101 – 23 avril 2023 (mais ça se joue à un quart d'heure) – Ecriture automatique sous contrainte chronologique : dix minutes.

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Principe de base. Je clos mes paupières un instant. Disons quelques secondes. Je me tourne et retourne et rouvre les yeux de façon à faucher un objet au hasard de mon premier regard.

Daniel est l'heureux vainqueur de ce concours douteux. C'est le nom que j'avais donné à une peluche, un chien sans gueule, sans bouche ni sourire, juste un menton/museau volé à Snoopy lorsque Schulz le dessine avec l'air concentré, mutique du chien qu'il n'a jamais été. Le mien porte encore son t-shirt vert arborant l'inscription « Je vends du chocolat Lindt ». Le machin a plus de quarante ans et la phrase se lit comme à travers un filtre flou et brouillé à l'éther.

Il porte beau malgré la poussière et le pelage terne des vieux tissus que plus personne ne caresse, que plus rien ne froisse, coiffé d'une chapka orange tirant vers le rouge que j'aimais porter en début de concert à l'époque où Millenco nommait un groupe et non mon douteux alter-ego. Juché entre l'immense édition Deluxe du Webster's Unabridged Dictionary et quelques vieux Ludlum ayant appartenu à mon père, il se tasse un peu sous ses épaules voûtées de canidé dénué de squelette.

Il me fut offert par la seule personne que j'ai appelée Mamie. Il semblerait que nous agissions tous plus ou moins de la même façon. Nos parents et beaux-parents héritent de petits noms distinctifs. Pour moi, c'était facile. J'avais une grand-mère au Chili que je ne voyais jamais et que j'aimais comme on aime un rêve qui revient nous voir de temps en temps. C'était la « Yaya », ou plutôt la « Yayita ». La mère de ma mère. Il y avait la « abuelita », en Espagne, un peu plus sur la retenue, mais une vraie grand-mère à l'ancienne. Le genre qui t'offre des biscuits dès que ta mère a le dos tourné et qui te prépare des crêpes TOUS LES JOURS. Elle portait son uniforme de vieille dame, une blouse informe dont j'ai oublié les couleurs, mais je l'aimais comme un rêve qui s'installe et te console au détour d'un cauchemar qui tournait trop vite. C'était la mère de mon père. Elle avait été franquiste tendance royaliste dans sa jeunesse, mon père le lui fit payer en faisant de la taule pour trafic de cocktails Molotov !

Et il y avait « Mamie », la maman de mon deuxième père, celui qui ne se posa jamais la question de savoir si j'étais né de son sang ou s'il m'avait pioché dans le ruisseau. Je sais de qui il tient cette générosité tranquille, discrète, presque pénible à force de se cacher dans les lézardes. Ma mamie était une fervente catholique, une de ces vieilles dames dont on n'hésitera pas à médire qu'elle tient la jambe au curé et qu'elle a un peu trop tendance à se vêtir comme dans ces clichés en noir et blanc qui font pleurer les enfants de quatre ans quand ils se lèvent la nuit pour aller pisser dans cette maison aux hauts plafonds, aux lames qui grincent, au papier peint fleuri. Sauf qu'elle méritait, ma mamie, que je lise la Bible pour elle. J'avais huit ans et je me la suis fadée parce que je voulais qu'elle m'aime. Je n'avais pas besoin de ça. Cette femme était une gemme et un cœur d'or et c'est à elle que je pense ce soir en lorgnant ce bon vieux Daniel de mon œil droit. C'était la mère de mon deuxième père et je l'aimais comme le rêve qui te prépare à l'éveil.

Je te laisse avec ça parce que j'ai dépassé mes dix minutes imparties et ça c'est mal.

Bonne nuitée et vive le chocolat Lindt.

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