plateau de télé, sauf que là, c'est du réchauffé, du déjà-vu, et il n'y a là rien de digne de la part de quelqu'un qui bosse pour Bolloré.
Quand à Bezos, mais qu'il m'appelle, j'y vais à son jeu de con, je prends la thune et je fous mes gosses à l'abri. En ce moment, dans mon frigo, il y a l'équivalent du niveau de décence que je décèle chez Blanche Gardin : nib.
Sur ce, je t'embrasse et t'abandonne à Morphée.
Demain, je cracherai sur Raphaël Enthoven.
Post-scriptum de dernière minute, un petit tour sur la page de Blanche Gardin pour se rendre compte qu'elle clame son soutien à Bastien Vivès, dessinateur de BD pour le moins problématique dont les oeuvres sentent la pédophilie à plein nez et débordent de male gaze. Qu'attendre d'autre de la compagne de Louis CK, lui-même coupable d'exhibitions masturbatoires qu'elle a défendues sur le ton du oh ça va, on va pas en faire une raclette. Texto : « Le fait qu'on puisse mettre dans le même sac un producteur qui viole des actrices et un mec dont le fétichisme, c'est de se masturber devant des femmes en leur demandant s'il peut le faire, ça veut bien dire qu'il y a un gros problème de nuances dans notre société moderne ». (Télérama, 8 janvier 2018) Le fait qu'on admire un homme susceptible de se masturber devant des actrices dont il est le producteur (rappelons que Louis CK n'est pas juste un comédien lambda, il a le pouvoir de virer les actrices dont il est question) témoigne surtout du fait que Blanche Gardin est totalement à côté de la plaque. L'ostentatoire soutien à Vivès semble dès lors couler de source.
Allez cette fois, c'est bon, j'arrête.
N'empêche qu'elle me gonfle, la Blanche.
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