Chapitre 5
759ème année de l’ère de La Rose Blanche
« Tu penses que ce sera quoi toi ? Demanda Lucille, allongée dans l’herbe, la tête posée dans le creux de ses mains et ses jambes se balançant gaiement.
- Je ne sais pas, répondit son frère, arrosant un parterre de pivoines.
- J’aimerais bien que ce soit un garçon.
- Ah bon ? Pourtant, il y a peine quelques mois, tu souhaitais absolument que ce soit une fille, pour pouvoir, je cite : “jouer aux poupées avec elle et lui faire essayer des robes”.
- En même temps, ce n’est pas comme si je pouvais faire tout ça avec toi.
- C’est bizarre, ce n’est pas le discours que tu m’as tenu l’autre jour quand tu m’as forcé à porter ta robe de marin.
- Pour ma défense, tu étais A-DO-RA-BLE. Et puis, de toute façon, c’est ce que tout le monde souhaite. »
Dix ans après la naissance de la princesse, la Reine attendait de nouveau un heureux évènement. La venue au monde d’un possible héritier à la couronne avait rempli le royaume de joie, et parmi toute la population, Lucille était certainement la plus excitée. Pas un jour ne passait sans qu’elle n’évoque le sujet, à tel point que cela commençait à irriter Noël.
« Qu’est-ce qu’il y a frérot ? Tu fais la tête ?
- R-rien... Tout va bien..., répondit-t-il en faisant la moue.
- Attend... Ne me dis pas que tu es jaloux ?
- Q-qui ?! Moi ?! N-non non, bien sûr que non...
- Si, tu es jaloux, » le taquina-t-elle.
Ses lèvres esquissèrent un sourire malicieux et le visage de son frère devint aussi que les fleurs dont il s’occupait.
« Bon, d’accord... Peut-être un peu... M-mais... C’est parce que tu parles de lui avec tellement d’engouement, j’ai peur que tu passes plus de temps avec lui qu’avec moi...
- Moh... T’es trop mignon frérot. Mais ne t’inquiète pas, peu importe que ce soit un garçon ou une fille, qu’il soit grand ou petit, beau ou laid, tu resteras toujours mon préféré !
- Argh, arrête ! Tu me gênes !
- Bah quoi ? Je ne dis que la pure vérité ! Et puis, tu sais... Je me dis que... Si c’est un garçon et qu’on le met dans la confidence... Peut-être qu’il pourra faire quelque chose pour toi et... Tous les autres nourrissons qui sont tués à peine sortis du ventre de leur mère... Il sera Roi après tout, qu’est-ce qui pourrait l’en empêcher ? C’est pour ça que j’attends sa naissance avec impatience. »
La grossesse de la Reine arrivait presque à terme. Elle ne quittait plus sa chambre et, par mesure de précaution, était constamment entourée de plusieurs sages-femmes, prêtes à se mettre au travail à n’importe quel moment. Tout le palais était sur le qui-vive.
« Tiens, c’est bizarre... Cathy est en retard... C’est l’heure du goûter et elle n’est toujours pas arrivée... Remarqua le garçon avec anxiété.
- Maintenant que tu le dis, c’est vrai. Elle met du temps à revenir. C’est n’est sûrement rien de grave, peut-être un problème en cuisine.
- Oui, tu as certainement raison. Je m’inquiète sûrement pour rien. »
Pourtant, malgré ces paroles, Noël ne parvenait pas se débarrasser de son mauvais pressentiment. Peu de temps plus tard, de l’agitation se fit entendre de l’autre côté du mur. Des pas précipités, des voix tendues, rien qui ne rassurait l’enfant, et l’absence de celle qui considérait comme une mère ne l’aidait pas. Lorsque la lourde porte de chêne s’ouvrit enfin, ce ne fut non pas leur chère gouvernante qui apparue devant eux, mais le vieux jardinier.
« Roland ? Qu’est-ce que tu fais là ? Tu ne termines pas aussi tôt d’habitude. Où est Cathy ?
- C’est justement elle qui m’envoie. La Reine est sur le point d’accoucher. J’ai reçu l’ordre de vous garder ici jusqu’à ce qu’il soit terminé afin d’assurer votre protection. Le palais est en ébullition, quelqu’un de dangereux pourrait en profiter. »
Les deux enfants hochèrent la tête en cœur et tentèrent tant bien que mal de retrouver l’ambiance joyeuse qui les enrobaient quelques minutes plus tôt. L’intuition du garçon ne cessait de lui murmurer qu’il allait se passer quelque chose, et il avait beau essayer de le cacher, l’inquiétude qui émanait de lui avait elle aussi finit par déteindre sur sa sœur. Noël fit tout son possible pour rassurer sa jumelle, mais malgré tous ses efforts, il ne parvint à l’apaiser. De longues heures s’écoulèrent ainsi, dans une atmosphère si lourde et pesante que même le vieux Roland, pourtant toujours joviale et de bonne humeur, s’était mis à faire les cents pas.
