Chapitre 4
757ème année de l’ère de La Rose Blanche
Dans l’immense salle de bal du palais, la fête battait son plein. Les couples valsaient au rythme de la musique. Les jeunes demoiselles discutaient des derniers potins de la cour. Les hommes parlaient affaires. Certains riaient, d’autres préféraient se concentrer sur le buffet. Quelques personnes s’étaient éloignées de l’agitation pour prendre un peu l’air sur le balcon. Tous étaient enivrés par l’ambiance festive et les divertissements. Personne ne remarquerait que l’invité d’honneur s’était absenté.
Lucille s’éclipsa de la salle de bal, veillant à ce que personne ne la repère. Une fois certaine que personne ne la regardait, elle empoigna fermement les jupons de sa robe lilas et se mit à courir dans le jardin. Elle crut un instant être découverte lorsqu’elle passa près d’un couple, mais fut de soulagée de voir que les deux amants étaient trop occupés à flirter pour remarquer sa présence. Elle continua sa route jusqu’au mur de lierre derrière lequel se trouvait le jardin de Noël. Cathy la sermonnerait certainement à son retour, mais elle tenait vraiment à le voir ce soir-là. Ce n’était pas seulement son anniversaire aujourd’hui, pourquoi devait-elle être la seule à le fêter ?
Elle avait appris la vérité exactement un an après sa rencontre avec le garçon. Ce jour-là, elle avait profité de l’absence de sa gouvernante, une chance rare qu’elle n’avait pas laissé filer, pour aller jouer avec son ami... Pour le retrouver calmement assis sur les genoux de la jeune femme qui discutait amicalement Roland. La gouvernante, qui prévoyait de tout lui dévoiler après sa cérémonie de passage à l’âge adulte, avait été contrainte d’avancer ses plans. Une fois le choc passé, cette nouvelle n’avait fait que les rapprocher encore plus. Lucille venait à présent le voir tous les jours, dès qu’elle avait un peu de temps libre, pour s’amuser avec lui.
Elle fouilla un buisson non loin de la porte, celui-là même où elle avait caché ses petits cubes lorsqu’elle avait rencontré son frère, pour en sortir le petit paquet emballé quelle avait caché là avant la fête. Puis, avec la clé que lui avait donné Roland le matin même, elle ouvrit la porte, sans un bruit, se glissa discrètement dans le dos du garçon, absorbé par sa lecture, et couvrit ses yeux et dit en rigolant :
« Devine qui c’est ?!
- Lu-lucille ? »
Le petit garçon détourna aussitôt son attention du livre pour regarder la princesse.
« Et oui !!!
- Mais qu’est-ce que tu fais-là ? C’est ton anniversaire aujourd’hui, tu devrais retourner à la réception.
- Mais je m’ennuie là-bas, s’exclama-t-elle avec une moue boudeuse. Les adultes discutent de choses compliquées, et Père et Mère sont trop occupés avec les salutations, et comme je ne suis encore qu’une enfant, je n’ai même pas le droit de danser. Et dois-je te rappeler que c’est aussi ton anniversaire aujourd’hui frérot ?
- Oui, mais... Je ne sais pas si ma naissance mérite vraiment d’être célébrée...
- Et bien moi je dis que si ! Tadaaaaa ! J'ai même un cadeau pour toi ! Ajouta-t-elle en montrant le petit paquet.
- Q-Quoi ?!
- Et ce n’est pas tout ! Faites du bruit pour... Le gâteau !!! »
Ce fut ce moment que choisit le vieux jardinier pour faire son entrée. Vêtu du costume des serviteurs, il tenait d’une main, l’air très digne, un plat argenté surmonté d’une cloche de fer. Face au visage stupéfait de Noël, ses lèvres formèrent un sourire amusé. Lucille, quant à elle, était déjà au sol, secouée d’un fou rire incontrôlable.
« Papa ?! Mais qu’est-ce que tu portes ?!
- Que pensez-vous de mon imitation de valet, jeune maître ? Dit-il en déposant le plat sur la petite table en fer blanc.
- J-jeune maître ?!
- Oh mon dieu, parvînt à prononcer la princesse entre deux éclats de rire, je... Je ne pensais pas que tu le ferais vraiment, haha !!!
- Rah, je le savais, cet accoutrement ne me va vraiment pas.
- Tu n’auras même pas tenu le rôle une minute, rabat-joie ! Rigola Lucille en lui tirant malicieusement la langue.
- Mais depuis quand son Altesse est-elle si insolente, s’exclama Roland et frottant la tête de la concernée de ses mains calleuses et durcies par les longues années de labeur aux seins des jardins du palais.
- Eh ! Tu vas défaire ma coiffure ! Se plaignit-elle.
- Bon, allez les jeunes, je vous laisse, je vais me coucher. Amusez-vous bien. Et Lucille !?
- Oui ?
- Ne rentre pas trop tard, ou sinon Cathy va me tirer les oreilles.
- Oui oui ! Bonne nuit !
- Bonne nuit papa ! » Dirent-ils en cœur.
Sur ces mots, le vieil homme entra dans la petite maison, non sans étouffer un bâillement.
« Bon, allez, ce gâteau ne va pas se manger tout seul, » reprit la princesse, toute joyeuse.
