107 – 21 juillet 2023 – Dans le train pour Barcelone.

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J'écris ceci à bord du TGV de la Renfe reliant Lyon à Barcelone. Je rêvais du Talgo mais je gagne au change. Les Espagnols ont le sens du confort et le moindre de leur petit tortillard enterre n'importe quel TGV flambant neuf made in « Chez nous ». Je suppose qu'ils ont une revanche à prendre. Les anciens crevards qui rencontrent l'opulence, ça se comporte un peu en nouveau riche, je t'apprends rien. Eh bien disons qu'on a fini par passer de « Cria Cuervos » au siège ajustable en quatre positions avec prise USB intégrée.

Je me souviens encore de ce voyage entrepris à l'âge de mes dix, onze ans, au milieu des années 80, alors que la démocratie était encore jeune et fragile et que les infrastructures, transports, bâtiments fleuraient bon le déclin du franquisme avec ces images d'Epinal qu'on a tous croisés dans l'un ou l'autre film : de la crasse, de la poussière, des murs ébréchés. Ca fait une heure que l'on roule et le train ralentit peu avant de passer la frontière. Il ralentit lentement, tranquille comme qui dirait en sifflotant, pour s'arrêter enfin au point mort en rase campagne. La voix du conducteur s'exprime dans ce castillan dur et haché des vrais Espagnols d'antan : « Veuillez descendre, ce train n'a pas de freins. »

On a attendu une bonne demi-heure sur le bas-côté, mon père, ma belle-mère et deux cents autres voyageurs qu'un deuxième train vienne nous chercher. Souvenir d'un autre temps.

Voyage en famille chez la famille. Quatre jours dans la ville qui me vit naître, puis une petite semaine sur l'île de Ménorque. A l'heure où tu liras ceci, nous serons déjà revenus et je serai occupé à soigner mes coups de soleil et à maudire ces putains de moustiques ibériques qui m'auront probablement gâché une partie des vacances.

Premières vraies vacances depuis des lustres. J'ai certes glissé quatre harmonicas dans le sac de voyage – on ne sait jamais –, je me suis muni de carnets, de stylos, de livres. Mais pas de guitare, encore moins de basse, pas d'ordinateur. Il faut savoir se priver, dit-on, pour jouer les vacanciers heureux de cuire en bord de plage.

Peut-être me jugera-t-on soupe-au-lait mais sorti de l'enfance, je n'ai jamais vraiment apprécié l'idée de vacances. Il s'agirait, aux dires de la majorité des gusses qui en rêvent toute l'année, de ne rien branler et de boire des coups au soleil, mais à l'ombre un peu quand même, parce que mince, fait chaud.

Ne rien faire me coûte. L'oisiveté ma pèse presque autant que le travail inutile, imposé, répétitif, sous-payé. Hors de question de bronzer sans un bon livre. Lire, c'est faire. Quoi, précisément ? Le tri. Lire, c'est faire le tri dans son imaginaire, de la place dans les cases-mémoires, aérer les circuits, alimenter la batterie.

Je refuse également les longues séances de biberonnage mondain avec des amis sur des terrasses remplies d'alcoolique qui s'ignorent. Amis ou non, j'ai l'impression de perdre mon temps, celui-là même qui file si vite. J'ai besoin d'écrire, de jouer, de composer, d'apprendre, de lire, d'enregistrer. Ce séjour en famille, nous le méritions tous après sept ans de Barbiches. J'étais devenu le standard téléphonique du groupe. 24 heures sur 24 à n'importe quelle période de l'année. Il m'est arrivé de décrocher le combiné pour négocier une date alors que j'avais le cul dans l'Hérault lors de l'étape d'une descente en canoë. Les Barbiches se draperont dans leur robe de vertu outragée en déniant toute responsabilité mais nous serions passés à côté de nombreux concerts si j'avais suivi le mouvement et escompté que l'un ou l'autre de mes collègues réponde à ma place.

A ma droite, Milo joue à la Switch le calot de Spirou enfoncé sur sa tête blonde. Ma compagne et sa fille (ma demi-fille dirons-nous) sont assises quelques sièges plus loin et mon aîné s'est installé dans le wagon voisin. Les joies de la réservation en ligne cachent-elles une métaphore facile de la notion de famille recomposée ? L'humour noir me titille.

Au fait, Jane Birkin est morte et je n'en ai rien à cirer. Je n'éprouvais rien pour elle. Je n'aimais ni sa voix, ni son jeu d'actrice, n'ai jamais retenu aucune de ses chansons, et celles que Gainsbourg lui écrivit ne me touchaient guère. De toute façon, Gainsbourg ne me plaisait pas. L'homme était une crevure et son génie très relatif, pour ne pas dire une escroquerie.

Je trouve regrettable, en revanche, que le décès de Birkin fournisse aux médias l'occasion de ressortir les archives photos, oh le couple mythique des années soixante et soixante-dix, oh ce Gainsbourg, quel talent, quel maître... quel connard, oui !

Les réactions lambda du pékin moyen m'ont paru souligner à quel point la femme-potiche des sixties constitue une figure de référence pour la populace. Peu ont souligné que Birkin n'a pas quitté son enflure de Serge sans raison : coups et blessures, torture mentale, emprise, humiliations en public.

Je n'ai jamais aimé le personnage. Dans n'importe quelle famille, on l'aurait appelé « papy poivrot ». Merci à Jean-Claude Vannier, merci aux arrangeurs et aux musiciens anglais de Melody Nelson – ceux dont les noms n'apparaissent pas sur la pochette, oui-oui, tout à fait.

Bon, à part ça, Gabriel Attal – celui que j'appelle « hernie » dans le dedans de ma tête – est nommé ministre de l'éducation. Le gars n'a jamais approché une école publique de sa vie et il va gérer l'Education nationale. Son programme, je le vois venir : réductions de budget, baisse du nombre de profs, servage imposé aux contractuels et aux titulaires naïfs ayant apposé leur signature au bas du fameux Pacte. Qu'attendre d'autre de ce type pour qui le terme lèche-bottes semble avoir été inventé ? On a supprimé les Rased, réduit le nombre d'AESH, fusionné certaines écoles pour économiser les postes de directeurs, et j'en passe.

Le maire de Montpellier a supprimé les bus réservés aux sorties scolaires. Désormais, les classes useront des transports en commun, et tant pis pour les écoles situées en périphérie. Le temps de trajet n'est pas le même que tu sois en centre-ville ou en pleine banlieue. Que les enfants de la Paillade aillent au diable et les petits blancs du centre-ville visiteront le Musée Fabre. Cette société m'horripile de plus en plus.

Allez, je vous laisse, le sommeil me gagne. Cassez en paix et vivement l'effondrement.

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