Lorsque Cathy revint enfin, la nuit était tombée depuis longtemps. Son air grave mit tout de suite la puce à l’oreille du trio.
« Alors ? Quelles sont les nouvelles ? » S’empressa de demander Lucille, inquiète.
« Je... Je suis désolée de vous l’annoncer mais... L’enfant n’a pas survécu...
- … Q-quoi ?! Je... Non... Non, ce n’est pas possible... Cathy...Dis-moi que tu mens ! S’exclama la jeune fille, encore sous le choc.
- Malheureusement... Non... »
Les jambes de la princesse faiblir et sans le soutien de son frère, elle se serait certainement écroulée au sol. Après un regard entendu avec les deux adultes, il la conduisit dans la cabane et l’aida à s’allonger sur le petit lit, à peine assez grand pour une personne. Il n’avait pas prononcé un seul mot depuis l’annonce de Cathy, qui, il devait l’avouer, ne l’avait pas plus ébranlé que ça, contrairement à sa sœur. Que pouvait-il dire face à la mort d’une personne qu’il ne connaissait pas, si ce n’est un simple “c’est triste”, vide de toute sincérité. Cela ne l’empêchait pas pour autant de comprendre l’affliction de sa sœur. Pas après l’avoir vu aussi enthousiaste pendant autant de temps.
Noël s’assit sur le bord du lit et commença à caresser tendrement les cheveux de sa sœur qui ne parvenait pas à cacher ses sanglots étouffés. Tout ce qu’il pouvait faire en cet instant, c’était lui apporter son soutien. Il resta ainsi, silencieux, répétant son mouvement sans jamais s’arrêter. Il crut, à un moment, que Lucille s’était endormie, mais la jeune fille, dos à lui, le visage tourné vers le mur, murmura alors :
« Dis... Tu penses que Dieu nous a laissés tomber lui aussi ?
- Hein ? Qu’est-ce que tu veux dire ? S’étonna-t-il.
- Et bien... Notre seul espoir s’est envolé...
- Notre seul espoir... » Répéta Noël, sous le choc.
Les mots de sa sœur l’avait tellement surpris qu’il s’arrêta un instant. Puis, un doux sourire se forma sur ses lèvres et, d’une voix tendre, il lui dit :
« Tu sais... Je ne crois pas que cet enfant était notre seul espoir.
- Hein ? Comment ça ? »
Lucille se retourna pour lui faire face, ses grands yeux anthracites, encore rougis par les larmes, tournés vers lui.
« Et bien... Je n’osais pas te le dire tout à l’heure mais... Ce n’est pas une bonne idée de confier notre sort à une personne que l’on ne connait pas. Tu sais tout autant que moi que les liens de sang ne sont pas toujours synonymes de confiance absolue.
- Oui, c’est vrai...
- Je ne pense pas que l’on devrait juste attendre que quelqu’un vienne nous sauver. On devrait trouver nous-même un moyen de partir de cet endroit. Cathy et Roland nous aiderons sûrement. »
Noël souleva la fine couverture de lin dont il avait recouvert le corps de Lucille et s’allongea à ses côtés. Il colla son front son au sien et rajouta dans un murmure :
« Tu vois ? Dieu ne nous a pas abandonné, nous devons juste croire en LUI. Je suis certain que, le moment venu, IL nous prêtera sa force. »
La petite fille hocha la tête et son frère lui embrassa le front. Ils restèrent ainsi un moment, allongés sous la couverture, leur visage collé l’un contre l’autre, savourant le silence plaisant de la petite cabane en bois, entrecoupé à intervalles régulières des reniflements de la première avant que celle-ci ne se décide de le briser :
« Je suis désolé... Pour tout à l’heure... Je me suis affolée pour rien.
- Tu n’as pas à être désolée. Tu ne te souviens pas de ce que Cathy nous répète toujours ? Il ne faut jamais...
- S’excuser si on n'a rien fait de mal, » complétèrent-ils en cœur avant d’éclater tous les deux de rires.
Comme si elle avait senti qu’on parlait d’elle, Cathy entra dans la cabane et s’approcha du lit.
« Je suis désolée de vous déranger Princesse, mais l’heure du coucher est passée depuis bien longtemps. Nous devons y aller maintenant, ou vous serez fatiguée demain.
- Quoi ? Mais je n’ai pas envie moi... Se plaignait la concernée. Je peux dormir ici, avec Noël ?
- Malheureusement non, si elles ne vous trouvent pas dans votre lire demain matin, les domestiques s’inquièteront.
- Mais...
- Vas-y Lucille. De toute façon, on se revoit demain, à l’heure du goûter comme d’habitude.
- Bon, d’accord... »
La fillette, toute penaude, se leva et suivit sa gouvernante hors du jardin, non sans faire un dernier au revoir au vieux jardinier. Comme tous les autres soirs, elle se coucha bien sagement dans son lit avant que les bras de Morphée ne viennent finalement l’enserrée.
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