106 – 6 juillet 2023 – Vive l'été.
Oh que oui.
Vive l'été et son bilan carbone, ses plages bondées, ses litres d'huile solaire déversées dans la flotte polluée au pétrole ; et à l'urine, gavée de bouffe synthétique ; et aux ordures vomies dans les égouts ; et, n'ayons pas peur du mauvais esprit, aux migrants que l'on laisse hardiment se noyer au nom du protectionnisme et de la défense de la culture européenne, celle qui se gave de télé-poubelle et lit du Beigbeider ou du Houellebecq entre deux dunes, alors que le dernier Stephen King reste tout à fait gouleyant.
Vive l'été et les lois passées en douce sur le dos des gueux qui soufflent après une année d'esclavagisme, une année de désillusion durant laquelle l'élite, la crème, le top du top de cette société à étages dont on n'aperçoit plus la mezzanine tant on a creusé l'écart entre ceux qui vivent dans les nuages de l'Olympe et ceux qui grattent la terre entre les dents, année durant laquelle, disais-je avant de m'interrompre moi-même à grand renfort de logorrhée socialiste – et j'en appelle à Jaurès, bigre de bigre en sauce de synthèse, certainement à Delgado ou je ne sais quel cacique vivant dans sa tour d'ivoire – nos dirigeants surpuissants leur ont rappelé à grands coups de mépris social, verbal, politique, policier, judiciaire, combien est vaste la frontière qui les sépare. Il y a l'aristocratie au pouvoir, avec ses réseaux, son argent, ses copinages éhontés, sa gestion à la yeeha-badaboum d'un pays en crise, et il y a la masse, la populace, des couches sociales en voie de paupérisation qu'on a dressées les unes contre les autres en appuyant sur les boutons racisme, mépris, peur, colère, manque et famine.
Vive l'été, diantre, et sa surconsommation passée au filtre du soleil qui tape et de la farniente institutionnalisée. Va festoyer, va boire des coups, allonge-toi, ne fais rien, glandouille, surtout ne réfléchis plus. Passe l'été à râler sur combien on se fout de ta gueule, sur comment ils ont réduit au silence la seule émission de radio susceptible de porter une voie divergente dans un paysage radiophonique vendu aux puissants. Achète des magasines avec des filles en bikini, remplis des pages de tests sur la drague à la plage et l'échangisme comme projet de vie, coche des petites cases, dessine des petites croix, entraîne-toi, bientôt ce seront des croix gammées. On te les vendra sur des agendas, des porte-clefs, des t-shirts et des stickers. Tu les verras de toutes les couleurs et de toutes sortes, et certains flics se l'épingleront sur l'uniforme.
Vive l'été et la grève du cerveau, la pause, la parenthèse, ce moment privilégié pour les gouvernements de tous les pays, parce qu'ils ne prennent leurs vacances que quand ça les arrange. Tu vas les sentir passer, les lois sécuritaires, il y en aura d'autres.
Vive l'été et sa chaleur écrasante, et le sempiternel « fait chaud » que répètent trois cent soixante-quinze fois par jour ceux que délaisse l'imagination. Vive l'été et ses feux de forêt, ses jungles consumées, ses pyromanes imbéciles qui se prennent pour des génies parce qu'ils aiment voir les flammes se répandre. C'était horrible l'année dernière, cette année sera pire, mais moins que l'année prochaine. Bienvenue dans l'avenir, mes chers amis. Bienvenue dans un film dont on ne ressort pas vivant.
Vive l'été et ses rivières polluées, ses montagnes bondées, ses accidentés de la route, ses péages en file indienne.
Pas le temps d'écrire davantage mais j'avais envie de ce coup de sang.
Je m'en vais bronzer tranquillement maintenant. A l'ombre nocturne de mon bureau ventilé.
Je t'embrasse, passant qui passe, et te dis à bientôt.
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