Elle désigna le plat duquel elle avait retiré la cloche de fer pour découvrir un appétissant gâteau couvert de fraises et de chantilly et surmonté de bougies. Les yeux du garçon se mirent à briller d’envie.
« Mon préféré !
- Évidemment ! Tu me prends pour qui ? Et c’est moi qui l’ai fait toute seule ! Dit Lucille, fière d’elle en le posant sur la table et en allumant les bougies.
- C’est toi qui l’as fait ? Et les cuisiniers ? Ils ne devaient pas être contents.
- Rien ne peut m’arrêter quand ça te concerne ! Allez ! Dépêche-toi de souffler tes bougies ou la cire va dégouliner sur le gâteau. »
Noël souffla les bougies surplombant le gâteau tandis que sa jumelle chantait gaiement « Joyeux Anniversaire ! » en tapant en rythme dans ses mains. Il la regarda couper innocemment la pâtisserie en chantonnant, un sourire rayonnant aux lèvres. Aussi étrange que cela puisse paraître, il n’avait jamais ressenti aucune haine, aucune jalousie à son égard. Pourtant, il en avait tous les droits. Lucille, seule et unique enfant du couple royale, était choyée et gâtée par tous, tandis que lui, jumeau “maudit” et non voulu, n’avait même pas le droit de sortir du jardin secret. Son propre père avait certainement oublié son existence et ne parlons pas de sa mère qui aimait lui rendre une petite visite impromptue durant les mauvais jours. N’importe qui, en entendant ça, penserait certainement qu’il était malheureux... Mais ce n’était pas le cas. Il avait Roland et Cathy, qu’il considérait comme ses véritables parents, mais aussi et surtout Lucille. Il tenait énormément à elle et pour rien au monde il ne se serait permis de gâcher son magnifique sourire. Aussi longtemps qu’elle serait heureuse, il le serait tout autant.
« Tu ne manges pas ta part, lui demanda soudainement Lucille, le sortant de ses pensées.
- Si si, ne t’inquiètes pas, répondit-il en enfournant un énorme morceau de gâteau dans sa bouche. Ouah ! Il est délicieux ! Tu t’es surpassée cette fois-ci !
- N’est-ce pas ! Franchement, tu es vraiment chanceux de m’avoir pour sœur !
- Ça, c’est sûr ! Qu’est-ce que je ferais sans toi !
- Allez ! Maintenant, c’est l’heure du cadeau ! S’extasia-t-elle en posant violement le paquet sous le nez de son frère.
- Il ne fallait vraiment pas, tu sais.
- Bien sûr que si ! Pas d’anniversaire sans cadeau. Tiens, ouvre-le. »
Lucille tendit à son frère un pavé emmailloté d’un ruban couleur lavande, la couleur préférée de la jeune princesse. Elle frétillait d’impatience à l’idée de voir la réaction de son jumeau. Il commença à le déballer pour découvrir un carnet à la couverture de cuir.
« Le Langage des Fleurs ? Lut Noël à haute voix.
- Oui ! Vu que tu adores les fleurs, je me suis dit que ça te ferait plaisir. J’ai dessiné les fleurs à la peinture à l’huile. »
“Adorer” était un euphémisme. Le jardin était rempli de fleurs. Des roses, des lys, des orchidées, des chrysanthèmes, des dahlias, des renoncules, des gerberas et tant d’autres fleurs aux couleurs éclatantes que le garçon cultivait depuis qu’il savait marcher, tout ça grâce à son père qui lui avait transmis sa passion. Ça ne l’étonnait pas vraiment qu’elle lui offre ça, Lucille avait toujours été une grande romantique, une véritable passionnée de contes fées et d’histoires d’amour. Il se leva et cueillit délicatement une mauve qu’il glissa derrière l’oreille de sa sœur. Le violet de la fleur était en parfaite harmonie avec celui de sa robe.
« Tiens, ce n’est peut-être pas aussi grandiose que le tien, mais voici mon cadeau pour ton anniversaire.
- Quoi ? Mais il ne fallait voyons, je sais à quel point tu tiens à tes fleurs !
- Bien sûr que si. Pas d’anniversaire sans cadeau. »
Poussée par la joie et les larmes aux yeux, elle se jeta sur son frère pour l’enlacer, si fort qu’ils tombèrent tous les deux dans l’herbe. Ils éclatèrent de rire et, s’allongeant côte à côte, les yeux rivés vers le ciel étoilé, la petite princesse murmura :
« Dit frérot... Tu resteras toujours avec moi, pas vrai ? Tu ne me quitteras jamais, hein ?
- Bien sûr que non ! Je resterai accroché à toi comme la plus collante des glues.
- Promis ?
- Promis.
- Tant mieux. »
Ils restèrent ainsi un long moment jusqu’à ce que la petite princesse s’endorme, blottie contre son jumeau, les cheveux complètement décoiffés, la robe froissée, et la veste de Noël lui servant de couverture. C’est dans cette même position que Cathy les trouva lorsqu’elle vint la chercher. Avec un sourire débordant d’affection pour les deux enfants, elle installa le garçon sur son lit dans la petite cabane et porta la fillette jusqu’à sa chambre. Nul doute que cet anniversaire resterait longtemps dans leurs mémoires.
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